Un article qui n’est ni un classement, ni un best-of, mais un petit peu quand même…
Drôle d’année que cette année 2018. Alors que le rap n’a jamais été aussi divers, le mouvement se composant désormais d’innombrables genres et sous-genres, ces douze derniers mois ont semblé marquer une fin de cycle.
Tandis que l’on célébrait les vingt-cinquièmes anniversaires des monuments Doggystyle et Enter the Wu-Tang, symboliquement bon nombre de cadors du game ayant grandi avec ces disques ont peiné à convaincre, quand ils n’ont pas flopé dans les grandes largeurs.
En vrai, passée l’agitation médiatique de la première semaine, qui a daigné réécouter les très tièdes sorties des Nas, Kanye West, A$AP Rocky, Jay Z, Drake, Nicki Minaj et autres Eminem ?
Certes quelques old timers à la Meek Mill, Pusha T (l’homme qui a sauvé la yeezy season) ou Lil Wayne ont su tirer leurs épingles du jeu, mais globalement le spectacle proposé se confondait à s’y méprendre avec celui d’une queue de comète.
Pour l’excitation mieux valait aller chercher du côté de Cardi B (oui Invasion Of Privacy est très bien), de Kodak Black, du triple CD de Rae Sremmurd ou de l’Astroworld de Travis Scott.
Du coup plutôt que de revenir sur ce qui a déjà été dit, pourquoi ne pas zoomer sur ces artistes évoluant en dehors des sentiers battus dont la qualité des projets aurait mérité plus de visibilité ?
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« Vacation in Hell » des Flatbush Zombies
Sorti le 6 avril sur The Glorious Dead.
Question capital sympathie, difficile de faire mieux que Meechy Darko, Zombie Juice et Erick Arc Elliott, alias les Migos de Brooklyn.
Pas walking dead pour un sou, ils poursuivent leur processus de normalisation avec un second album moins bizarroïde que leurs projets précédents (parce que moins psychédélique, moins « trippy ») sans pour autant diluer ce qui fait tout leur sel.
Si quelques longueurs se font sentir de çà et là (19 titres c’est toujours trop), elles se font vite oublier tant nos trois lascars ont mis un point d’honneur à varier les ambiances et les flows. Et tant pis si les instrus ne sont pas nécessairement des plus clinquantes, on n’est pas là pour écouter un rap qui sert à alimenter les playlists des salles de crossfit.
Plus voyage initiatique que vacances en enfer, ce vrai-faux double disque bourré de qualités et de défauts constitue au final une excellente entrée en matière à leur univers.
« Victory Lap » de Nipsey Hussle
Sorti le 16 février sur All Money In No Money Out & Atlantic Records.
Crenshaw est dans la maison ! Attendu depuis presque quatre ans, ce premier album officiel sorti après dix ans de carrière fait mieux que de ne pas décevoir les attentes – ce qui en soi n’était déjà pas une mince affaire.
Roi d’un G-Funk ici complètement revitalisé, Hussle rappe une heure durant comme s’il courrait un 400 mètres, et ce sans perde à aucun moment son souffle.
Aidé dans sa course par des featurings triés sur le volet qui s’insèrent à merveille dans la tracklist (Kendrick, Puffy, YG…), il donne l’impression à 33 ans de n’avoir jamais été aussi en forme.
Bien sûr il serait facile d’écrire après coup que ce n’était qu’une question de temps avant que l’héritier des Snoop et des Cube de la grande époque ne se réalise pleinement, mais vu la pression rien n’était joué d’avance.
Qui a dit replay ? Qui a dit top 3 de l’année ?
« Redemption » de Jay Rock
Sorti le 15 juin sur Top Dawg Entertainment & Interscope Records.
Un troisième album qui a bien failli ne jamais voir le jour, le rappeur le moins en vue du crew TDE ayant manqué de peu d’y laisser sa peau quelques mois auparavant suite à un accident de moto qui a laissé son corps en charpie.
Rock n’a cependant rien perdu de son mordant, bien au contraire. Quand bien même l’expérience l’a de son propre aveu rendu plus humble, elle a aussi et surtout décuplé sa rage de vaincre, au point de faire de cette dernière le véritable fil conducteur du disque.
Complètement dans sa zone, il s’appuie sur sa science sans pareille du storytelling pour enfin trouver cette cohérence et cette homogénéité qui faisait défaut à ses projets précédents.
Plus encore qu’à une rédemption, à 33 ans c’est à une résurrection à laquelle nous avons assisté.
« Room 25 » de Noname
Sorti le 14 septembre en indépendant.
Oubliez Cardi, oubliez Nicki, la female emcee de l’année c’est elle. Et de loin.
Après son Telephone de 2016 rapidement devenu culte parmi les initiés, Fatimah Warner a remis le couvert avec sa recette mélange de jazz, de spoken word et de gospel que ne renierait ni ses soul sisters à la Erykah ou Solange, ni ses aînés rappeurs de son Chicago natal à la Common ou Chance.
Toujours est-il que si les ingrédients restent les mêmes, une nouvelle étape a été franchie.
Plus dense, plus léché, plus mélodique, Room 25 met un point d’honneur à soigner les moindres détails (le choix des instrus notamment, mais pas que) sans pour autant tomber dans le piège d’une première écoute trop intellectuelle ou trop hachée.
Un petit miracle d’équilibre donc à qui le temps risque fort de donner encore plus de valeur.
« Care For Me » de Saba
Sorti le 5 avril sur Saba Pivot, LLC.
Petit chouchou de la critique cette année, le emcee chicagoan (tiens encore un) parfait enfin la formule qu’il élabore depuis ce jour de 2012 où était sortie sa toute première mixtape, GETCOMFORTable.
Placés sous le sceau du récent décès de son mentor et cousin, les dix titres enregistrés (tiens encore un album court) ont cependant le bon goût de ne pas tomber dans la mélancolie à gros sabots – ce qui paradoxalement permet une meilleure mise en relief.
Parfois enjoué, parfois triomphant, toujours posé, si Saba n’est peut-être pas le génie que certains aimeraient voir (oui des fois c’est quand même un peu chiant), à 23 ans il pose néanmoins les bases d’une seconde partie de carrière extrêmement prometteuse.
Bon, après pas dit qu’il squatte de sitôt les sommets des charts.
« Drip Harder » de Gunna & Lil Baby
Sorti le 5 octobre sur YSL/Quality Control/Motown/Capitol.
Ou quand deux rookies sur le point de devenir des rap stars à part entière se trouvent, trouvent leur son et trouvent leur public.
Héritiers directs de Young Thug, les deux jeunes hommes accordent ainsi à merveille leurs violons, chacun se nourrissant de l’énergie de l’autre. Bien malin d’ailleurs qui peut dire lequel des deux tire le mieux son épingle du jeu de cette mixtape qui n’a de mixtape que le nom.
Fruits de l’ébullition créative qui règne au sein de la scène d’Atlanta, Baby et Gunna portent ici sur leurs épaules la promesse d’un avenir radieux.
Mention spéciale enfin au beatmaker Turbo (huit prods ou co-prods sur treize titres) pour ses instrus en capacité de faire marcher sur le plafond la foule de n’importe quel club.
« Collection 1 » de SAINt JHN
Sorti le 26 mars en indépendant.
Vous aimez Future ? Tory Lanez ? Bryson Tiller ? Vous allez clairement adorer SAINt JHN, le « renoi en Kawasaki » pas vraiment chanteur/pas vraiment rappeur.
Sans révolutionner le genre le moins du monde, ce fils de pasteur élevé entre Brooklyn et la Guyane, ancien paroliers pour Joey Bada$$, Usher ou Jidenna et mannequin à ses heures perdues, parvient à faire entendre toute sa singularité grâce à un son à la croisée des chemins entre ce qui se fait aujourd’hui et ce qui se faisait hier (de la trap, de la pop, de la cloud, de l’électro…).
Rajoutez à cela ce-qu’il-faut-mais-pas-trop de touches emo et de frime, un talent certain pour les mélodies qui n’en ont pas l’air et quelques solides bangers (3 Below, Roses…), et c’est à se demander s’il n’existe pas un univers parallèle où ce type n’est pas déjà une superstar.
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