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Armes, drogue et cash : retour sur « Ouest Side » de Booba

Armes, drogue et cash : retour sur « Ouest Side » de Booba

« T’as la ref’ ? » c’est la série qui revient sur les références disséminées au sein des plus grands albums de rap. Des plus évidentes au plus surprenantes, des plus saugrenues aux plus pointues. Bref, si vous n’avez pas la ref’, vous allez l’avoir…

Ouest Side, ou l’album qui a décomplexé le rap français.

Après deux premiers solos qui lui ont donné les moyens de ses ambitions (le crépusculaire Temps Mort, le grinçant Panthéon), Booba, 29 ans, embrasse pleinement la vibe gangster qui règne en maître outre-Atlantique.

S’il s’autorise tous les excès du genre (que ce soit dans les thèmes, les textes ou l’imagerie), loin d’être aussi bête et méchant qu’il essaye de s’en donner l’air, il sait saupoudrer sa musique de ce qu’il faut de finesse.

Résultat, quand le 13 févier 2006 Ouest Side arrive dans les bacs, le disque rencontre non seulement un succès commercial colossal (un demi-million d’exemplaires écoulés, et en physique s’il vous plaît), mais l’onde de choc qu’il provoque est telle que c’est à se demander pourquoi sa date de sortie n’a pas été depuis rendue fériée.

Dix sept ans après ce séisme, le moment est venu de décrypter du sol au plafond toutes ses références.

Ses racines

La ref’ ? : Le titre de l’album

Non, Ouest Side ne dédicace ni la Bretagne, ni la Californie, mais son fief des Hauts-de-Seine (la banlieue ouest parisienne) et le Sénégal (la côté ouest africaine), là où est né son père, Seydou Nourou Yaffa.

Bref, « au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, biatch, viens pas tester la Ouest Side ! »

Malcolm X

La ref’ ? : La pochette de l’album

En mars 1964, le prédicateur de la Nation of Islam pose chez lui dans sa maison du Queens, à New York. Carabine M1 dans la main droite, il écarte les rideaux de sa chambre de la main gauche pour observer ce qui se trame dans la rue.

Bien que mise en scène par le photographe Don Hogan Charles, la photo penche malheureusement plus du côté de la réalité que de celui de la fiction : en février 1965, cette même maison sera attaquée à la bombe en pleine nuit, tandis qu’une semaine plus tard, le 21 février 1965, Malcolm X sera assassiné par balles en plein meeting.

L’idée de reprendre ce cliché est venue d’Armen Djerrahian (des clips et des shoots pour Groove, L’Affiche, Get Busy, La Cliqua, la Fonky Family, 50 Cent, Usher, Rick Ross…) avec qui Booba collabore depuis Temps Mort.

« Booba m’a demandé de passer en studio pour me faire écouter Ouest Side. Il était d’une telle arrogance dans ce disque que j’ai tout de suite pensé à ceux qui allaient le jalouser. Un peu comme cette fameuse image de Malcolm X, je voulais représenter cette éventuelle parano de sa part. »

Tony Montana

La ref’ ? : « Sous coke comme Tony M., tes balles je me les enfile » sur Mauvais garçon

Antihéros de l’Amérique moderne, le « bad guy » de Miami en a sniffé des pistes de ski avant de terminer les bras en croix dans sa piscine, sans même comprendre ce qui lui arrivait.

Il n’en reste pas moins que dans la vraie vie, ses chances de survie auraient été encore moindres : outre le fait que la fusillade qui conclut le film lui aurait été très probablement fatale dès la première balle, la cocaïne accélère les saignements.

Fallait écouter Franck.

Le crime paie

La ref’ ? : « Depuis le crime paie zéro défaite » sur Garde la pêche

Le morceau de Lunatic qui en 1996 a rebattu les cartes du rap français (« Seul le crime paie, aucun remord pour mes pêchés/Tu m’connais, j’suis assez bestial pour de la monnaie »).

Sorti sur la compilation culte Hostile, il a non seulement introduit le hardcore dans nos contrées, mais son succès a en sus convaincu Élie Y. de se lancer à temps plein dans la musique.

Bien lui en a pris : pour vivre de l’illicite, mieux vaut le rapper que le vivre.

Molière

La ref’ ? : « J’suis meilleur que Molière, tatoué sans muselière » sur Garde la pêche et « J’veux pas mourir sur scène » sur Pitbull.

Le bourgeois gentilhomme, Les précieuses ridicules, Les Fourberies de Scapin… tout ça c’est bien mignon, mais a-t-on jamais entendu dans les pièces de Jean-Baptiste Poquelin des punchlines du niveau de « Si je traîne en bas de chez toi, je fais chuter le prix de l’immobilier » ou « MC t’as trop traîné ton cul sur les bancs de la fac, je vais faire un manteau de fourrure avec les poils de ta chatte » ?

Que ceux qui sont d’avis que l’on dise de la langue française qu’elle est désormais « la langue de Booba » lève la main.

Gorée

La ref’ ? : « Gorée c’est ma terre, l’égalité c’est ma lutte » sur Garde la pêche

Ultra référencée tout au long de sa discographie (« On m’a détruit, déporté de Gorée » sur Hommes de l’ombre, « À 10 ans, j’ai vu Gorée depuis mes larmes sont éternelles » sur 0.9, le clip de DKR…), cette petite île de la côté sénégalaise est un peu trop hâtivement présentée comme une plateforme majeure de la Traite transatlantique.

Classé au patrimoine mondial de l’Unesco, reconnu très officiellement par l’ONU, le lieu est en réalité bien plus symbolique qu’historique : sur les 12 à 20 millions de victimes de l’esclavage, à peine quelques milliers y ont transité.

[Le port de Saint-Louis ainsi que les comptoirs de la Côte des esclaves (l’actuel Bénin), du golfe de Guinée ou de l’Angola sont à ce titre bien plus représentatif.]

Quant à la tristement célèbre Maison des esclaves, les historiens la qualifient au choix de « rumeur », « d’attrape-touristes », voire « d’escroquerie mémorielle » – des cellules séparant hommes, femmes et enfants, au cachot, en passant par la porte du « voyage sans retour », rien n’est vrai.

Ni théorie complotiste, ni vision farfelue d’une des périodes les plus sombres de l’humanité, la déconstruction du mythe de Gorée est étayée par de nombreuses études de tous bords.

Zoxea

La ref’ ? : Le Duc de Boulogne

Deux ans avant Ouest Side, le leader des Sages Poètes de la rue se couronne monarque de Boulogne-Billancourt sur le morceau qui ouvre son second album solo, À mon tour de briller« Je suis le King De Boulogne/Saluez le King De Boulogne comme il se doit/J’ai pas d’insigne, j’ai pas de couronne/Mais j’suis bien le King De Boulogne »

Plus que légitime au titre, le rap hexagonal lui doit d’avoir fondé l’une de ses meilleures écoles de la rime, le Beat 2 Boul, un collectif qui a notamment compté dans ses rangs Dany Dan, L.I.M., Salif… et Booba.

À la manœuvre derrière Sortis de l’ombre, le premier album officieux de Lunatic, Zoxea va ensuite sévèrement s’embrouiller avec son poulain.

S’en est suivie une bagarre à la lacrymo à la station de métro Marcel-Sembat, puis une plus ou moins longue période de brouille.

Du coup, impossible de ne pas se dire que d’intituler un morceau Duc de Boulogne ne constitue pas une pichenette à son égard, quand bien même, respect des anciens oblige, dans la hiérarchie du droit divin, le roi reste au-dessus.

Le marché Malik

La ref’ ? : « On me duplique au marché Malik, me clique sur internet » sur Le Duc de Boulogne

Ah, la grande époque des escapades aux puces de Saint-Ouen/Clignancourt pour y dégotter CD, baggys et joaillerie brillante, et qui, pour les provinciaux, se couplaient immanquablement avec un pèlerinage à Châtelet-Les Halles.

Créé dixit la légende urbaine en 1942 par un prince albanais du nom de Malik, ce centre névralgique de la culture streetwear des années 2000 n’est aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même, gangrené par la contrefaçon.

Comme quoi, B2O, qui plus tard dans le morceau s’en prend en douce à Alpha 5.20 et les mecs de son stand (« Les clochards vendent des copies de mon nouvel opus/Prennent le bus pour aller sucer, au marché aux puces »), s’il n’avait pas tout à fait raison, n’avait pas tout à fait tort non plus.

Unküt

La ref’ ? : « J’pose en Unküt sur les couvs clack-clack 92 » sur Le Duc de Boulogne

Apparu timidement dans le livret de Panthéon (faits main, les t-shirts et survêt’ du 92i sortaient directement de chez la couturière), la marque de fringues prendre réellement son envol en 2006.

De simple merch’, Unküt commence alors à développer une véritable stratégie marketing (sponsoring d’athlètes, partenariats sur des events, placements de produits…) qui lui permet de frôler les 15 millions de chiffre d’affaires en 2014.

La suite sera toutefois moins glorieuse, entre gestion hasardeuse des nouveaux propriétaires, impossibilité de croître à l’internationale (« uncut », circoncis en anglais…), et virage mainstream mal négocié.

Sentant le vent tourner, Booba, qui au départ ne possédait que 10% des parts et qui en 2010 est devenu actionnaire à hauteur de 49% (techniquement, Unküt n’a jamais été « sa » marque), siffle la fin de la récré en 2018 via une série de posts sur les réseaux sociaux.

Jessy s’en est-il jamais remis ?

Marithé+François Girbaud

La ref’ ? : « J’arrive au tribunal frais en Air Force, en Marithé » sur Boîte vocale

Streetwear toujours, si vous avez un jour enfilé un jean délavé, un jean baggy, un jean stretch  ou un jean écolo, Marithé Bachellerie et François Girbaud n’y sont pas pour rien.

Dans le biz’ depuis 1972, nos deux Frenchies ont révolutionné plus d’une fois le marché, sans pour autant bénéficier de la reconnaissance qu’ils méritent.

Un de ces quatre, il faudrait vraiment qu’on vous parle d’eux dans le détail.

Timbaland

La ref’ ? : L’instrumentale de Boulbi

Producteur roi en 2006 grâce à la doublette FutureSex/LoveSounds de Justin Timberlake/Loose de Nelly Furtado, Timothy Zachery Mosley imposait son style bien à lui dans le rap US depuis déjà une bonne dizaine d’années (Ginuwine, Aaliyah, Missy Elliot…).

Sa recette ? Des rythmes syncopés, des influences world music et des boucles lancinantes qui une fois rentrées dans la tête n’en ressortent plus.

À la recherche d’un son club, Booba flashe donc logiquement sur la prod’ de Marc Animalsons qui sonne comme deux gouttes d’eau à du Timbo – et tant pis si elle a apparemment été inspirée par Break Your Neck de Busta Rhymes.

Bertrand Cantat

La ref’ ? : « J’suis venu vous gifler, dédicace à Bertrand Cantat » sur Boulbi

1er août 2003. L’actrice Marie Trintignant décède d’un œdème cérébral suites aux multiples coups au visage que lui a porté le leader de Noir Désir.

Le drame choque le pays au point de marquer un avant et un après dans le débat des violences faites aux femmes.

David Beckham

La ref’ ? : « Tire, fuis, comme un coup franc de Beckham » sur Ouest Side et « Si j’avais la thune à Beckham, sa femme serait ma bonniche » sur Au bout de mes rêves.

Pas le emcee le plus branché foot qui soit, Booba cite pourtant à deux reprises l’ancien milieu offensif de Manchester United et du Real Madrid.

Réputé à l’époque pour la précision de son pied droit, il n’en était pas à tapiner pour le Qatar et à traverser la planète en avion pour assister à des cérémonies sur la sauvegarde du climat.

Mais bon, comme il s’habille bien, ça passe (merci Victoria).

Alexandre le Grand

La ref’ ? : « J’suis pas un chbeb comme Alexander » sur Ouest Side

Si Alexandre d’Oliver Stone sorti en 2004 avec Colin Farrell dans le rôle-titre n’a pas spécialement marqué les mémoires des cinéphiles, les historiens en revanche s’en rappellent encore, tant le travail de reconstitution est minutieux (costumes, décors, batailles…).

Cette exigence de véracité s’applique également aux relations qu’entretiennent les personnages, à commencer par celle qui lie le roi de Macédoine à son fidèle Héphaestion dont la bisexualité est clairement assumée.

À titre de comparaison, sorti en salles la même année, Troie de Wolfgang Petersen bottait lui allégement en touche sur ce sujet en présentant Achille (Brad Pitt) et Patrocle (Jared Letto) comme des « cousins ».

Le pistolet Glock

La ref’ ? : « Chaque fois qu’on passe devant ton bloc, dis-moi pourquoi tu louches ? Tu parleras moins avec un Glock dans la bouche » sur Ouais, ouais

De tous les calibres portés aux nues dans l’album (« le Smith & Wesson prêt à cracher », le .38 spécial, « le Kalachnikov dans le boul’ », le Desert Eagle, le 9mm…), le semi-automatique autrichien est le seul à être cité dans un refrain.

Mis au point en 1963 par l’ingénieur Gaston Glock, il a révolutionné la production d’armes de poing en étant le premier à recourir aux polymères, une sorte de plastique dur, aujourd’hui utilisés par toutes les firmes concurrentes.

[La légende urbaine qui veut que grâce aux polymères les Glock soient indétectables relève en revanche de la fable : avec 80% des pièces composées de métal (le canon, la culasse, le chargeur, les munitions…), ils sonnent comme les autres aux portiques de détection de métaux.]

Décliné depuis en une cinquantaine de modèles, le « G.L.O.C.K. » est particulièrement prisé pour sa légèreté et son extrême fiabilité, au point d’être adopté par de nombreuses polices et forces spéciales à travers le monde.

La Renault Clio

La ref’ ? : « Les n*gros ont la haine, j’ai le prix d’une Clio sur le poignet » sur Ouais, ouais

Selon l’argus, pour acquérir une Renault Clio en 2006, il fallait débourser dans les 13 000 euros.

Largement de quoi se payer la montre la plus en vogue à l’époque dans le rap, la fameuse Five Time Zone de Jacob the Jeweler. Portée par Jay Z, Pharrell, Diddy & Co., elle coûtait 5 500 dollars avant personnalisation, i.e. avant de la sertir de diamants à la hauteur de sa prochaine avance.

Notez que six ans après Ouest Side, Booba montera substantiellement en gamme : sur Tombé pour elle, il se vantera de porter « six années de retraite au poignet » – ce qui à raison de 5 000 euros mensuels (estimation basse) donne une breloque à 360 000 euros.

Al Capone

La ref’ ? : « Tout l’monde prend le micro, s’prend pour Capone » sur Ouais, ouais

Que les MC en fassent des caisses en studio, ce n’est un secret pour personne… et ce n’est peut-être pas plus mal comme ça pour la paix civile.

Non parce que du temps de sa splendeur, il est estimé qu’Alphonse Gabriel Capone ait commandité quelque 600 meurtres.

Montaigne

La ref’ ? : « Sur le plus haut trône du monde, on est jamais assis que sur son boule » sur Pitbull

Dans ses célèbres Essais, l’écrivain chantre du Siècle des Lumières balance au détour du troisième volume : « Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul » – soit en français moderne : « Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul ».

Mon cher Watson, il semblerait qu’il y en ait un qui a copié sur l’autre.

Pernell de Menace II Society

La ref’ ? : « Aider sa mère et l’aimer avec un cœur éternel/Ne pas prendre perpète comme Pernell » sur Au bout de mes rêves

Au tout début du film des frères Hugues, il est celui qui fait boire sa première gorgée de bière à un Caine encore enfant, avant de lui mettre une arme à feu dans les mains.

Plus tard, il est celui qui est vu du mauvais côté du parloir, enfermé à vie. Loin de son fils, loin de sa meuf qui s’en va dans les bras d’un autre.

DJ Mehdi

La ref’ ? : L’instrumentale de Couleur ébène

Dans la grande tradition de ses morceaux un peu chelou (Le mal par le mal sur Panthéon, Pourvu qu’elles m’aiment sur 0.9…), Couleur ébène tient une place à part puisqu’il s’agit de la seule et unique collaboration avec le regretté Mehdi Favéris-Essadi.

« Booba voulait être surpris. Il voulait une touche un peu fun (…). À ce moment-là, j’étais sur Lucky Boy pour Ed Banger. Je lui ai fait écouter quelques sons, c’était vraiment ce qu’il attendait. Je lui ai filé un beat pour lui, plus orienté rock et électro, très loin du ‘boom-tchack’. »

À mille lieux des ambiances sonores de la Mafia K’1Fry, B2O a de son propre aveu pas mal galéré pour poser.

Trivia : son « Un jour tu ris, un jour tu pleures » renvoie au « Un jour on pleure, un jour on rit » d’Ideal J sur leur classique Le ghetto français produit en 1996… par DJ Medhi

Supertramp

La ref’ ? : Le sample de l’outro

Bizarrerie toujours, Gallegos (ex-La Cliqua) est allé chercher du côté de la pop britannique des seventies pour conclure les débats sur une note grandiloquente.

Le choc des cultures est d’autant plus fort que leur chanson Babaji célèbre le maître spirituel indien éponyme, tandis que l’Ourson donne dans le matérialisme bas du front en comparant les vertus de la livraison de pizzas à celles de la vente de chnouf.

La Bible

La ref’ ? : « Les derniers seront les premiers » en outro

Bien qu’il « ne prie pas le dimanche » (Couleur ébène), il est très probable que Booba fasse ici référence, non pas à Céline Dion, mais à la parabole des ouvriers de la onzième heure de l’Évangile selon Saint Mathieu – celle où un propriétaire terrien rémunère à l’identique tous ses employés, qu’importe le nombre d’heures travaillées.

C’est d’autant plus probable que, précédemment il s’attristait de la mort du Christ au refrain de Boulbi, non sans écarter les bras en croix dans le clip.

Après 58 minutes et 14 secondes de rap sombre et nihiliste, Ouest Side se termine ainsi sur ces belles paroles louant la générosité divine et l’égalité totale devant le salut.

N’allez toutefois pas confondre B2O avec un ravi de la crèche : deux ans plus tard, il signera son grand retour en clamant « se laver le pénis à l’eau bénite ».

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