Il chante comme Drake, se swaggue à la A$AP Rocky et se drogue comme Lil Wayne, le tout avec la bénédiction de Kanye West. Chronique d’un album pas comme les autres…
Si de notre côté de l’Atlantique Travi$ La Flame Scott ne bénéficie pas encore de cette réputation de surdoué des studios qu’on lui prête aux US, son parcours parle pour lui.
En 2012, le natif de Houston s’est fait connaitre en signant à la fois comme artiste sur le label de T.I. Grand Hustle et comme producteur chez G.O.O.D. Music de Kanye West. Depuis il s’est fait remarquer avec deux mixtapes extrêmement bien accueillies, mais aussi en étant abondement crédité sur les lyrics et prod de Yeezus.
Sur scène, ses performances énergiques en diable (du genre « je viens de gagner l’Euro Millions et je saute à pieds joints sur le bureau de mon conn*rd de boss ») rallient également les suffrages – enfin quand il ne balance pas des coups de pompes à un photographe qui passait par là.
Conséquence, à 23 ans à peine, Drake, Big Sean, French Montana ou encore Rihanna s’arrachent sa présence sur disque (et apparemment dans ses draps pour cette dernière) avant même la sortie de son premier album.
Mais pourquoi un tel engouement ?
La réponse tient en trois mots : Days Before Rodeo. Sa deuxième mixtape a imposé par K.O une identité sonore qui sans être révolutionnaire s’est révélée inédite – et terriblement efficace. Scott transformait là son précédent essai Owl Pharoah en parfaisant une formule qui sur le papier se veut un alliage de Young Thug, Kid Cudi et Kanye.
Le tour de force de Jacques Webster (son blaze à la ville) tient dans le fait que malgré ses influences évidentes, il réussit à conserver une cohérence qui lui est propre. La faute à ce son ample, gothique, aux basses profondes et aux nappes de synthé qui sonnent bigger than life.
Paradoxalement, c’est en en délaissant de plus en plus la production (chaque projet voit son nombre d’intrus décliner) que Travi$ Scott est parvenu à obtenir ce résultat. Quitte à se faire parfois voler la vedette par ses invités, ses morceaux restent toujours parfaitement reconnaissables (et ce même quand Justin Bieber passe par là).
Une situation qu’illustre parfaitement un titre comme Night Call où Swae Lee brille de mille feux (décidément il faudra garder un œil sur la moitié des Rae Sremmurd) tandis que Chief Keef et son hôte en sont réduits à jouer les seconds rôles de luxe.
Bien sûr La Flame ne serait pas La Flame sans son utilisation à outrance de l’auto-tune. Mais à l’image d’un Future ou des PNL chez nous, il incarne cette nouvelle génération de rappeurs qui transforment ce correcteur des studios en un véritable instrument de musique.
Fini le temps où chaque refrain sonnait comme un robot qui pleure, les Scott & co se sont appropriés le logiciel à la manière d’un rocker et sa guitare, réduisant d’une certaine façon la voix à une simple composante sonore parmi d’autres.
Désormais, la question n’est pas de discuter des bienfaits ou pas de l’auto-tune mais de la manière dont il est utilisé. Mine de rien c’est tout le débat sur la technicité des flows qui change de paradigme…
Ce Rodeo est-il à la hauteur des espoirs placés en lui ?
Pour répondre à cette question il faut diviser le monde en deux catégories : ceux qui ont écouté et apprécié Days Before Rodeo et ceux qui prennent le train en marche. Pour ces derniers, pas de soucis, sauf incompatibilité artistique (après tout à chacun ses goûts et ses couleurs), le disque passe d’autant plus crème qu’il se double d’un agréable effet de surprise.
Effet de surprise forcément absent pour ceux qui suivent Travi$ Scott depuis un certain temps et qui trépignaient d’impatience avant la sortie de cet album mainte fois repoussé. Ceux-là seront forcément un peu déçus puisque Rodeo n’est finalement « que » le prolongement de DBR – agrémenté certes de toute la crème de la scène rap 2015 (The Weeknd, Quavo, Toro Y Moi, Juicy J…).
Sans compter que ses textes sont toujours aussi bas de plafonds (drogue/succès/bitches) et abordés sans aucune originalité, si bien que l’écoute de Rodeo n’aide en rien à savoir qui est Travi$ Scott. Autres bémol, l’absence de gros singles – pis le feat tant attendu avec Kanye West fait largement tâche…
Une situation qui illustre assez bien la distinction ambiguë entre mixtapes et albums. Si en amont cette frontière se résume aujourd’hui principalement à une question de budgets promo, pour l’auditeur l’approche est un peu différente. Autant on peut rapidement se laisser convaincre de la qualité d’une mixtape (parce que projet gratuit, joies de la découverte, sentiment d’exclusivité…), autant le niveau d’exigence face à un album est souvent injustement revu (bien trop) à la hausse.
Du coup il faudra peut-être quelques écoutes pour se débarrasser de ces a priori et apprécier pleinement le projet qui grâce à quelques ajustements surpasse quand même son prédécesseur. Car oui, Rodeo a largement sa place sur le podium des meilleures sorties de l’année.
Travi$ Scott is definitely the future…