Voilà plus de deux décennies déjà qu’ils vivent la plus passionnée des bromances…
Que serait le rap du 21ème siècle sans Jay Z et Kanye West ?
Pas nécessairement nés pour s’entendre, l’ancien dealeur du Marcy Project et le fils de la classe moyenne chicagoane ont pourtant su dix ans durant jouer la carte de la complémentarité pour dominer toutes les catégories statistiques de la scène mainstream.
Après, c’est devenu un brin plus compliqué, avec un Jay de plus en plus concentré sur les chiffres et un Kanye de plus en plus en proie à ses démons.
Reste que là où neuf fois sur dix ce genre d’histoire d’amitié se termine en eau de boudin, ils ont réussi à maintenir le cap.
Sûrement moins potes qu’à leur début, mais toujours encore potes, Yeezy et Hov’ n’ont pas fini de défrayer la chronique.
Streaming, Kardashian, tueurs à gage, élections de présidents… revivez les temps forts de cette relation à part.
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2000 : les préliminaires
Producteur débutant dans la seconde moitié des années 90, Kanye West voit sa carrière prendre une nouvelle tournure quand Beanie Siegel fait appel à ses services pour ouvrir son premier album, The Truth.
Signé chez Roc-A-Fella, ce dernier lui présente alors son patron Jay Z pour qui il concocte This Can’t Be Life, la cinquième piste de son cinquième album, The Dynasty: Roc La Familia.
Certifiée classique depuis, cette instrumentale soulful en diable qui sample I Miss You de Harold Melvin & The Blue Notes et Xxplosive de Dr. Dre lui vaut de se tailler un début de réputation… pas forcément très flatteur.
Dans l’ombre de Just Blaze qui à cet instant T est le producteur numéro 1 du label, la rumeur veut que « quand tu ne peux te le payer, tu as Kanye à la place ».
2001 : la fusion
Cette étiquette de second couteau de luxe ne lui colle cependant pas longtemps à la peau.
Désireux de donner une nouvelle couleur musicale à son rap, Jay Z pose sur quatre de ses instrus sur le pharaonique Blueprint, un album immédiatement considéré comme un game changer.
À la manœuvre sur les meilleurs morceaux (le Scud anti-Nas Takeover/le single Izzo/la pépite Ain’t No Love), Kanye peut commencer à se prendre au sérieux.
2002 : la confirmation
Poursuivant sur sa lancée, le duo se retrouve sur deux titres, ’03 Bonnie de Clyde qui inaugure officieusement la romance entre Jay et Beyoncé, mais aussi, et ce serait criminel de ne pas le rappeler, la tuerie Guess Who’s Back, qui comme This Can’t Be Life réunit Jay-Jay, Beanie Siegel et Scarface, tous en forme olympique.
2003 : Yeezy ! Yeezy ! Yeezy !
Consécration ultime, lors de l’enregistrement du Black Album, Jay Z gratifie Kanye d’un petit surnom sur l’intro de Lucifer, ‘Kanyeezy’ – une terminaison qui s’inspire des rimes en « -izzle » de Izzo (H.O.V.A.).
Personne ne le sait encore, mais une décennie plus tard, le diminutif de ce surnom sera donnée à la ligne de sneakers la plus profitable du siècle.
Pas dit qu’aujourd’hui encore Jay ne se réveille pas en sueur la nuit, regrettant de ne pas avoir exigé un pourcentage…
2004 : Kanye devient (enfin) un Roc Boy
« Nous avons tous grandi dans la rue, nous avons tous fait ce que nous avions à faire pour nous en sortir. Et puis Kanye est arrivé, lui qui à ma connaissance n’a pas hustle un seul jour dans sa vie. Je ne voyais pas comment ça pouvait marcher. »
Pour cette raison longtemps réticent à lui offrir un contrat de rappeur, Jay Z finit par changer d’avis.
Bien lui en a pris car finalement, ça a marché et pas qu’un peu.
Album le plus vendu de Kanye West, The College Dropout est également le second album le plus vendu de la discographie de Roc-A-Fella (derrière Vol. 2… Hard Knock Life de Jigga) avec quatre certifications platine au compteur.
Parmi les morceaux phare de ce premier solo, on peut retenir Never Let Me Down qui à l’époque avait été promu comme l’un des cinq derniers featurings de Jay Z avant son « départ à la retraite », ainsi que Last Call où 8 minutes durant il raconte de la manière la plus candide qui soit les coulisses de son ascension.
Dans le désordre, on y apprend que la première fois qu’il a rencontré Jay Z, « son idole », il lui a balancé un freestyle qui a viré à la catastrophe, ou que Damon Dash a accepté de le signer parce qu’il s’est dit que si son album était flingué il pourrait toujours refourguer les beats à Cam’ron.
2005 : tout est cool
Brièvement tenté de quitter Roc-A-Fella pour Def Jam, ‘Ye remet les points sur les i sur Diamonds from Sierra Leone (« The Roc is still alive everytime I rhyme »), tandis que, selon ses propres dires, Jay passe lui mettre la fessée sur le remix.
2007 : la déclaration
Pour son troisième album Graduation, Kanye rend hommage à son « big brother » avec Big Brother, dans lequel il le remercie notamment d’avoir pu s’acheter une maison, puis d’avoir pu acheter une maison à sa mère.
Étonnamment, le texte se révèle assez doux-amer avec un Kanye qui s’étend longuement sur deux anecdotes : la fois où il a confié à Jay avoir invité sur l’une de ses chansons le chanteur de Coldplay Chris Martin (Homecoming, son hymne à Chicago) avant que Jay ne s’empresse de faire de même pour sortir son morceau le premier (Beach Chair) ; la fois où il a dû acheter lui-même ses places pour aller voir Jay se produire au Madison Square Garden.
La réponse du « big brother » au « kid brother » sur ce second point ? Il avait déjà refilé quatre places gratuites à Kanye quand il lui en a réclamé deux supplémentaires.
2009 : « Taylor, je vais te laisse terminer, mais… »
Crédité à a production de sept des quinze titres de The Blueprint 3, le plus souvent en collaboration avec son mentor No I.D., ‘Ye rappe en sus sur le lead single Run This Town au côté de Rihanna.
Détail qui n’en est pas un : bien que l’opus n’ait pas franchement emballé la critique, le public lui a fait un triomphe.
L’évènement qui a cependant le plus marqué l’année a lieu quelques jours après la sortie de l’album, quand, le 13 septembre, lors de la cérémonie des MTV Video Music Awards, Kanye bondit sur scène pour interrompre le discours de remerciement d’une Taylor Swift tout juste lauréate du trophée du meilleur clip de l’année.
Ce dernier estime en effet que Single Ladies de Beyoncé méritait largement de l’emporter.
Assise au premier rang, plus gênée qu’autre chose, la meuf de Jay connaît toutes les peines à cacher son embarras devant cet excès de loyauté…
2011 : Watch The Trone !
Le zénith de leur complicité.
Espéré grandiose, l’album commun des deux plus grosses stars du rap de leur génération n’a pas déçu, que ce soit question chiffres (436 000 copies écoulées en première semaine, 5 millions de ventes à ce jour rien qu’aux US) ou question musique.
Célébration sans retenue de leur réussite, WTT donne naissance au « luxury rap », ce rap du 1% du 1%, mélange « d’ignorance sophistiquée », de haute couture et de rimes matérialistes.
En plein dans leur zone, nos deux lascars s’amusent comme des petits fous lors des 57 dates de leur tournée mondiale, la foule du Palais Omnisports Paris Bercy se souvenant encore de ce 18 juin où, pour clore les débats, Niggas in Paris avait été interprété 12 fois d’affilée.
2013 : Watch The Throne 2 ?
Sans surprise, la possibilité d’une suite se retrouve rapidement au centre des conversations.
D’ailleurs quand l’idée est soumise à Jay Z sur le plateau de la BBC, il laisse la porte grande ouverte : « Entre nous, c’est toujours à la ‘Big Brother’. On se respecte et on s’amuse. »
Si un article entier pourrait être consacré aux rumeurs et indices annonçant le projet, à l’approche du dixième anniversaire du premier volet, l’espoir demeure de mise (lire plus bas).
Est-ce pour autant souhaitable de risquer d’écorner l’héritage d’un tel monument ? Rien n’est moins sûr…
2014 : Jay zappe le mariage de Kanye
Le premier coup de canif.
En dépit de tout le cirque organisé en coulisses pour faire paraître Beyoncé et Kim Kardashian meilleures amies du monde, quand Kanye passe la bague au doigt de la cadette du clan K. au cours d’une somptueuse cérémonie en Italie, les Carter se font remarquer par leur absence.
Certes ‘Yoncé a posté sur Instagram plusieurs photos des Kimye le jour J, certes Kris Jenner a tout en sub’ fait remarquer après coup que « personne ne s’est demandé où ils étaient », mais toujours est-il que cela fait tâche.
Dans les pages de GQ Kanye n’en a cure : « Peu importe qui était là ou pas, tant que Kim était là. »
2015 : comme si de rien n’était
Au milieu de mille bruits de couloirs qui font état de l’agacement de Beyoncé envers l’obsession de Kim pour la célébrité malgré son absolu manque de talent, les West et les Carter se font voir ensemble tout sourire au mois de janvier, une première depuis le mariage.
Mieux, quelques semaines plus tard Kim et Bey assistent au défilé Yeezy à la fashion week newyorkaise. Ravi, Kanye commente : « Elles s’adorent et se respectent. Quand Beyoncé travaille sur son album, elle accroche des photos de Kim sur les murs pour s’inspirer de son aura. »
Euh, qui y croit ?
2016 : l’annus horribilis
L’année avait pourtant bien commencé avec d’une part cette photo plus #squadgoals tu meurs en compagnie des power couples Alicia Keys/Swiss Beatz et Cassie/Diddy, et de l’autre le single Pop Style de Drake, featuring ‘Le Trône’.
Après il y a malheureusement eu Tidal, Pablo et le braquage de Kim dans un hôtel parisien.
Reprenons.
Lancé en grande pompe courant 2015, le service de streaming de Jay Z compte initialement Kanye West parmi ses soutiens. Sauf que quand son album The Life Of Pablo sort enfin… c’est sur Apple Music qu’il est proposé en écoute exclusive.
Et puis au mois d’octobre, KK se fait dérober près de cinq millions de dollars de bijoux en plein Paris. Secoué par l’incident, Kanye commence à se comporter de manière de plus en plus erratique sur les réseaux et dans la vraie vie.
Déjà du genre volubile en concert, il s’embarque désormais au moindre prétexte dans des diatribes qui n’en finissent plus, dont certaines directement adressées à Jay à qui il reproche son éloignement.
« Tu ne m’as même pas appelé pour me demander comment ça va après le braquage ? Tu veux savoir comment je vais ? Passe à la maison. Amène les enfants, qu’ils jouent ensemble au moins une fois. Comme si nous étions frères. Posons-nous tous les deux. »
Quelques jours plus tard, il remet le couvert à Sacramento en s’attaquant à Beyoncé qui aurait exigé d’interpréter Lemonade aux VMA à la condition qu’elle remporte le clip de l’année devant Famous et Hotline Bling de Drake.
Complètement dans sa paranoïa, il embraye en suppliant monsieur de lui accorder un peu de son temps : « J’ai été envoyé ici pour partager ma vérité, parfois au risque de ma propre vie, quitte à risquer mon succès, ma carrière. Et toi tu ne m’appelles toujours pas. Hey Jay Z, je sais que tu as des tueurs à ta solde, s’il te plaît ne me les envoie pas. Passe-moi juste un coup de fil, que l’on se parle entre hommes. »
‘Crazy Kanye’ est né.
Interné pour épuisement deux jours après son coup d’éclat, le Yeezus ne bénéficie pas pour autant de la moindre once de mansuétude de la part du mogul dont la presse people rapporte que depuis toutes ces années il le tolère plus qu’autre chose.
Selon Page 6, Jay Z a accepté de partir en tournée pour Watch The Throne uniquement pour l’argent.
« Il ne le supporte qu’à petites doses. Comme tout le monde, il le considère comme un jobard. »
2017 : le clash à ciel ouvert
Après plus de six mois de silence, en juin Jay Z revient sur l’incident à l’entame de son treizième album 4:44 avec Kill Jay-Z où il fustige son ingratitude (« You gave him $20 million without blinking/He gave you 20 minutes on stage, f*ck was he thinking? », une référence au chèque que Kanye aurait touché pour rejoindre Tidal) et moque sa santé mentale (« Si tout le monde est fou, toi tu es clairement dérangé »).
Coïncidence ou pas, dans la foulée Kanye quitte Tidal, non sans réclamer par voie d’avocats son bonus de 3 millions de dollars pour le million et demi d’abonnés qu’aurait permis d’engranger The Life Of Pablo.
Pas en reste, la petite entreprise de Jay Z le poursuit en retour pour rupture abusive de contrat, notamment pour ne pas avoir livré les clips qu’il s’était engagé à tourner.
Kanye annonce alors en novembre lancer Yeezy Sound, sa propre plateforme de streaming dont personne n’entendra jamais plus parler.
Invité sur Rap Radar en août, si Shawn Carter précise d’emblée que Kill Jay-Z n’a rien à voir avec Kanye (« Ce n’est pas un diss, je ne parle que de moi tout du long »), il revient longuement sur ses propos.
« Ce qui m’a blessé le plus, c’est qu’il a évoqué ma femme et mes enfants. Par le passé nous avons eu des différents autrement importants que celui-là, mais là il a mêlé ma famille. Pour moi, c’est un problème. »
Et de continuer : « C’est un problème parce que si lui et moi en avions parlé, ce serait de l’histoire ancienne. Il sait qu’il a franchi la ligne. Il le sait très bien. Et je sais qu’il sait. »
En décembre, Jay accorde une nouvelle interview au New York Times. Dans une ambiance de cabinet de psychanalyse, il confie s’être entretenu avec Kanye peu de temps auparavant et laisse présumer une réconciliation prochaine.
« J’ai dit qu’il était mon frère. Que je l’aimais pour de vrai. »
« Notre relation n’est pas simple. Il est arrivé dans l’industrie via mon label. D’une certaine façon, j’ai toujours été son grand frère. Étant tous les deux des entertainers, il existe toujours cette compétition sous-jacente avec son aîné. Chacun veut être le plus grand, mais nous nous aimons et nous respectons tous les deux. »
« Bien sûr, il y a énormément de facteurs qui interfèrent, il y a des trucs que je trouve inacceptables. Nous devons en parler entre nous, car l’amour que nous nous portons est réel. »
2018 : la vérité éclate
Près d’un an après Jay, ‘Ye prend à son tour la parole.
Interviewé par Charlamagne Tha God, il révèle que tout part bien du lapin des Carter à son mariage en 2014.
« J’ai été meurtri qu’ils n’aient pas fait le déplacement. Je comprends qu’ils avaient leurs trucs à faire, mais quand c’est la famille, tu ne peux pas manquer un mariage (…) Entre ça et d’autres choses qui se sont passées, et encore d’autres choses, à un moment les idées les plus folles s’enchaînent dans ta tête. Tu te demandes pourquoi. »
Étonnamment quand Charlamagne lui demande quelle raison Jay a fourni pour justifier son absence, Kanye lui répond « ne pas lui avoir jamais posé la question directement ».
Le 30 novembre 2018, Jay Z dévoile le morceau What Free en compagnie de Meek Mill et Rick Ross. Soutien actif de Barack Obama, il semble dans son couplet s’en prendre à Kanye West qui lui s’affiche en compagnie de Donald Trump.
Extrait : « Pas de casquette rouge, ne nous faites pas à moi et Ye le coup de Michael et Prince (…) Je ne suis pas un de ces nègres de maisons que vous achetez »/« No red hat, don’t Michael and Prince me and Ye (…) I ain’t one of these house n****s you bought »
Les mauvaises langues ont en toutefois pour leur compte, homme de paix, Shawn Carter tweete que la ligne signifie l’exact contraire que ce que certains auraient pu penser.
2019 : les retrouvailles !
Ça aura donc pris le temps que ça aura pris.
Invité au cinquantième anniversaire de Puff Daddy, les deux « brothers » se font voir tout sourire en public. C’est un peu surjoué, ça sent évidemment la com’, mais ne boudons pas notre plaisir.
Ravis, Kanye n’en a cure et partage une photo des Carter sur Instagram accompagnée de la légende « famleeeeee ».
Juillet 2021 : Jésus et Moïse
Dressé en plein centre du Mercedes-Benz Stadium d’Atlanta, Kanye West gratifie le monde des premières bribes de son dixième album solo à venir, DONDA.
Au milieu d’une tracklist qui invite notamment Lil Baby, Lil Durk, Pusha T ou encore Travis Scott au micro, il crée la surprise en jouant un morceau supposément intitulé Guess Who’s Going to Jail Tonight? où Jay passe par là pour rapper un couplet, une première depuis 2016.
Enregistré le jour-même à 4 heures de l’après-midi si l’on en croit Guru, un très proche du mogul, le texte semble boucler la boucle des années Trump tout en laissant espérer « un retour du Trône ».
« Told him to stop all that red cap, we going home/Cannot be with all of these sins casting stones/This might be the return of The Throne, Throne/Hova and Yeezus like Moses and Jesus/You’re not in control of my thesis. »
À respectivement 44 et 51 ans, Kanye West et Jay Z sont-ils sur le point d’écrire une nouvelle page de l’histoire du rap ?
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