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Rencontre avec l’équipe du film « Tueurs » [INTERVIEW]

Rencontre avec l’équipe du film « Tueurs » [INTERVIEW]

Entretien exclusif avec le réalisateur du film, François Troukens, et trois éléments clefs d’une B.O très rap, Isha, Senamo et Lord Gasmique.

Tueurs, d’emblée, le titre donne le ton. La simplicité du mot est glaçante, mais l’effet est immédiat. Le film a bien sûr aiguisé la curiosité de la rédac de Booska-P, proposant un polar aux accents politiques accompagné d’une bande originale sur-mesure, travaillée avec la crème du rap belge. Une bande de gangsters dont les noms résonnent actuellement chez nous : Damso, Isha, Roméo Elvis, Senamo, Caballero & JeanJass, Hamza, Lord Gasmique.

Voulant en savoir un peu plus sur cette oeuvre complète et bien dans son époque, Booska-P est allé à la rencontre de François Troukens, réalisateur du film, mais aussi des rappeurs Senamo, Isha et Lord Gasmique. Des artistes qui ont mêlé leur savoir-faire pour proposer un long-métrage et une B.O populaires dans le sens noble du terme.

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François Troukens, ancien gangster et artiste accompli

Il a été braqueur, il est aujourd’hui écrivain, réalisateur et homme de médias. Cet homme, c’est François Troukens. Un Belge qui a décidé de faire cohabiter rap et cinéma dans sa dernière création, Tueurs, dans les salles obscures depuis le mercredi 6 décembre. Sûr de lui, sûr de sa force, il compte sur ce mélange des genres pour faire mouche et pousser le public à devenir curieux. Celui qui a connu la cavale et la prison nous a renseignés avec classe sur sa volonté de proposer une production « populaire sans être vulgaire » et sans renier son passé.

A l’heure où le rap a pris possession de l’univers carcéral et des cours de récréation, ce n’est pas son expérience derrière les barreaux qui a poussé François Troukens à présenter une B.O 100 % Hip-Hop. Comme il nous l’explique, il préférait voguer vers d’autres horizons musicaux : « En prison, ils écoutent en général du rap à l’ancienne. Quand j’y étais c’était beaucoup NTM, avec des morceaux qui dénoncent. Booba tourne aussi beaucoup en taule. Le problème pour moi du rap en prison, c’est que ça te ramène toujours à ta condition. Moi je préférais écouter du Feret, du Gainsbourg ou du Bach pour m’aérer le cerveau. Le souci c’est que les détenus écoutent leur musique sur des baffles de 450 watts, à donf. Et ça te fait une cacophonie, etc… Par exemple quand tu veux prendre le temps pour écrire en prison et que ton voisin écoute de la techno, ou du rap mal enregistré, c’est moyen « .

Je m’attendais presque à du rap punk, à l’ancienne et on se retrouve avec quelque chose de très élégant. Les gens qui n’aiment pas le rap peuvent écouter ça en boucle

Dès lors, comment expliquer sa volonté de faire cohabiter rap actuel et gangstérisme sur un seul et même projet ? Un coup de coeur, tout simplement. Adepte d’un rap plus violent, plus dénonciateur, François Troukens a fait corps avec les sonorités d’aujourd’hui qu’il juge plus mélodieuses et à même d’être écoutées par tous : « Moi, à la base, je suis plus sur un rap dur, qui cogne. Là, avec la B.O, on est sur quelque chose de plus actuel, de musical. Il y a quelque chose de plus mélodieux aujourd’hui dans le rap. Moi je m’attendais presque à du rap punk, à l’ancienne et on se retrouve avec quelque chose de très élégant. Les gens qui n’aiment pas le rap peuvent écouter ça en boucle. C’est comme le cinéma, c’est un art populaire« .

Pour composer sa fameuse bande originale, il s’est aidé d’un maître en la matière, Clément d’Animalsons, qui a déjà travaillé sur le Tour de France de Sadek et Gérard Depardieu : « Avec Clément, on a énormément réfléchi à l’émotion qu’on voulait faire passer. C’est quelqu’un de très fort, qui arrive à tout faire. Il peut travailler avec tout le monde, faire du M83, du rap ou même de la musique classique. On voulait faire de la musique un personnage à part entière du film. On s’est limité à 12 titres mais on aurait pu en faire beaucoup plus« .

Les artistes sélectionnés viennent bien entendu du plat-pays. De quoi faire avec un surréalisme tranchant, apte à colorer une soundtrack qui fait la différence. L’ex-gangster a un mot pour chacun de ses invités d’honneur : « Un mec comme Roméo Elvis, je l’appelle le Tarantino du rap. C’est un type qui peut te faire passer des choses vulgaires, très cash et avec le sourire. Il peut dire des choses atroces, mais ça passera bien. Lord Gasmique est brut, sans artifices. Isha est quelqu’un de très investi, puis Senamo, c’est mortel. Leurs textes sont forts« .

Mon cinéma est hyper accessible, mais ça peut mettre mal à l’aise des spectateurs qui disent : « Je prends mon pied, mais je ne peux pas être d’accord avec lui ». Je les pousse à être fasciné par un braqueur, un mec attachant

Plus conclure, il ose le paralèlle entre son oeuvre et celle d’un autre rappeur belge : « Damso, c’est un vrai auteur, qui en dérange certains, avec des mélodies très accessibles. Mon cinéma rejoint ça, c’est hyper accessible, mais ça peut mettre mal à l’aise des spectateurs qui disent : ‘Je prends mon pied, mais je ne peux pas être d’accord avec lui’. Je les pousse à être fasciné par un braqueur, un mec attachant« .

Isha, Senamo et Lord Gasmique, les rappeurs honorés

Après un rendez-vous avec François Troukens, l’heure est venue pour nous de faire face à trois lascars made in BX : Isha, Senamo et Lord Gasmique qui ont respectivement signé les morceaux Définition d’un O.G, Pile ou face et Sans limites. Trois titres différents mais qui s’accordent, donnant une couleur sombre au projet, avec les thèmes de la mort et du crime comme leitmotiv.

Plus souriants que sur leurs mesures travaillées pour la B.O de Tueurs, ils ont pris place face à Booska-P pour une interview croisée.

On a eu François Troukens hier, il était très satisfait de cette bande originale…

Isha : C’est parfait ça !

Senamo : C’est un mec énorme, incroyable.

Lord Gasmique : J’étais à l’avant-première hier et il était fier de son bail, c’est quelque chose qui fait plaisir.

Justement, comment on se retrouve à bosser sur un tel projet ?

Lord Gasmique : On a tous été contactés, on se demandait qui était sur le dossier. Tout le monde a accepté, de là, on s’est réuni et on a vu le film une première fois. Le projet a été expliqué, discuté, avec Clément d’Animalsons notamment. C’est un gros producteur qui a déjà travaillé sur des B.O de films. Les rencontres étaient individuelles, on partageait nos goûts, ce qu’on voulait faire, etc. C’était un bon moyen de se faire une idée du truc final.

Senamo : Cela s’est fait très naturellement, vraiment sans prise de tête. On a écouté un peu à droite et à gauche ce que les autres faisaient comme sons, vu qu’on est quand même très proches les uns des autres. Et le truc a évolué petit à petit. Au début on travaillait avec une première prod, qui a ensuite été retravaillée, recomposée avec Clément.

Au niveau de l’inspiration, vous êtes-vous basés sur la vie de François Troukens ou sur son film ?

Isha : On a un peu discuté autour de ça, mais je ne pense pas qu’on se soit inspiré de sa vie pour écrire nos textes. Même chose avec le film, au final on a été très libres. C’est plus un mood général autour du sujet.

Lord Gasmique : De mon côté j’ai quand même essayé de faire quelque chose en rapport direct avec le film. Comme Lord Gasmique est de base un personnage, il m’est facile de me mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. J’adore ne pas être moi-même, tout simplement. Là, on va dire que je ne me suis pas inspiré intégralement du film, mais l’idée du scénario plus la prod, ça a donné mon morceau.

Senamo : Le film est assez cru, donc c’est clair que ça a donné un ton général à la compilation. On ne pouvait pas arriver avec un truc pop, simplement dansant etc. Hamza a une vibe bien à lui, mais ça reste dans la thématique. Puis le fait que ce soit Clément qui ait bossé toutes les instru, ça donne une homogénéité au projet.

François disait que le rap, comme le cinéma, était un art populaire au sens noble du terme.

Isha : C’est ce qui fait la force du projet, c’est écoutable par tout le monde. Lorsqu’on a fait le showcase, il y avait des darons qui m’ont félicité. Le Rap en général, pour citer un exemple, ça ne parle pas forcément aux parents ou aux personnes plus âgées. Et là ça parlait à ces gens et même aux plus jeunes.

Senamo : C’est intergénérationnel. Le fait que nos morceaux s’inscrivent dans l’histoire d’un film, ça enlève le contexte de base du Rap. Les gens ont plein d’a priori sur ce qu’est le rap. Au final, on est en 2017, le genre a évolué de ouf, il y a plein de nouvelles couleurs. Sur tous les tracks de la B.O, il y a un panel super large de sons et je pense que maintenant tout est écoutable. Dans la vie, il y a des insultes partout, les enfants voient des trucs aujourd’hui qui pervertissent beaucoup plus qu’en écoutant simplement du Rap. C’est clair que c’est une force d’avoir cette carte de visite, ça nous permet de montrer notre palette et l’étendue des couleurs musicales qu’on peut offrir.

Dans votre carrière, c’est une étape qui met en valeur un savoir-faire très belge. Chacun amène sa touche.

Isha : Notre force, je pense que c’est la diversité dans les univers, dans les sons, dans les écritures… C’est ce qui caractérise BX, chacun à son truc, on s’inspire les uns des autres. C’est la force de la compil et la force de la ville.

Senamo : A BX par exemple, tu n’as pas de cités, de quartiers excentrés et périphériques. Tout est presque au même endroit, tu peux être dans une zone bourgeoise et faire deux pas et te retrouver là où il y a des logements sociaux. En vrai, tout le monde côtoie tout le monde sans a priori. En plus, on a un climat qui joue sur ça, en Belgique il pleut tout le temps donc forcément ça donne une couleur à ce qu’on fait. Le fait de cotoyer beaucoup de cultures différentes ça t’ouvre, ici on est tous curieux.

Cela se retrouve dans le projet, chaque titre apporte sa touche, chacun a son originalité…

Senamo : Les retours qu’on a, ça nous donne un recul qu’on avait pas forcément. Là, les gens nous disent par exemple qu’ils écoutent tout d’une traite, c’est ultra positif. Un journaliste nous a dit qu’au lieu de réécouter un titre en particulier, il préférait se refaire le disque en entier.

https://www.youtube.com/watch?v=rQu8OpWpVPo

Travailler sur cette B.O, qu’est-ce que ça apporte ?

Isha : C’est quelque chose de prestigieux. Moi je peux dire à ma mère : « Regarde, j’ai travaillé là-dessus ». Quand on voit les efforts fournis pour ce film, la B.O, c’est un honneur de faire partie de tout ça. Faut dire ce qui est, c’est la classe quand même (rires) !

Lord Gasmique : C’est élégant !

Senamo : Au-delà des moyens, c’est aussi des gens qui nous font confiance. Ils nous mettent en avant, nous valident. C’est une chance pour nous.

Passer devant la caméra, ça peut le faire pour vous si une proposition arrive ?

Senamo : Chaud !

Isha : Chaud aussi.

Lord Gasmique : Je ne sais pas si je peux dire que je suis chaud, là comme ça. Jouer un personnage dans un clip, ce n’est pas la même chose que sur une heure et demi. Mais il ne faut pas se mettre de barrières, ça peut être une expérience en plus !

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