Alors qu’en cette rentrée 2015 toute une nouvelle vague de talents se bouscule au portillon (Travis Scott, Fetty Wap, Young Thug…), prenons le temps de revisiter ces albums qui ont traversé deux décennies sans rien perdre de leur éclat…
Si pour les anciens 1995 c’était hier, le rap jeu présentait à l’époque un visage bien différent de celui que connait la génération actuelle.
L’auto-tune n’avait pas encore été inventé, on ne s’écharpait pas sur les chiffres de ventes en première semaine (ça débattait même sec pour savoir si tel ou tel artiste était trop commercial), les mixtapes étaient vraiment des cassettes mixées, les deux plus grand rappeurs des 90’s étaient toujours en vie et mis à part leurs amis et voisins, personne n’avait encore entendu parler d’Eminem, Lil Wayne ou Kanye West.
Bon attention, déjà de nombreuses voix s’élevaient pour clamer que décidément le rap c’était mieux avant – mais elles n’avaient pas eu l’idée d’en faire une punchline pour t-shirts.
1.9.9.5. demeure pourtant une très bonne cuvée avec l’arrivée à maturation d’une génération qui va connaitre là son pic de créativité. Retour dans le futur sur ce temps que les moins de 20 ans devraient faire l’effort de connaitre.
Mobb Deep – The Infamous
Souvent galvaudé dans le rap, le terme de classique prend cependant ici tout sens. Avec ce deuxième album la Mafia Profonde a marqué à la craie blanche des générations entières de MC de deux côtés de l’Atlantique – « Tu marches la tête baissée avec la peur de regarder le quartier » ça ne vous rappelle rien ?
Fer de lance du renouveau du rap newyorkais le duo made in Queens Bridge happe son auditeur dans une ambiance aussi crépusculaire qu’oppressante.
Bien que même chaussés de leurs Timberland boots ni Havoc ni Prodigy ne dépassent le mètre 65, au micro ils parviennent à imprégner ce disque d’un sentiment de terreur. Chaque mesure transpire l’agressivité et la paranoïa, offrant à cette jeunesse anti-sociale qui n’a que le ghetto comme horizon la bande originale de son désarroi.
QB et ses 96 tours de briques (la plus grande cité HLM du pays) devient ainsi le théâtre d’une guerre permanente de tous contre tous où la mort et la prison peuvent surgir à chaque coin de rue (flics, balances, gangs rivaux…).
The Infamous a depuis été tellement samplé que réécouter ses 16 pistes en 2015 donne cette impression de retraverser un pan de l’histoire du Hip Hop.
« If you don’t know now you know » : insatisfait des instrus qui lui étaient proposées, Havoc décida alors de s’atteler lui-même à la prod’ pour cet album. Un coup d’essai qui fût un coup de maître tant l’univers sonore qu’il a créé à base de samples de violons et de boucles de piano d’outre-tombe a été maintes et maintes fois recopié.
GZA – Liquid Swords
Un quart de siècle après le début de sa carrière, The Genius officie à ses heures perdues comme professeur de sciences. Une évolution qui semble presque naturelle tant celui considéré comme le meilleure lyricist du Wu Tang Clan s’évertue de faire briller son savoir de mille feux à chacune de ses performances.
Rimeur acerbe, les textes de ces Sabres Liquides mélangent à volonté (mais sans forcer) références mathématiques et métaphores philosophiques, le tout sur fond de vieux films de kung-fu et de vie de rue.
Architecte sonore alors au sommet de son art, RZA a bâti un écrin sombre et glacial qui donne toute sa mesure au projet.
Preuve que cette œuvre à merveilleusement franchi l’épreuve du temps, l’album a décroché 20 ans après sa sortie un disque de Platine.
« If you don’t know now you know » : au moment de la sortie une polémique est née autour du présumé racisme anti-blanc de la pochette au motif que l’on y voit les pièces noires massacrer allègrement les pièces blanches…
AZ – Do or Die
En 1995 il était facile de confondre AZ et Nas. Invité sur l’ultra-acclamé Illmatic sorti l’année précédente, le emcee originaire de Brooklyn se taille une belle réputation (on ne parlait pas encore de buzz) en posant son couplet au vitriol sur le mythique Life’s a Bitch.
Il faut dire que les deux hommes cultivent une forte gémellité artistique à base de flows nonchalants, de rimes multi-syllabiques et de fascination pour le gangstérisme de cinéma.
Si cette association fonctionne à merveille, elle va cependant vite se révéler un fardeau sans nom pour la suite de la carrière d’AZ. Preuve en est avec ce Faire ou Mourir dont le seul défaut est de ressembler un peu trop au chef-d’œuvre de Nasir Jones.
Un comble puisque l’album surclasse de loin la concurrence. Un comble² puisque même Nas n’arrivera plus jamais à faire aussi bien de près ou de loin.
« If you don’t know now you know » : Si AZ a été l’unique featuring du premier album de Nas, Nas est l’unique featuring du premier album d’AZ.
Bone Thugs-N-Harmony – E.1999 Eternal
Ou l’album qui a réussi l’impensable, non seulement en étant le plus vendu de l’année dans la catégorie rap (5 millions de copies écoulées aux USA, 15 millions au total dans le monde), mais surtout en plaçant Cleveland (la ville que personne ne connaissait avant Lebron James) sur la carte.
Flirtant avec les limites du chant, le quartet propose un album orignal et cohérent de la première à la dernière note. Sous l’influence d’Eazy-E (qui les a signés sur son label Ruthless Records) et surtout de DJ U-Neek qui sample Bootsy Collins et George Clinton, l’opus sonne très G-Funk, malgré ses ambiances sombres et enfumées.
Les flows rapides et saccadés sans cesse s’entremêlent pour se retrouver à l’unisson sur les refrains, un peu comme si Twista essayait de chanter comme Nate Dogg. Cette marque de fabrique du fait de sa haute technicité ne sera d’ailleurs jamais vraiment dupliquée (même si les Bone Thugs influencent encore aujourd’hui des rappeurs comme A$AP Rocky).
Unique en son genre, cet E.Éternel 1999 se savoure à chaque écoute, chacune apportant son lot de découvertes.
« If you don’t know now you know » : sur la cover on peut apercevoir Eazy-E à la fenêtre du quatrième étage.
The Pharcyde – Labcabincalifornia
The Pharcyde ou le pendant californien de A Tribe Called Quest et de De La Soul. Porté aux nues après le succès critique de son premier essai Bizarre Ride II, le groupe va cependant opter pour un changement de direction artistique en décidant notamment de se passer totalement des services du producteur J-Swift.
Remplacé en partie par un jeune J-Dilla, l’atmosphère se veut plus assagie, plus contemplative. Les flows évoluent également, tout comme la teneur des textes plus matures, moins potaches.
À l’époque beaucoup feront la fine bouche. À tort car Labcabincalifornia est un petit bijou, à la fois accessible et profond, posé et entraînant. Et puis Runnin’ concurrence très sérieusement le Shook Ones Pt.II des Mobb Deep pour le titre de meilleur morceau rap de l’histoire.
« If you don’t know now you know » : Le clip du single Drop synchronise la bande sonore et les images montées à l’envers. Le sample utilisé, The New Style des Beastie Boys, est d’ailleurs lui aussi joué à l’envers.
Tha Dogg Pound – Dogg Food
« Daz et moi on s’est appelé Dogg Pound (La Décharge en VF) parce qu’on en avait vraiment rien à foutre » déclara un jour Kurupt. Quand sort enfin ce longtemps attendu premier album des deux chiens de la casse, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne nous avait pas menti.
Moins festif qu’attendu (décidément 9.5. n’était pas porté sur le yolo), cette Pâté pour Chien, non contente de se révéler très comestible 71 minutes durant, se conçoit comme un pur concentré de « gangsta shit » sauce L.A.
Si aucune production de Dr Dre n’apparaît sur l’album (volonté expresse de Suge Knight), Daz montre une fois de plus (après DoggyStyle) qu’il excelle derrière les machines. Au micro son camarade assure lui une performance de choix.
Souvent épaulé par un Snoop Doggy Dogg qui rappe la bave aux lèvres, le disque délivre une flopée de lyrics salaces et misogynes à souhait qu’il est de bon ton de prendre à une degré cinq.
« If you don’t know now you know » : Lors du tournage du clip du provocateur New York New York, la caravane du groupe sera la cible de coups de feu.
Raekwon – Only Built 4 Cuban Linx
S’il ne devait en rester qu’un… OB4CL est un classique tel qu’il s’agit de ce genre d’album à connaitre sur le bout des ongles à l’endroit comme à l’envers pour tout fan de Hip Hop qui se respecte. Point.
« If you don’t know now you know » : Flatté par l’usage fait des dialogues de ses films sur l’album, John Woo n’aurait pas fait payer à RZA l’usage de ses samples.
N.B. : mentions spéciales aux autres très bons disques sortis la même année : Do You Want More?!!!??! (The Roots), Return to the 36 Chambers: The Dirty Version (Ol’ Dirty Bastard), Lifestylez ov da Poor & Dangerous (Big L), Me Against the World (2Pac), Safe + Sound (DJ Quik) et Dah Shinin (Smif-N-Wessun).