Des fois ça passe, des fois ça casse…
Drôle d’idée que de sortir deux albums la même année, quand ne serait-ce qu’en sortir un seul relève déjà du parcours du combattant.
Motivés par des raisons différentes (stratégie marketing, peur de disparaître des radars, intérêt financier, goût du challenge…), une poignée de rappeurs ont néanmoins osé franchir le cap.
De l’ère physique à celle du digital, petit récap’ des doublons qui ont le plus marqué les esprits.
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2Pac en 1996
Albums : All Eyez On Me &The Don Killuminati: The 7 Day Theory
Sitôt sorti de prison en octobre 1995, 2Pac s’enferme en studio. Précurseur en matière de productivité, il enregistre alors pour Death Row le premier double album de l’histoire du rap US.
Bénéficiant des services de la crème des producteurs de la côte ouest (Dr. Dre, Daz Dillinger, DJ Quik…) ainsi que de la force de frappe d’un label alors au sommet de sa domination, All Eyez On Me dévaste les charts du sol au plafond jusqu’à finir par décrocher une certification diamant.
Absolument pas rassasié, celui qui s’est rebaptisé entretemps Machiavel/Makaveli continue d’enregistrer les morceaux à la chaîne, et ce d’autant plus qu’il sent ses jours comptés.
Résultat, lorsqu’il tombe sous les balles le 13 septembre à Las Vegas, non seulement un album en bonne et due forme sort moins de deux mois après les faits (664 000 exemplaires vendus en première semaine, plus de six millions de copies écoulées depuis), mais les œuvres posthumes se succèdent ensuite sans discontinuer pendant dix ans.
Bon après de là à dire que Suge Knight n’est pas étranger à tout ça, il n’y a qu’un pas…
DMX en 1998
Albums : It’s Dark and Hell Is Hot & Flesh of My Flesh, Blood of My Blood
Si 2Pac a été le premier rappeur à voir deux de ses albums sortis la même année classés numéro 1, Earl Simmons peut lui se vanter d’avoir été le premier rappeur à avoir vu deux de ses albums sortis la même année classés numéro 1 de son vivant !
Dans un New York où le rap paillettes de Bad Boy Records domine, DMX, 28 ans, est celui qui remet le hardcore au centre des débats avec un premier disque aussi sombre qu’énergique bourré de singles au marteau-piqueur (Get At Me Dog, Ruff Ryders Anthem…).
Tout juste nommé président du Island Def Jam Music Group, Lyor Cohen souhaite capitaliser sans plus attendre sur cette demande nouvelle en proposant au Sombre Monsieur X de rempiler en échange d’un bonus d’un million de dollars s’il réussit à boucler un second disque en moins de trente jours.
Et c’est comme ça que 225 jours après It’s Dark and Hell Is Hot, FOMFBOMB et sa pochette culte double la mise avec 640 000 ventes en première semaine.
Tandis qu’à l’heure actuelle les deux opus se sont écoulés l’un dans l’autre à plus de sept millions d’exemplaires, une question demeure : qui dans le rap a jamais connu une meilleure année que DMX en 1998 ?
Nas en 1999
Albums : I Am… & Nastradamus
À l’opposé du spectre, Esco a-t-il réalisé là le pire back-to-back de l’histoire du rap ?
Suite au coup de maître Illmatic (1994) et au succès commercial de It Was Written (1996), le monde était à lui.
Tenté par le double album, il commence à enregistrer I Am… The Autobiography qui se veut une rétrospective complète de sa petite vie, du berceau à l’au-delà. Manque de chance, il fait partie des premiers artistes à faire les frais des nouvelles technologies : le projet fuite en format MP3.
Pas grave, il décide de compiler ce qui lui reste d’inédits sur un CD puis de rebosser à la va-vite sur d’autres titres.
Au final cela donne I Am…, un premier volet écoutable mais sans plus (2 millions d’exemplaires vendus, les singles Nas Is Like et Hate Me Now), puis Nastradamus qui, du titre à la pochette en passant par la tracklist, se plante lui à tous les étages.
Considéré selon tous les pronostics comme bon pour le cimetière des éléphants, Nas doit paradoxalement son salut à Jay Z qui en tentant de planter les derniers clous dans son cercueil l’a poussé à renouer avec la verve de ses débuts.
Nelly en 2004
Albums : Sweat & Suit
Première vraie pop star du rap au début du siècle (les faux pansements sur la joue, les Air Force One et les jerseys portés à l’envers c’est lui), le Saint Lunatic a très bien compris qu’il doit le carton de son précédent Nellyville (6 millions de copies vendues en 2002) à son duo de singles Hot In Herre et Dilemma, qui chacun dans leurs genres avaient séduit des publics différents (celui des clubs pour son banger produit par les Neptunes, celui des radios pour sa bluette chantonnée avec Kelly Rowland).
Persuadé d’avoir trouvé là une martingale, il joue ensuite cette carte à fond en sortant le 14 septembre 2004 deux albums aux directions artistiques antagonistes : le plutôt rnb Suit et le plutôt rap Sweat.
Question chiffres le pari est réussi puisque Nelly devient le premier artiste solo à classer simultanément deux albums en tête des ventes en première semaine avec 738 000 galettes écoulées en cumulé – soit un score supérieur à celui de Nellyville.
Artistiquement c’est plus compliqué, ne serait-ce parce que la moitié des titres sont des fillers.
Pas tombé de la dernière pluie, Deerty Mo’ revient l’année d’après avec Sweatsuit, un best-of des deux projets. Bien lui en pris puisque la manip’ lui permet d’accrocher un nouveau disque d’or et de populariser une nouvelle mode (les dents en or avec le hit Grillz).
Tech N9ne en 2009
Albums : Sickology 101 & K.O.D.
On ne vous parle très certainement pas assez de lui, mais Aaron Dontez Yates est clairement l’un des emcees les plus malins du game. Et ça ne date pas d’hier.
Toujours en bonne position dans les classements annuels des rappeurs les plus friqués, l’empire qu’il s’est patiemment bâti depuis deux décennies lui rapportent des millions sans qu’il ait à se soucier plus que ça des charts ou de passer tel ou tel deal avec telle ou telle marque.
Son secret ? Son goût pour l’indépendance.
Propriétaire de ses propres studios d’enregistrement, de son propre label (Strange Music), de sa propre société de tournage (ce qui est bien pratique lorsque l’on donne des concerts quasiment un jour sur deux) et de sa propre entreprise de merchandising (qui importe directement ses produits de Chine), Tech N9ne fait en sus presser lui-même ses CD.
Du coup si l’envie lui prend de sortir deux albums la même année, la seule personne à qui il doit demander la permission,c’est lui-même.
Et avec des marges estimées cinq à six fois supérieures à celles de ses confrères, il aurait tort de s’en priver.
Lil Wayne en 2010
Albums : Rebirth & I Am Not A Human Being
Best rapper alive grâce à son Carter III de 2008, Weezy se pique d’un caprice lorsqu’il se met en tête de devenir le Kurt Cobain du rap jeu.
Jeans serrés et Chuck Taylor aux pieds, il pond sans grande surprise l’une des pires bouses de la décennie avec Rebirth, quand bien même la fidélité de sa fan base lui évite de trop boire la tasse (500 000 exemplaires vendus, merci à eux).
Désireux de faire oublier cet épisode, Tunechi retourne alors illico en studio et ce d’autant plus qu’empêtré dans une histoire de port d’arme illégal qui date de 2007, il se sait sur le point de partir derrière les barreaux.
Incarcéré le mois suivant à Rikers Island et ce jusqu’à la fin de l’année, il sort en septembre I Am Not A Human Being qui non content de redorer son blason auprès des critiques lui permet de se rappeler au bon souvenir du public de la manière la plus éclatante qui soit : depuis Me Against the World de 2Pac en 1994, aucun artiste n’avait en effet réussi à classer un album numéro 1 depuis sa cellule de prison.
Frank Ocean en 2016
Albums : Endless & Blonde
Quatre ans après l’acclamé Channel Orange, le crooner d’Odd Future met fin à son engagement contractuel avec Def Jam en publiant, non pas Boys Don’t Cry qu’il tease depuis de longs mois, mais Endless, un album « visuel » long d’une vidéo de 45 minutes et de 18 chansons enregistrées en collaborations avec des profils aussi divers que James Blake, Jonny Greenwood des Radiohead ou Jazmine Sullivan.
Libre de toute contrainte, 24 heures plus tard, il remet le couvert avec Boys Don’t Cry avec Blonde, un disque dont beaucoup ne se sont toujours pas remis.
Un disque pas des plus faciles d’accès, un disque aussi énigmatique que torturé, sinueux à souhait, mais un disque qui par son atmosphère tisse des liens encore jamais entendus entre estime de soi, drogue(s), famille et dépression.
Bref, un disque qui ne ressemble à aucun autre et dont personne à l’heure actuelle n’a encore vraiment percé les mystères.
Future en 2017
Albums : FUTURE & HNDRXX
Stakhanoviste du game avec plus d’une vingtaine de projets comptabilisés entre 2010 et 2016 (oui, cela fait une moyenne supérieure à trois par an !), Nayvadius DeMun Wilburn en a étonnamment gardé encore sous le coude pour proposer l’année d’après, non pas un, mais deux LP en deux semaines.
Un peu comme Nelly avant lui, chaque opus donne alors dans un style différent.
Quand le premier, FUTURE, évolue en terrain connu (braggadocio à tous les étages, productions de Metro Boomin’ et 808 Mafia…) et s’assortit du plus gros hit de sa carrière (Mask Off), le second, HNDRXX, vogue du côté du rnb et de la pop.
Plus chanté, plus personnel, c’est ce dernier qui rallie les faveurs de la critique.
Commercialement parlant, outre le fait d’avoir passé la barre du million avec chacun de ses bébés, Future s’est également distingué en devenant le premier artiste à monter sur la première marche des charts deux fois en deux semaines avec deux albums différents.
DaBaby en 2019
Albums : Baby On Baby & Kirk
Sérieux candidat au titre de rookie de l’année, Jonathan Lyndale Kirk n’est pas à confondre avec les mèmes ambulants de sa génération que sont 6ix9ine ou Lil Nas X. Loin de là.
Repéré par Roc Nation avant de percer, signé sur Interscope, il peut s’enorgueillir d’un premier album remarqué (son hit Suge n’y étant pas pour rien) qui lui a valu dans la foulée bon nombre de coups de fil pour jouer au featuring de luxe (Post Malone, J.Cole, Megan Thee Stallion…).
S’il y encore dix ans la logique aurait voulu qu’il profite quelque peu de son succès avant de passer à la suite, l’époque veut désormais qu’il batte sans plus attendre le fer pendant qu’il est encore chaud.
D’où ce second album Kirk qui convie notamment les poids lourds Migos, Chance the Rapper, Nicki Minaj et Gucci Mane.
Numéro 1 des ventes en première semaine, il a scellé là l’arrivée de DaBaby dans le grand bain des cadors du rap US.
L’acte III ne devrait pas tarder.
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On ne les a pas oubliés : Gucci Mane en 2016 (Everybody Looking & The Return of East Atlanta Santa) et 2017 (Mr. Davis & El Gato: The Human Glacier) ; Lil Yachty en 2018 (Lil Boat 2 & Nuthin’ 2 Prove) ; Ghostface en 2006 (Fishscale & More Fish) ; 50 Cent en 2003 (Get Rich or Die Tryin’ & Beg For Mercy) ; Jay Z en 2002 (The Best of Both Worlds & The Blueprint 2: The Gift & The Curse) ; Talib Kweli en 2000 (Train of Thought & Hip Hop for Respect) ; Busta Rhymes en 1998 (The Imperial & E.L.E.: The Final World Front)… et bien sûr E-40 qui nous a fait le coup en 2010, 2011, 2012 et 2013 (soient huit albums et près 200 morceaux au total !).