En marge de la sortie du long-métrage Carbone, Gringe s’est confié à Booska-P. L’occasion d’évoquer son parcours atypique.
On l’avait quitté il y a presque deux ans avec Comment c’est loin, le film de son pote Orelsan où il jouait l’ancien Gringe, le Normand d’adoption abonné à la galère. Un type à la recherche de motivation pour lancer sa carrière de rappeur.
Conforté dans ses ambitions cinématographiques, le Casseur Flowter revient à l’écran dans Carbone, le dernier film d’Olivier Marchal. Pour sauver l’entreprise de son frère de coeur (Benoît Magimel) et se remplir les poches, il participe en compagnie de ce dernier, de sa mère (Dani) et son frère de sang (Idir Chender) à mettre au point une arnaque à haut risque basée sur la taxe carbone.
Pour Booska-P, Gringe s’est confié sur sa « bonne étoile », l’approche de son rôle dans le film et la place prépondérante du cinéma dans son parcours.
En à peine dix ans, tu es passé des journées de galère dans l’abribus du Stade d’Ornano au rush des journées de promo. Comment tu vis cette évolution ?
Je ne me rends pas compte. C’est bizarre, mais je l’observe plus dans le regard de mes proches ce changement. Je crois que je suis tellement la tête dans le guidon… Après, je reconnais que j’ai quand même une chance incroyable, j’ai une bonne étoile. A commencer par Orel qui m’a tendu la main la première fois pour me sortir de mon ennui. Ensuite, les opportunités se sont un peu enchaînées. Après les deux albums, on a fait Bloqués et le film Comment c’est loin. Olivier Marchal l’a vu, le kiffe et kiffe ma partition dedans et du coup me propose un rôle. J’ai un agent depuis, j’ai tourné dans deux autres films cet été. J’espère que ça va continuer.
Justement, Olivier Marchal tu l’as rencontré comment ?
On a été au festival du film de Saint-Jean-de-Luz où il était jury. Notre film était projeté hors-festival, mais Olivier Marchal est quand même venu par curiosité. C’est marrant parce qu’il était avec Josiane Balasko et Manu Payet, je crois. On était tous sur la même rangée avec mes potes. Ils étaient juste derrière nous et on les entendait se marrer à nos vannes. Il y a un espèce de paradoxe où on se dit que c’est fou parce que c’est nous qui les regardions avant au cinéma. Il y a un rapport inversé qui est totalement improbable. En plus, qu’il ait apprécié le film… Il est venu me voir après la projection pour me dire qu’il avait beaucoup aimé, qu’il cherchait des jeunes nouvelles gueules pour son prochain film et qu’il aimerait que j’en fasse partie. Il m’a fait une proposition ferme, je n’ai pas eu à passer de casting.
Au tout début du film, il y a Suicide Social d’Orelsan dans la BO. Vous vous suivez partout en fait…
C’est mortel qu’il m’accompagne au-delà de la musique. Il y a aucune corrélation entre le fait que je sois dans le film et le fait qu’Olivier ait mis ce son. C’est vraiment un kiff de sa part, je crois qu’il aime beaucoup la musique d’Orel. Dans le film y a pas seulement ce morceau, il y a une touche très rap avec des morceaux de la Scred Connexion, de MC Solaar… Mais Suicide Social lui tenait vachement à coeur parce qu’il a une sorte de résonnance dans l’histoire.
Parlons-en de l’histoire. Dans le film, tu joues le type le plus équilibré du trio d’arnaqueurs, celui qui gère le mieux la frontière entre le bien et le mal. Comment tu as abordé ce rôle ?
Je suis d’une nature calme dans la vie. Je pense être assez sage et pas tellement dans les excès. J’ai beaucoup été dans les addictions des années en arrière, j’en suis revenu un peu émoussé quand même. J’y ai laissé des plumes et j’ai traversé des périodes très dures dans ma vie. Du coup, aujourd’hui, je pose un autre regard sur moi, sur mon fonctionnement. Je me connais mieux donc je suis devenu beaucoup plus vigilant avec moi-même et vis-à-vis des autres. Du coup, c’est pas tellement un rôle de composition pour moi. En plus, j’ai deux petits frères, donc même dans la relation que j’avais à construire à l’écran avec Idir Chender, qui joue le rôle de mon petit frère dans le film, je suis allé piocher un peu dans ce que je connaissais. C’est pas un rôle très éloigné du mec que je suis dans la vie.
Il y a quelque chose de grisant à basculer d’une matrice à une autre
Un des thèmes qui ressort, c’est la manière dont les trois frères vont aborder ce changement soudain de dimension. C’est quelque chose que tu as pu connaître dans la vraie vie avec le rap, ça t’a aidé ?
Ouais totalement. Après on est quand même dans une fiction, avec une hiérarchie dans le séquençage des scènes, donc t’es pas en immersion en permanence dans le truc. Je sais pas si ça m’a aidé tant que ça. Il y a un côté grisant à basculer d’une matrice à une autre, surtout quand tu vas dans les extrêmes et que tu atterris dans une débauche de luxe, quelque chose qui fait que tu peux t’y perdre totalement. J’ai peut-être pu ressentir ça les premières années dans ce qu’on a fait avec Orel. Les premières fois où les gens te reconnaissent, en tournée quand tu es un peu choyé et qu’on t’apporte tout sur un plateau… Tu vis des trucs électrisants où d’un coup, tu montes sur scène et les gens connaissent tes chansons. Cette adrénaline que tu ressens, c’est indescriptible, il faut vraiment le vivre pour le comprendre. C’est quelque chose que j’ai joué. L’histoire est inspirée de faits réels et je pense que les mecs, dans la vraie vie, étaient dans cette quête d’adrénaline. Quand tu y as goûté, c’est un piège, une addiction terrible. C’est une espèce de folie des grandeurs où tu peux perdre les pédales.
Tu t’es beaucoup renseigné sur ces mecs-là avant le film ?
J’ai pioché à gauche à droite, mais il y a très peu d’infos qui ont filtré. Olivier m’avait dit aussi de pas non plus trop me documenter pour avoir quelque chose de spontané. En plus, c’est un excellent directeur de comédiens, il me distillait tout le temps des bonnes indications de jeu. Mais je me suis quand même renseigné un chouïa, pour savoir de quoi ça parle et quel genre de mecs ils étaient.
Quand tu as une fibre artistique, il faut la développer au maximum
Le nom Casseurs Flowters c’est une référence à Maman, j’ai raté l’avion. Votre premier album, on peut l’assimiler à un scénario de film dans sa construction. Au final, le cinéma a toujours été un peu présent dans ta carrière…
Ouais, même dans les clips avec Orel. C’est toujours hyper référencé, il y a un côté très artisanal où Orel réalisait nos clips et on les écrivait ensemble. Je pense que c’est un truc qui nous accompagne, on se nourrit de différents univers et on a des références communes. On est tous les deux des amoureux du cinéma et des séries, du coup c’est un univers dans lequel on va piocher régulièrement quand on écrit, quand on fait nos clips et même pour cette envie de faire Bloqués ou Comment c’est loin. On se sent légitime à vouloir aller là-dedans. Il y a ce truc en France où les gens refusent qu’on soit pluridisciplinaire. Quand t’es chanteur, tu peux pas devenir comédien et vice-versa, il y a toujours un truc qui irrite les gens. Au contraire, moi je pense que quand tu as une fibre artistique, il faut la développer au maximum. De mon point de vue, j’ai eu cette chance qu’Orel m’amène un rôle dans le film qu’il venait d’écrire, que Kyan Khojandi, Bruno Muschio et Harry Tordjman viennent nous chercher pour Bloqués. C’était un super exercice pour jouer, pour découvrir la comédie. On était dirigé par des mecs qui avaient de la bouteille et une vision qui nous plaisait. Je pense que ça peut s’emboîter, qu’il y a des disciplines intimement liées en vérité.
T’as souvent cité L’Skadrille dans tes influences rap. Ce serait quoi tes inspirations si on devait transposer ça au cinéma ?
Je suis fan du cinéma asiatique. Je regarde beaucoup de films coréens et chinois. Mon film préféré c’est J’ai rencontré le diable de Kim Jee-woon. J’adore l’esthétique des films asiatiques, c’est d’une violence sans nom, mais en même temps d’une infinie psychologie et poésie. J’adore cette dualité que tu ne retrouves que dans leurs films.
Au niveau de tes projets, tu parlais de deux films en cours en plus de ton album solo qui arrive. Tu peux nous en parler un peu ?
L’album arrive l’année prochaine. Les films sont tournés déjà, ils sortiront l’année prochaine également. J’ai joué dans Les Chatouilles d’Andréa Bescond et Eric Métayer qui est en cours de montage. C’est l’adaptation de la pièce de théâtre du même nom, un seul en scène qui avait valu un Molière à Andréa Bescond. J’ai adoré la pièce, il y a un casting qui s’est ouvert et j’ai pu décrocher un rôle. J’ai aussi joué dans un film de Sébastien Marnier qui s’appelle L’Heure de la sortie où j’ai pu donner la réplique à Laurent Lafitte et Emmanuelle Bercot. C’est des expériences incroyables pour lesquelles je me sens encore très chanceux. C’est hyper enrichissant et je me découvre un réel plaisir à jouer et à vouloir continuer.
Pour finir, si tu devais choisir entre un Oscar et un Grammy, tu prendrais quoi ?
Un Oscar, direct. J’ai infiniment plus d’admiration pour le métier de comédien, même si j’adore la musique et le rap en particulier. C’est juste que ma passion première, c’est le ciné quoi. Il y a vraiment des comédiens qui me transportent quand je les vois, c’est un peu moins le cas dans la musique.