A l’occasion de ce 24 septembre 2020, date de son septième anniversaire, la question est posée…
L’histoire de Drake c’est l’histoire d’un adolescent acteur qui le soir enregistre de la musique dans sa chambre, sort ses premières mixtapes sur un label fictif de son invention, s’amuse à mélanger au plus premier des degrés aussi bien le chant et le rap que la réalité et l’imaginaire, se fait repérer par le label le plus hot de son temps, puis qui en 2011 grâce à son magnum opus Take Care redéfinit pour de bon les canons de la « realness » en laissant libre cours à sa sensibilité.
Deux ans plus tard, à 26 ans, vient le moment pour lui, non seulement de confirmer tout son talent avec un nouveau disque, mais aussi et surtout d’accéder au rang de superstar.
Ce disque c’est Nothing Was The Same, un disque qu’il faut avoir écouté dans sa vie.
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1. Tuscan Leather
Pas de grand album sans ouverture digne de ce nom.
C’est sûrement ce qu’a dû se dire 40 lorsqu’il s’est mis à triturer dans tous les sens le I Have Nothing de Whitney Houston 6 minutes 6 secondes durant pour un résultat que n’auraient renié ni les Diplomats de la grande époque, ni le Kanye West du College Dropout.
Titré d’après le parfum de Tom Ford du même nom vendu à plusieurs centaines de dollars le flacon, cette intro est l’occasion pour Drizzy de faire rimer « record » avec « record » d’afficher clairement ses ambitions, lui qui au-delà des chiffres de ventes se fixe pour mission de « faire bouger les lignes de la culture ».
2. Furthest Thing
Du Drake pur jus qui se lamente (une fois de plus) sur une ex (une de plus) en rejetant la responsabilité de l’échec de leur relation passée sur sa petite personne.
R.A.S. serait-on donc tenter de conclure, si ce n’est qu’à l’entame du troisième couplet le beat change du tout au tout pour se faire plus triomphant, influences « chopped & screwed » en prime.
Sinon, n’en déplaise aux linguistes un peu trop zélés soulignant que « FARthest » eut été ici le terme adéquat, la distance évoquée n’étant pas géographique mais figurative, « FURthest » est employé à bon escient.
3. Started from the Bottom
Le single qui a rebattu les cartes du game.
Dans un rap encore engoncé dans les carcans de la crédibilité de rue, Drake-le-gosse-de-la-classe-moyenne-canadienne se permet une fiction des plus audacieuses clamant haut et fort avoir démarré tout en bas de l’échelle sociale.
Et qu’importe si pour preuve de ses années de « galère » il avance le fait de s’être engueulé tous les mois avec sa mère ou d’avoir dû emprunter la caisse de son oncle, ce faisant il a réussi d’un coup d’un seul à décomplexer sur ce point quantité d’artistes et d’auditeurs.
Ben ouais, depuis SFTB rapper une vie qui n’est pas la sienne ne pose plus aucun problème.
Merci Future, Jay-Z, DJ Khaled et Gangnam Style.
4. Wu-Tang Forever
Question : existe-t-il au monde un morceau qui sonne moins Wu-Tang que Wu-Tang Forever ?
Non parce que si vous vous attendiez ne serait-ce que vaguement à une ambiance Shaolin, quand bien même le classique It’s Yourz est samplé, Drake conte ici l’histoire d’une fille qui jadis le portait dans son cœur…
Certes au fil des mesures on comprend qu’il s’agit d’une métaphore de son influence sur le game (« Ce qui compte ce n’est pas d’être le premier/C’est d’être le premier à bien le faire »), certes tout cela passe crème à l’oreille, mais bordel quel est le rapport avec la bande à RZA ?
5. Own It (Ft. PARTYNEXTDOOR)
Dans la continuité de l’instru de Wu-Tang Forever, sans être impérissable cette cinquième piste fait le taf, à savoir donner une coloration « album » à Nothing Was The Same.
Volontairement plus éclectique que Take Care, NWTS ne fait cependant pas l’économie de la cohérence, chaque pierre apportée à l’édifice procédant de la volonté de bâtir une œuvre.
Ou quand la priorité n’était pas encore pour le Champagne Papi à la course aux streams, aux placements de produits Apple et aux playlists attrape-likes (Views, More Life, Scorpion… oui, c’est de vous que l’on parle).
6. Worst Behavior
Dans un style que l’on ne lui connaissait pas forcément, à mi-chemin entre Kanye West et Soulja Boy, hors de ses gonds, le Christ s’en prend à toutes celles et ceux qui ont eu l’outrecuidance de ne pas croire en lui dès le départ, non sans s’époumoner « mothafucka » autant qu’il le peut (19 occurrences au total).
Et tant pis si l’exercice n’est en apparence pas technique pour un sou, il se révèle très vite diablement entraînant, la production DJ Dahi n’y étant pas pour rien – tout comme le copié/collé du couplet de Mase sur Mo’Money Mo’Problems.
Hasard qui n’en est pas un : tandis que le clip met en scène son paternel, Drake, aka « the boy », insiste une fois de plus sur sa transition vers l’âge adulte (« Always hated the boy, but now the boy is the man »).
7. From Time (Ft. Jhené Aiko)
Moment d’intimité en compagnie de Chilly Gonzales au piano et de Jhene Aiko au refrain, From Time se veut un nouveau Marvin’s Room.
Sa relation avec le père, ses errances passées, Courtney de chez Hooters, l’âge de sa mère… tout y passe, à tel point que si vous n’êtes là que pour la musique, et pas pour vous farcir un inventaire complet des malheurs du gentil Aubrey, vous avez le droit de trouver ça un brin rébarbatif.
La vie par procuration ça a ses limites.
8. Hold On, We’re Going Home (Ft. Majid Jordan)
« Cette chanson c’est 40 et moi qui à notre modeste niveau nous nous sommes mis en mode Quincy Jones/Michael Jackson. À l’entame de l’album, je me disais que ce serait cool d’avoir un titre qui tournerait dans les mariages dans dix ans ou un titre que les gens séparés de leurs familles comme les militaires pourraient écouter. Un truc intemporel tant dans les paroles que dans la mélodie. »
Sept ans après les faits, le pari est en passe d’être gagné.
Beaucoup plus à l’aise en chant grâce à son travail en amont avec un coach vocal (ce qui était loin d’être toujours le cas sur ses projets précédents…), l’ami Drizzy parvient en effet avec ce tube à vous rendre nostalgique de trucs qui ne vous sont pourtant jamais arrivés.
9. Connect
L’histoire d’une relation des plus toxiques qui s’éternise au-delà du raisonnable à cause d’un Drake toujours prompt à trouver un prétexte pour ne pas couper les ponts.
Moins gentil garçon qu’il en a l’air, il profite de cette bluette pour régler ses comptes dans ce qui demeure l’un des sommets d’agressivité passive de sa discographie Cf. les douceurs « J’me souviens quand j’avais ton temps » et autre « Wish you would learn to love people and use things/And not the other way around »…
10. The Language
Siphonneur en chef du triplet flow des Migos, le pas encore autoproclamé 6 God se laisse ici aller à la braggadocio la plus totale.
Très proprement exécuté, ce banger qui ne dit pas son nom bénéficie en sus de l’intervention du honcho Birdman qui dans les quarante dernières secondes fait rimer au plus premier des degrés une série de mots dont lui seul peut leur insuffler une telle intonation (« Showtime/headlines/Big Tyme/sunshine/tote 9’s… »).
Bref, ne vous sentez pas en aucun cas coupable d’appuyer une fois ou deux sur replay avant de passer à la suite.
11. 305 to My City (Ft. Detail)
Grand amateur de clubs de striptease, Drake rend à première vue un hommage appuyé à une danseuse. Cette dernière est d’ailleurs tellement douée qu’il insiste pour lui payer un billet d’avion pour le Canada.
Quelques écoutes plus tard, difficile néanmoins de ne pas relever l’ambiguïté de ses « I get it, I get it » répétés en boucle : au mieux ils renvoient à une forme de flatterie (toute qu’il souhaite c’est coucher avec elle), au pire à de la condescendance (aucun de ses accomplissements ne trouve grâce à ses yeux, elle est et reste une fille qui vend ses charmes).
Trivia : 305 correspond au code postal de Miami, la durée du morceau (4 minutes 16) correspond au code postal de Toronto (416).
12. Too Much
Variation du piano voix du même nom du londonien Sampha, cette douzième piste posée dans les derniers jours de la conception de NWTS aurait pu se contenter d’être une gentille ballade. Sauf que non.
Hanté par la trace qu’il va laisser dans le game, se sachant à la croisée des chemins, Drake livre ses doutes et ses états d’âme dans le premier couplet avant d’élargir son sujet sur le second en traitant du temps qui passe et des renoncements qui vont avec.
L’un de ses meilleurs textes ?
13. Pound Cake/Paris Morton Music 2 (Ft. JAY-Z)
L’outro officielle. Découpée en deux parties.
La première qui sample la voix du jazzman Jimmy Smith (« … seule la vraie musique reste… »), fait intervenir un Timbaland non crédité au refrain reprenant C.R.E.A.M. du Wu-Tang Clan et se conclut par l’unique invité rap du disque, Jay Z, qui fait rimer dix-sept fois « cake » sur un couplet.
La seconde qui sur un changement de beat référence le mannequin Paris Morton, celle-là même à qui il avait précédemment dédié la pépite Paris Morton Music.
Très classe donc, et parfaitement en phase avec le mood (à l’époque c’était un vrai mot, pas un hashtag) du projet.
14. Come Thru
Premier ajout de l’édition Deluxe, Come Thru se fond parfaitement dans la tracklist selon une formule désormais éprouvée : une mélodie sucrée qui donne envie de bouger la tête, de l’émotion, des paroles qui rappellent à tout un chacun un moment privilégié de sa vie… et un changement d’instru dans le dernier tiers.
Si jusqu’à présent vous avez kiffé, aucune raisons que ça change.
15. All Me (Ft. 2 Chainz & Big Sean)
Texte vraiment mou du genou de 2 Chainz, refrain sans originalité, instru au potentiel pas vraiment exploité, couplet insipide de Big Sean*… le premier filler de l’album.
C’est d’autant plus dommage que quantité de titres enregistrés à cette époque aurait mérité une telle exposition Cf. le Care Package sorti en 2019 qui compilait des chutes de studios ultra quali (Girls Love Beyoncé, 5AM in Toronto…).
* À l’exception de la ligne « My new girl is on Glee and shit/probably making more money than me and shit’ » qui résonne aujourd’hui comme un hommage à la défunte Naya Rivera.
16. The Motion (Ft. Sampha)
Retour gagnant pour Sampha avec cet ultime tour de piste aux faux airs de single.
Composée de plusieurs couches de synthé, sans en faire trop l’instru touche encore une fois dans le mille.
Quitte à enfoncer une porte ouverte, 40 est sur ce morceau comme sur le reste de NWTS à louer tout autant que Drake.
Verdict : « Nothing Was The Same » est-il meilleur que « Take Care » ?
Si bien malin qui peut répondre de manière définitive tant d’un côté comme de l’autre les arguments ne manquent pas, il en est qui pèse peut-être plus que les autres dans la balance pour couronner ce troisième essai : Drake évolue ici dans sa forme finale.
Complètement en phase avec lui-même, il déroule toutes les facettes de son talent sans que l’on ne sente le moindre effort de sa part.
Ou pour citer l’intéressé sur le sujet lors de la campagne de promotion : « La musique que je propose est cette fois plus concise, plus claire. J’ai, je pense, mieux assemblé ce que je suis sur cet album. Take Care est un grand album, mais quand je le réécoutais je me disais que je pouvais encore monter le niveau. Et je crois que j’y suis parvenu. »
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