Rendez-vous avec Sofiane, Reda Kateb et Matthias Schoenaerts pour causer cinéma, mais pas seulement…
Avec Frères Ennemis, David Oelhoffen a signé un long-métrage à la fois sombre et puissant. Une histoire de la banlieue, brutale et sans fioriture, réunissant plusieurs grosses personnalités au casting. Des talents confirmés tels que Reda Kateb et Matthias Schoenaerts, sans oublier un nouveau venu dans le game du septième art, un certain Sofiane Zermani. Un artiste qui a fait sa place face à la caméra dans un thriller au rythme particulier, sans trop en faire. Comme dans sa musique, celui qu’on connaît sous le blase de Fianso se livre naturellement pour une performance qui en appellera d’autres.
L’heure est donc venue pour nous de faire un bilan de cette expérience. Rencontre avec trois frères de cinéma loin d’un quelconque ennemi, pour parler du métier d’acteur, de la direction de David Oelhoffen et des clichés de la banlieue sur grand écran.
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On va commencer par Sofiane… C’est simple, on dirait que tu ne joues pas !
Sofiane : On a essayé de ne pas trop en faire. Tu vois comment je suis dans le rap ? Je suis une pile, je suis dynamique. Là, il s’agit de capter l’attention de la caméra, sans faire son cinéma. Là tu vois, tu as l’accroche de ton article : « capter la caméra sans faire son cinéma » ! (rires)
Justement, la cohabitation avec Sofiane sur le plateau, ça donnait quoi ?
Reda Kateb : On accompagne Sofiane là (face à Booska-P ndlr), on est sur son terrain de jeu (rires).
Matthias Schoenaerts : On avait le lion, le tigre et la panthère sur le plateau… Pas mal de fauves, on était censé se bouffer, mais on s’est bien entendu. Au début, tout le monde devait nous regarder comme des animaux sauvages alors qu’après quelques heures ensemble, on se faisait des câlins (rires). En fait, c’est simple, on avait envie de bosser ensemble, on a harmonisé nos forces et on a foncé.
Ce qui vous définit tous les trois, c’est le charisme. C’est un mot qui revient dès qu’on lit une chronique, une critique…
Sofiane : Mes références viennent de la musique, donc eux, ils sont dans un autre game ! Ils ont un tel talent à l’image, une manière d’être à l’écran, que j’ai essayé de les imiter. Je suis en copycat complet sur ce film.
Reda Kateb : Niveau rap, je suis resté bloqué sur l’ancienne génération, les années 90 et 2000. Même si j’essaye de me renseigner sur ce que les jeunes écoutent, je ne connaissais pas encore bien Sofiane. Donc je l’ai vu arriver comme un comédien qui débarque avant la lecture du scénario avec l’équipe et qui se met direct au sens du collectif en rentrant dans la mêlée. Il a vite compris les règles du jeu : on s’écoute et on propose. Il a fait ses propositions avec bienveillance pour apporter une crédibilité au projet, ça passe par des mots, des gestes et des attitudes d’aujourd’hui. Il a mis les mains dans le moteur, puis ensuite, il s’est attaqué à la caméra. Il y a eu une rencontre entre lui et la caméra, qui va déboucher sur une relation à long-terme. La caméra l’aime et il aime la caméra. Sofiane, c’est quelqu’un qui apprend très très vite, mais qui n’a pas pris les défauts de ce métier. On peut vite devenir des techniciens du cinéma, mais face à la caméra, on ne répète pas ce qu’on connaît déjà, c’est toujours une première fois.
au niveau des dialogues, je suis vraiment allé chercher quelque chose de générationnel sur certains mots
Sofiane
Du côté des dialogues, il paraît que Sofiane a bien amené sa touche.
Sofiane : Quelques trucs… On en parlait entre nous, David Oelhoffen attendait qu’on lui propose des trucs. C’est un réalisateur qui pose les bases de son film, qui pose un cadre. Dans ce cadre-là, à toi de faire ton travail, de proposer. Donc au niveau des dialogues, je suis vraiment allé chercher quelque chose de générationnel sur certains mots. C’était vraiment du feeling. Pour compléter ce que disait Reda, je ne suis pas tombé dans un concours de coqs. J’étais avec des comédiens confirmés, donc de toute façon, je n’aurais pas gagné. Puis je n’ai pas senti d’esprit de compétition, donc j’ai enfilé le maillot pour me mettre au service de l’équipe.
Matthias, il y a aussi ce moment où tu apprends quelques mots d’Arabe à ton fils.
Matthias Schoenaerts : Ce n’était pas écrit ! Il n’y avait pas énormément de scènes pour montrer la relation père-fils, car les deux parents sont séparés et le fils en question vit avec sa mère. Du coup, pour éviter des temps morts, on a essayé d’ajouter de la vie. Cela me semblait juste, qu’après avoir entendu parlé Arabe toute la journée, le fils demande à son père ce que ça voulait dire. C’est comme quand tu joues avec ton enfant, c’est un moment de vie.
Cela fait rentrer le film dans la vie réelle, hors des clichés. Je pense au travail de Reda dans Les Derniers Parisiens, qui donne à voir une histoire de Paris. Frères ennemis, c’est également une histoire de la banlieue.
Reda Kateb : C’est le prisme par lequel je choisis mes projets. En tant que spectateur et personne ayant grandi dans un milieu populaire, j’ai souvent vu le cinéma comme cynique. A certains moments, c’est comme utiliser certaines personnes et en faire de la merde, les rabaisser. Donc ça me tient à coeur de bosser sur un film dans lequel la caméra nous veut du bien. Dans ces deux films, on ne se fout pas de la gueule des gens. Ici, David arrive dans un milieu qui n’est pas hyper documenté, que ce soit au niveau des flics ou de la banlieue. Il n’a pas posé sa caméra comme un colon, on a filmé dans des lieux ouverts sur le monde et les gens. On voulait que le public ait l’impression d’avoir rencontré ces personnages.
Sofiane : Pour moi, être hors des clichés, c’était carrément une condition. Pas besoin d’en faire des tartines, des rôles balourds, on m’en propose plein. Avec le passif qui est le mien, ce que j’ai pu faire dans #JeSuisPasséChezSo, via des actions sociales dans les quartiers, ou Rentre Dans Le Cercle, je ne peux pas me permettre l’erreur de tomber dans un film bête et méchant.
Un joueur de foot, il est entraîné pour arriver à mettre ses frappes en lucarne, mais arrivé, sur le terrain il ne se pose plus de questions. Au cinéma, c’est presque naturel de comprendre directement ton personnage
Matthias Schoenaerts
Entre vous, il y a une vraie entente, mais dans le film, vous n’apparaissez presque jamais en même temps. Matthias est même très seul, constamment sous pression. Comment on prépare un rôle comme celui-ci ?
Matthias Schoenaerts : Je ne sais pas vraiment comment on prépare ça, on le fait, c’est tout. C’est comme un joueur de foot, il est entraîné pour arriver à mettre ses frappes en lucarne, mais arrivé sur le terrain il ne se pose plus de questions, il tire et voit ce que ça donne. Là, c’est presque naturel de comprendre directement ton personnage. Tu lis et puis dès que ça tourne, tu donnes tout.
Sofiane : Matthias a ce truc-là, dès que ça ne lui paraît pas cohérent, il arrête tout et propose de faire les choses à sa sauce. Il tient un fil du début à la fin, faut plutôt que tu demandes au réalisateur comment il a fait pour le suivre (rires).
Reda Kateb : Quand on décide de s’engager sur des films, on est partie prenante des projets. On n’a pas envie que les gens se disent « ce film est pas mal ». On ne fait pas des films pour qu’ils soient pas mal. Entre le réalisateur et les acteurs, il y a une complémentarité. David, c’est quelqu’un qui écoute beaucoup, qui est avide de propositions. Donc on y est allé, même sur des petits trucs.
Sofiane : Sur ce film, j’ai appris le « je ne le sens pas comme ça ». En cabine, je sais ce que je suis capable de faire. J’ai pris exemple et au fur et à mesure du tournage, je me suis laissé aller. Il y a des scènes que je sentais mieux d’une certaine manière…
Matthias Schoenaerts : C’est l’autonomie de l’acteur. Beaucoup de comédiens et de réalisateurs dans mon entourage ont besoin de ça.
Donc Sofiane, on peut dire que tu as bien fait de répondre à cette directrice de casting qui te cherchait partout…
Sofiane : Disons qu’au début, je préférais laisser ça de côté… Mais plus tard, mon attaché de presse m’a dit que c’était quelque chose de sérieux, qu’il fallait y aller. Plutôt que de bazarder le truc, on a pris comme ça comme c’est venu. On appelle ça le mektoub. C’est un beau coup du destin. D’ailleurs Booska-P était venu sur le tournage, lors de ma dernière Booska S’maine !
Il y a des parallèles entre le cinéma et le rap ?
Sofiane : Je trouve que Reda et Matthias portent vraiment le film. En les regardant, j’ai vu la même concentration qu’un rappeur peut mettre sur un album. Par exemple, même si t’as la tournée et les featurings, tu dois garder la cohérence de ton projet. Ici, c’est la même chose, mais avec une vraie histoire à raconter. Tu peux avoir tes soucis du quotidien, mais ça ne doit pas intervenir sur le tournage, sinon tu perds le film. Eux arrivent à garder cette bonne concentration, cette bonne énergie.
Pour terminer, on va finir sur une anecdote de tournage. Vous en avez en stock ?
Sofiane : Lorsque je débarque sur le tournage, je sors de garde à vue après Je suis passé chez So. On commençait à 18 heures et je suis sorti à 16 heures de ma cellule.
Reda : (il coupe) On ne savait même pas si t’allais arriver ou pas (rires) ! Mais plus sérieusement, un tournage, ça dure 12 heures par jour, c’est éprouvant, donc tu ne vas pas boire des verres après chaque scène. Les seuls moments en off, c’est la cantine !
En tant que spectateur et personne ayant grandi dans un milieu populaire, j’ai souvent vu le cinéma comme cynique
Reda Kateb