Séance de rattrapage au cas où certains classiques vous auraient échappé…
Il était une fois en Amérique, Casino, Les Affranchis… Nombreux sont les chefs d’œuvre du septième art qui font la part belle aux criminels.
Le mythe du gangster n’ayant beau ne pas grand-chose à voir avec les faits (ou pour citer l’écrivain James Ellroy : « La triste réalité, c’est que ces types étaient des ordures »), porté sur grand écran il se plie néanmoins à merveille à l’exercice de la fiction.
Si certains historiens estiment que le tout premier film de gangsters à voir le jour fut le Fantômas de 1913 réalisé par Louis Feuillade (cocorico), il faudra cependant attendre le début des années 30 et notamment les sorties outre-Atlantique de The Public Enemy, Little Caesar et Scarface pour parler de la naissance d’un genre à part entière.
Un genre qui rencontre ensuite un grand succès dans nos contrées grâce à des métrages comme Les Tontons flingueurs, Borsalino ou encore Le Cercle rouge, tous classés depuis au patrimoine national et international.
En 1972, Le Parrain de Francis Ford Coppola vient profondément modifier la donne. À la fois saga familiale et allégorie du capitalisme américain, l’histoire de la famille Corleone consacre le crime organisé comme un objet de fascination.
S’en suivent depuis un nombre incalculable de productions, dont certaines, sans être forcément tombées dans l’oubli, ne bénéficient pas nécessairement de la notoriété qui devraient être la leur.
En voici 8 que tout spectateur un tant soit peu cinéphile se doit de connaître.
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L’Impasse (1993)
À la fois suite et antithèse de Scarface, cette nouvelle collaboration entre Brian de Palma et Al Pacino laissa étonnement la critique de marbre à sa sortie.
La faute peut-être à cette retenue assez inhabituelle dont a fait preuve le réalisateur, ou à ce faux suspense face auquel même le héros, un ex baron de la drogue condamné à trouver l’angle mort parfait pour échapper à son destin, fait à peine mine de s’illusionner.
Millésimé depuis (et pas uniquement par Jay Z), le film ne manque pourtant ni de cœur, ni de passion. Et encore moins d’élégance, à l’image d’un Pacino qui imprime la pellicule de son énergie et de sa gestuelle aussi fluide que précise.
Avec ce personnage funambule se sachant prisonnier d’une existence où les causes n’échappent que trop rarement aux conséquences, il livre là l’une de ses meilleures prestations – ce qui vu de ses états de service n’est pas peu dire.
Joyau de noirceur saupoudré de touches d’espoir, cette Voie de Carlito se savoure jusqu’au bout, notamment pour son générique final tout en romantisme et en mélancolie.
Incontournable.
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Mean Streets (1973)
Ou Martin Scorsese et Robert De Niro avant qu’ils ne deviennent Martin Scorsese et Robert De Niro.
Encore loin du faste de ses fresques mafieuses à venir, pour ce troisième long-métrage le réalisateur a de son propre aveu livré son œuvre la plus personnelle, et accessoirement sa première vraie réussite.
Caméra à l’épaule dans un style que ne renierait pas la Nouvelle Vague, le jeune Marty s’attelle à dépeindre avec le plus grand réalisme le quotidien des quartiers sicilo-américains de New York dans lesquels il a grandi.
À la frontière de l’étude sociologique, le film suit les péripéties de Charlie (Harvey Keitel) fils d’immigrés italiens qui rêve d’intégration verticale dans la mafia. Homme pressé, il doit cependant accommoder ses ambitions à sa foi catholique, ce qui ne va pas sans profondes contradictions.
Pour satisfaire sa conscience, il tente vaille que vaille de prendre sous son aile l’impétueux Johnny Boy (De Niro) qui se moque éperdument des règles imposées par le milieu – et qui finira par le payer cher.
Dans cette ruche où s’agitent ceux dont la philosophie de vie se limite à la question de la survie, Mean Streets s’interroge sur la teneur du rêve américain et ses implications : s’agit-il de gravir les échelons et s’imposer dans sa communauté, ou au contraire de s’émanciper de cette dernière ?
Malgré ses quelques longueurs, cette ballade à la fois poétique et débordante d’énergie (et à la BO tonitruante) se pose comme un must du genre.
Aniki, mon frère (2000)
Œuvre mineure dans la filmographie majeure de Takeshi Kitano, ce quasi remake de son très acclamé Sonatine se veut sa carte d’entrée sur le marché américain – et par ricochet une excellente introduction à son cinéma.
L’acteur/réalisateur/scénariste n’en oublie néanmoins pas de traiter les thèmes qui lui sont chers (la mort, la fraternité, l’honneur, le retour à l’enfance, le vide de l’existence…) sans se départir de la patte qui a fait sa renommée (violence à la limite du gore, montage elliptique et sens de l’humour grinçant).
Certes les habitués qui n’y verront rien de nouveau, mais n’est-ce pas le privilège des grands que de répéter encore toujours le même film ?
Ce polar épuré a en outre la bonne idée de ne pas virer à la carte postale (pas de travelling téléphoné sur Sunset Boulevard, pas de coucher de soleil cliché à Malibu…), si bien qu’il est même assez difficile de distinguer Tokyo de Los Angeles filmé ici dans sa plus grande banalité (ruelles, hangars, bars…).
Les différences entre le Soleil-Levant et le Soleil-Couchant passent ainsi essentiellement par des gestes, des attitudes, des comportements, la parole (VO impérative à ce titre), bref par les corps.
Dans le fond, la musique de Joe Hisaishi, mélange de jazz et de percussions, se laisse apprécier avec toujours autant de plaisir.
Les Promesses de l’ombre (2007)
Sur un scénario somme toute assez dépouillé, cette plongée en terre londonienne dans les mœurs ultra codifiées des Vory v Zakone (une mafia russe ultra violente née dans les prisons soviétiques) se pare dès ses premières images des allures d’un grand film.
Les scènes cultes (du cérémonial du tatouage à cette lutte à mort dans les bains turcs) ou ce sens très soigné de l’esthétisme (voir cette lumière qui éclaire les eaux noires de la Tamise) sont toutefois au service d’une thématique bien déterminée : celle de l’identité.
Particulièrement crue, la violence sert ici faire tomber les masques : ceux de ces personnages perdus dans leur jeu de représentation (l’ambivalence de Viggo Mortensen, le refoulement homosexuel du fils Vincent Cassel, la cruauté de son père cachée sous une apparente bonhomie), mais aussi celui de ce multiculturalisme globalisé qui perpétuent l’esclavage au sein même de l’un de ses fiefs les plus rutilants.
Loin d’être un cinéaste de confort, David Cronenberg ne juge cependant personne, n’indique pas de chemin.
Côté acteurs, si l’on peut regretter le rôle un peu court de Naomi Watts, aussi imperturbable que magnétique, Mortensen décroche un ticket pour la postérité.
Promesses tenues donc.
Nos funérailles (1996)
Moins connu que Bad Lieutenant ou The King of New-York, ce douzième métrage d’Abel Ferrara n’en est peut-être pas moins son plus abouti. C’est en tout cas son dernier grand film, ses tourments ayant eu depuis raison de sa fougue artistique.
Dans l’Amérique des années trente, le spectateur s’immisce le temps d’une journée dans l’intimité de la famille Tapia dont le plus jeune des trois frères, Johnny (Vincent Gallo) a été abattu. Chacun des deux aînés accomplit son deuil à sa manière. Tandis que Ray (Christopher Walken, plus mort vivant que jamais) est obsédé par l’idée de vengeance, Chez (un Chris Penn fiévreux et convulsif touché par la grâce) se laisse submerger par ses fêlures jusqu’à sombrer dans la folie.
Cette veillée funéraire tout comme la question de savoir qui est l’auteur du crime ne constitue cependant que la partie immergée du film. Traversé par d’incessants et virtuoses flashbacks, elle est l’occasion de mettre en perspective une réflexion crépusculaire sur le poids du pardon et de la culpabilité.
Reste qu’au-delà des discours pseudos rationnels tenus par ces hommes qui tentent de s’accorder un semblant de sursis en justifiant l’injustifiable, la logique du pire finit par reprendre ses droits.
Autour du cercueil, les femmes assistent impuissantes et désolées au triomphe de cette pulsion de mort. Madones magnifiques, elles ont appris depuis longtemps à ravaler leurs larmes.
Ou comme le déclare le personnage d’Annabella Sciorra à propos de leurs maris : « Ce sont des criminels parce qu’ils n’ont jamais cherché à s’élever au-delà de leur manque d’éducation. Et il n’y a absolument rien de romantique là-dedans. »
The Yards (2000)
Six longues années après sa toute première réalisation coup de poing Little Odessa, James Gray transforme l’essai avec un cocktail de vieilles recettes antiques à base de liens du sang pervertis, trahison, vengeance et inceste.
Dénué du moindre effet de frime, s’accompagnant une violence réduite à son strict nécessaire, ce drame familial au classicisme assumé n’en conserve pas moins le goût des cendres.
Bien que sortant de prison avec les meilleures intentions du monde, Leo (interprété par Mark Wahlberg, qui perdu dans ses vagues à l’âme n’a jamais été aussi bon) se retrouve pourtant malgré lui en porte-à-faux avec son oncle (James ‘Sonny Corleone’ Caan) et son meilleur ami (Joaquin Phoenix, égal à lui-même et donc inégalable).
Si personne ne tient à proprement parler le rôle du méchant, chacun doit désormais faire ses choix et en assumer les inéluctables conséquences : trahir les siens ou rester fidèle à soi-même ?
Tandis que le bateau sombre, sont filmés d’un amour égal le faible et le fort, le traître et le courageux.
Ghost Dog : La Voie du samouraï (1999)
Avec Jim Jarmush à la réalisation, Forest Whitaker devant la caméra et RZA à la bande-son, Ghost Dog fait se rencontrer trois talents au sommet de leurs arts.
Sur un scénario largement emprunté au Samouraï de Jean-Pierre Melville (un tueur à gages doit faire face à ses employeurs qui cherchent à le liquider) et mâtiné de citations extraites de l’Hagakuré (cet ouvrage de philosophie guerrière écrit au 18ème siècle), le choc des cultures est total.
Mafieux et ghetto boys répondent en effet chacun scrupuleusement à un cérémonial ancré dans les traditions, et si exceptionnellement des ponts se créent (voir notamment cette scène où l’un des capis rappe du Flavor Flav), c’est au final une histoire de clan, de code et d’honneur qui met non sans absurdité le feu aux poudres.
Avant cela, le spectateur aura eu tout le loisir d’apprécier une réalisation sobre et efficace, une ambiance musicale composée d’une main de maître, mais aussi et surtout la performance magistrale de Forest Whitaker (démarche lénifiante et grâce féline) qui donne au film ce rythme si particulier, ce spleen langoureux, irrésistiblement entraînant.
Ghost Dog ou le film noir spirituel.
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Le Parrain III (1990)
Rare sont les films à la réputation aussi calamiteuse. Accepté pour des raisons strictement financières par un Francis Ford Coppola alors au bord de la ruine, sitôt sorti dans les salles ce Parrain III est étrillé à l’unisson par la critique et le public.
Lui sont notamment reprochés son casting bancal (la prestation fade et sans saveur de Sofia Coppola, la défection de Robert Duvall), le manque de clarté de l’intrigue ou encore des changements de rythme intempestifs – et ne parlons même pas de cette histoire de romance incestueuse entre cousins au premier degré.
Pourtant, plus d’un quart de siècle après les faits un aggiornamento s’impose.
Conçu comme le troisième et dernier acte d’une tragédie grecque, le film offre une relecture qui magnifie la saga : Le Parrain ou l’histoire de Michael Corleone, un monarque en lutte avec un destin qu’il n’a choisi que par la force des évènements (sa décision de protéger son père suite à une tentative de meurtre) et dont toute sa vie il a cherché à se défaire.
Bien qu’il se sache depuis longtemps « au-delà de toute rédemption », il tente ici de sauver son âme et de protéger les siens dans une ultime manœuvre (forcement) vouée à l’échec.
La dernière demi-heure, sublime, donne ainsi lieu à un ultime bain de sang. Filmée sur fond d’opéra, la pièce jouée en fond, La Cavaleria Rusticana (« La chevalerie campagnarde », une histoire d’honneur et de vengeance dans la Sicile médiévale) conclut l’œuvre sur une mise en abîme à couper le souffle.
Le Parrain III mérite décidément d’être considéré comme le grand film qu’il aurait dû être.
[Bonus] Le documentaire Cocaïne Cowboys (2006)
Miami ou la mégalopole née du business de la cocaïne.
Si dans les années 80 Miami Vice et Scarface ont figé l’image de la capitale floridienne quelque part entre luxure couleur pastel et gangstérisme poudré, la fiction était à mille lieux réalité, que ce soit par les sommes d’argent générées ou le degré de violence atteint (scène de la tronçonneuse comprise).
Port d’entrée de la production colombienne, cet ancien lieu de villégiature pour retraités voit sa physionomie bouleversée sous un afflux interrompu de cash.
Tandis que les gratte-ciels jaillissent du sol, ce sont toute une flopée de commerces qui ouvrent leurs portes (joaillers, clubs, concessionnaires automobiles…) pour satisfaire les besoins d’une nouvelle classe économique venue prospérer dans ce pays de Cocagne où la cocaïne n’est pas considérée comme un réel danger pour la santé publique, et où la légistlation se montre des plus conciliantes avec le blanchiment d’argent.
Très vite cependant le centre-ville se transforme en western, et les cadavres affluent – à tel point que les morgues viennent à manquer de places et se voient dans l’obligation de louer des camions frigorifiques à… Burger King.
Monté comme un clip (montage nerveux, nappes de synthétiseurs et image d’archives habilement mises en scène), Cocaïne Cowboys s’appuie sur les témoignages d’acteurs phares de cette époque (pilote d’avion, tueur à gage, distributeur…) qui chacun délivre leurs lots d’anecdotes toutes plus dingues les unes que les autres.
Dans l’ombre plane la présence menaçante de la Madrina…
Dommage que le tout sombre un peu trop dans sensationnalisme et ne propose guère de contrepoids aux récits de ces hommes présentés avant tout comme des aventuriers.
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