Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui, place à ce jour où le NYPD a sorti les dossiers…
Dans la culture rap il n’existe peut-être pas de pire insulte que d’être traitée de balance, de « snitch » – ou simplement d’être soupçonné d’en être une, voire le sort de Randy, Bodie ou Little Kevin dans The Wire.
Innombrables sont d’ailleurs les rimes et morceaux des plus explicites sur le sujet, du Snitch de 2004 de Lil’ Wayne (« N’ouvre pas ta bouche si tu ne veux pas voir un flingue pointé sous le nez »), en passant par la mixtape Stop Snitchin’, Stop Lyin’ de The Game sortie en 2005 (où sur la pochette il apparaît menaçant index sur la bouche), ou encore le refrain de I Don’t Know Officer de 50 Cent (« Nan renoi je ne sais pas qui t’as poignardé, nan renoi je ne sais pas qui t’as tiré dessus »).
Dans un genre similaire, on peut également se souvenir des très (très) controversés t-shirts Stop Snitchin’ qui ont connu leur heure de gloire dans la première partie des années 2000. Apparus dans un premier temps dans les rues Philadelphie et Baltimore, ils finissent par faire la une à l’échelle nationale, quand en 2004 à Boston, lors du procès d’un gang member accusé du meurtre par balle d’un enfant de dix ans, les soutiens du prévenu (dont sa propre mère) osent porter ces imprimés face caméra et en public.
Cam’ron, l’idole d’une génération
Devant un tel tollé, la célèbre émission 60 Minutes va consacrer l’année suivante un reportage complet à cette mouvance anti-délation. Et c’est à cette occasion que l’inénarrable Cam’ron va (une fois de plus) gratifier le monde d’un des moments cultes de télé dont lui seul à le secret.
Alors que celui dont le crew des Diplomats a produit sa propre version du t-shirt Stop Snitchin’ vient tout juste de réchapper quelques mois plus tôt d’une tentative de carjacking qui lui a valu de prendre une balle dans le biceps, le présentateur Anderson Cooper tente de comprendre pourquoi il n’a pas porté plainte.
Réponse de l’autoproclamé Harlem Forrest Gump : « Il s’agit d’une question de business, mais aussi de code et d’éthique ». Et de poursuivre : « D’où je viens, dès que l’on sait que vous avez collaboré avec la police, cela accroît vos chances de devenir la cible de violence criminelle (…) Je ne dis pas que c’est juste, je dis juste que c’est comme ça. »
Interloqué, le présentateur enchaîne ensuite en lui demandant s’il avait pour voisin de palier un tueur en série il le dénoncerait aux autorités. Et Killa d’en rajouter une couche devant une Amérique effarée : « Je n’alerterais pas la police et je garderais ça pour moi, mais je déménagerais sûrement. Ce n’est pas ma responsabilité. »
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Mais pourquoi tant de haine ?
Une telle hostilité à l’égard des donneurs s’explique d’abord par l’hostilité affichée à l’égard des forces de police. S’estimant outrageusement pris pour cible et très souvent maltraités (contrôles abusifs, bavures, erreurs judiciaires, taux d’incarcération disproportionné…), les habitants des ghettos noirs se considèrent dans un rapport de force permanent avec l’autorité publique, où les agents sont vus, non pas comme des protecteurs de l’ordre, mais comme des éléments perturbateurs venus de l’extérieur.
[ Une situation à la « nous contre eux » renforcée par l’attitude des policiers qui eux aussi obéissent à la loi du silence officieuse (le Code Bleu) en refusant de témoigner les uns contre les autres en cas d’enquête interne. ]
À cela s’ajoute le peu d’estime accordée aux balances, des personnes qui, dans l’imagerie populaire, sont dépourvues de tout sens de l’honneur, car prêtes à parler en échange d’un allégement ou d’une dispense de peine.
Enfin (et surtout ?) dans des quartiers tenus en coupe par les trafiquants de drogue, « snitcher» c’est porter atteinte à la bonne marche de tout un écosystème qui enrichit les uns et permet à d’autres de survivre.
Le célèbre mugshot de Jay Z pris en 1999.
La police du rap mène l’enquête
Longtemps soupçonnée d’exister par les principaux concernés, en 2004 est révélée l’existence d’une unité spéciale au sein du New York City Police Department (NYPD) destiné à enquêter sur les rappeurs.
Plus officieuse qu’officielle donc, cette « task force » d’un genre tout à fait particulier répond à une inquiétude de la police de l’État de New York face à la montée des violences dans le monde du hip hop à la fin des années 90 (avec notamment le meurtre de Notorious BIG, mais aussi les échanges de coups de feu entre les crews de Lil’ Kim et Foxy Brown à la radio Hot 97).
Il est vrai qu’à la multiplication des incidents violents et homicides impliquant les entourages des artistes, se superpose un discours qui sur fond de course à la street crédibilité glorifie la criminalité, les gangs, les armes à feu et le trafic de drogue, tout en condamnant là encore fermement toute collaboration de près ou de loin avec la « po-po ».
C’est ainsi que des années durant le NYPD va compiler les données sur les plus grands noms du game et leurs gardes rapprochées, vérifiant les affiliations des uns et des autres et enquêtant sur l’existence d’une éventuelle mafia du rap.
[Selon Derrick Parker, aujourd’hui officier à la retraite, il s’agissait aussi de protéger les rappeurs des tentatives d’assassinat, 50 Cent étant par exemple, selon lui à cette époque, la cible de plusieurs contrats.]
Ton rappeur préféré est-il un sacré hypocrite ?
À cette révélation déjà des plus incongrues, vient s’en ajouter une nouvelle des plus wtfuckesques l’année suivante. Le 29 août 2005, le site US The Smoking Gun reproduit en effet un document interne de la police newyorkaise qui récapitule toutes les fois où les rappeurs ont fait appel à ses services.
Épais de 500 pages, le dossier se veut des plus exhaustifs (photos, rapport d’enquêtes, mais aussi adresses, numéros de téléphone et plaques d’immatriculation).
Surprise, au menu on retrouve ni plus ni moins que TOUT le gratin des emcees de la Grosse Pomme, soient : Jay Z (Shawn Carter), Ja Rule (Jeffrey Atkins), Diddy (Sean Combs), Nas (Nasir Jones), DMX (Earl Simmons), Flavor Flav (William Drayton), Fabolous (John Jackson), Capone (Kiam Holley), Noreaga (Victor Santiago), ou encore les patrons de label Irv Gotti (Irving Lorenzo) et Damon Dash.
Un examen plus approfondi de ce who’s who nous apprend ainsi qu’en 1999 ce bon vieux Cam’ron a témoigné après avoir été passé à tabac par une quinzaine d’assaillants lors d’un match de basket, que 50 Cent a rapporté trois différentes affaires (dont, ô surprise, celle où il s’est fait poignarder par un associé de Ja Rule au studio Hit Factory), ou encore, et c’est haut la main l’anecdote la plus drôle de toutes, Busta Rhymes qui a composé le 911 quand sa copine s’est mise à lui tirer les cheveux !
Pas très gangsta tout ça…
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