Parce qu’il fût un temps où personne n’arrivait à la cheville des dogs…
1998. Tandis que le run de Bad Boy commence à s’essouffler, que Roc-A-Fella n’est pas encore Roc-A-Fella et que les entités G-Unit, Murder Inc. et Diplomats sont encore en gestation, un nouveau crew prend le pouvoir à New-York et sur le monde du rap : les Ruff Ryders.
Nommé d’après le célèbre régiment de cavalerie mené par le futur président des États-Unis Theodore Roosevelt lors de la guerre hispano-américaine de 1898, le label fondé par la fratrie Dean impose alors un son et une imagerie immédiatement identifiables.
Porté par la fougue de son franchise player DMX et les instrus tonitruantes de son producteur maison Swizz Beatz, le Double R met à l’honneur un rap de rue aussi premier degré que divertissant.
Grosses cylindrées, lyrics testostéronées, débardeurs blancs et aboiements règnent en maître sur les charts à coup de certifications d’or et de platine. En parallèle, sont lancées dès 1999 les compilations Ruff Ryders: Ryde or Die qui permettent à chacun des nouveaux artistes signés de se faire connaître avant d’exploser en solo (Eve, Drag-On, les Lox…).
L’épopée durera à ce rythme cinq belles années avant que les membres du collectif, non pas pour une fois ne s’embrouillent entre eux, mais décident plus ou moins officieusement de se concentrer sur leurs carrières solo respectives, et notamment leurs labels.
Quand un dernier projet commun voit le jour en 2005, les tentatives ultérieures de faire repartir la machine feront choux blanc jusqu’à ce concert anniversaire d’avril 2017 de triste mémoire.
Bien qu’aujourd’hui rentrés dans la légende, les Ruff Ryders ne sont malgré tout peut-être pas toujours estimés à leur juste valeur par les jeunes générations. Histoire de rétablir la balance, revenons vingt ans après sur les parcours des uns et des autres.
(Spoiler : tous ont plus ou moins arrêté de conduire sans autorisation des quads dans les rues habillés de jerseys de hockeyeurs.)
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Joaquin, Darin et Chivon Dean
Très rares dans les médias depuis le départ, les frangins ‘Waah’ et ‘Dee’ et leur sœur Chivon (au second rang sur la photo, aux côtés d’Eve) ont été biberonnés au rap dès leurs plus jeunes années, eux qui vivaient dans un appartement juste en dessous de celui du pionnier Kool Herc et entendaient les disques de ce dernier tourner toute la journée.
Dans la seconde partie des nineties, ils lancent la société de management Special Effect qui suite au succès de DMX se transforme en label à proprement parler et devient Ruff Ryders Entertainment.
Après avoir selon leurs dires généré plus de 200 millions de dollars grâce à leur deal de distribution passé avec Fontana/Universal, fatigués de maintenir le navire sous respiration artificielle, le trio met la clef sous la porte en 2010… avant que Darin et Joaquin ne redémarrent l’aventure dans la foulée sous le nom de Ruff Ryders Indy.
Outre une nouvelle compilation intitulée Ruff Ryders Past, Present, Future en 2011 couplée à l’arrivé de sang neuf dans les rangs (Mook, le fils de Joaquin Lil Waah, Shella et Hugo), la structure propose un modèle économique des plus particuliers via le programme d’accompagnement How to Become Your Own CEO.
Destiné aux jeunes rappeurs et vendu 250 000 dollars pièce, il inclut toute une rangée de services allant du consulting au marketing en passant par la négociation de contrat ou la promotion, ce qui en gros revient à facturer à l’artiste tout le travail qu’un label est censé faire autour de lui.
Si l’on ne sait à l’heure actuelle combien de pigeons se sont fait bananer combien de programmes ont trouvé preneurs, ce qui est sûr c’est que huit ans plus tard, pas plus que les nouveaux membres du roster, absolument personne n’a percé dans la game grâce à ça.
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Swizz Beatz
Neveu de Joaquin, Darin et Chivon, Kasseem Dean débute sa carrière à 16 ans en tant que DJ avant de devenir le producteur attitré du RR, et ce grâce à son tout premier beat, le cultissime Ruff Ryders’ Anthem et sa boucle de sitar si entêtante.
Très rapidement sollicité par d’autres crews, celui que Kanye West désignait en 2010 comme « le possible meilleur producteur de tous les temps » est aujourd’hui à la tête d’un catalogue de hits rap, pop et rnb des plus impressionnants (Jigga My Nigga de Jay Z, Bring ‘Em Out de T.I., Touch It de Busta Rhymes, Check on It de Beyoncé, Now That You Got It de Gwen Stefani…).
Après avoir lancé en 2001 son propre label Full Surface Records (qui compte dans ses rangs son protégé Cassidy et sa compagne d’alors Mashonda), il sort en 2002 la compilation Swizz Beatz Presents G.H.E.T.T.O. Stories, puis en 2007 son propre solo intitulé One Man Band Man.
Si l’accueil qui lui est réservé est plutôt mitigé, Swizzy ne manque cependant pas de motifs de consolation tant il sait se montrer actif sur tous les fronts.
Passionné d’art et de design, il s’est non seulement vu offrir en 2010 un deal par Reebok pour créer sa propre paire, mais il s’est également associé Aston Martin qui l’a notamment consulté pour concevoir l’un de ses modèles.
Ajoutez à cela un diplôme de la business school d’Harvard obtenu en 2017, un partenariat avec un conglomérat de chaînes de télévision sud-coréennes pour promouvoir les échanges culturels avec les États-Unis, un mariage (et un enfant) avec la sublime Alicia Keys en 2010, et comprenez qu’il y a de quoi se montrer passablement agacé par ce type aussi talentueux que touche-à-tout.
Sinon, en novembre dernier est sorti son second album Poison qui invitait notamment au micro Kendrick Lamar, Lil Wayne et Nas.
Drag-On
Promu comme le petit prodige de la team, Mel Jason Smalls n’aura donc jamais vraiment confirmé tout le potentiel qu’on lui prêtait à l’époque.
Certes, son premier album Opposite of H2O a franchi la barre du demi-million d’exemplaires vendus en 2000 et entre deux piges au cinéma (Exit Wounds, Cradle 2 the Grave…) il s’est ensuite distingué sur les projets de ses congénères (dont le hit strictement hexagonal Got What You Need d’Eve), mais son essai suivant Hell and Back mettra quatre longues années à sortir pour au final ne bénéficier que très peu de promo et de passages radio.
Après un troisième solo en 2007, Drag-On va finalement quitter Ruff Ryders Entertainment en mai 2011 non sans clamer haut et fort avoir des projets plein la tête : « Je vais créer mon propre label Hood Environment et monter mon site internet. J’ai mes propres artistes, nous allons sortir nos propres vidéos. Pour de vrai, je suis super excité, les gens sont super réactifs, la rue attend mes nouveaux sons. C’est le début d’un mouvement. »
Passé toutefois ce bel enthousiasme, sept ans plus tard force est de constater que le « mouvement » n’a malheureusement pour lui pas vraiment pris…
Eve
Autoproclamée « pitbull en jupe », celle qui sera également surnommée non sans raison « les plus belles lèvres du game » surprend un peu tout le monde en 1999 en écoulant 2 millions de copies de Let There Be Eve…Ruff Ryders’ First Lady.
S’en suivent Scorpion en 2001 qui sera certifié platine notamment grâce aux hits Who’s That Girl? et Let Me Blow Ya Mind en duo avec Gwen Stefani (les deux keupines collaboreront de nouveau par la suite et partiront même en tournée en 2016), puis Eve-Olution en 2002 qui sera un demi-succès avec ses 700 000 ventes et quelques.
L’opus sera cependant l’occasion pour Eve Jihan Jeffers de renouer pour de bon avec Dr. Dre chez qui elle avait signé au tout début de sa carrière avant de mettre les voiles et de retourner sur la côte est.
C’est donc sans surprise qu’elle rejoint très peu de temps après l’écurie Aftermath non sans avoir lancé au passage sa marque de fringue Fetish et effectué ses premiers pas au cinéma dans XXX, Barbershop et Charlie’s Angels.
Tandis que tous les compteurs sont au vert pour qu’elle passe un nouveau cap, étonnement à l’exception de quelques featurings ici et là (Amerie, Kelly Rowland, Ludacris…) et de quelques scandales (révélations de son passé de stripteaseuse et fuite de sa sextape), plus rien ne se passe.
Il faut attendre 2007 pour que sortent quelques singles (dont Tambourine) sans que pour autant l’album annoncé arrive dans les bacs. Six ans plus tard, Lip Lock, son quatrième essai voit enfin le jour en indé, mais ne réussit pas à renouer avec son succès d’antan.
En même temps, question finances rien de grave, la belle s’est mariée à 34 ans en 2014 avec le playboy millionnaire britannique Maximillion Cooper célèbre pour avoir créé le Gumball 3000, un rallye automobile pour caisses de luxe.
MC Jin
Probablement alléchés par la vague de folie entourant l’arrivée du chinois Yao Ming en NBA, les frères Dean décident en 2003 de signer un emcee d’origine asiatique, une première à l’époque.
Repéré suite à une série de battles remportées dans l’émission de télévision 106 & Park diffusée sur BET, celui qui vendait alors ses propres mixtapes dans la rue rejoint les Ruff Ryders.
Jin Au-Yeung de son vrai nom enregistre son premier single Learn Chinese qui bien que gênant en diable sera le tout premier clip diffusé sur MTV Chine.
La mécanique se grippe ensuite, puisqu’en plus de voir son second single I Got a Love featuring Kanye West bloqué par Roc-A-Fella désireux de ne pas surexposer son producteur, son premier album The Rest Is History est repoussé un an durant avant de sortir dans l’indifférence générale.
Cet échec ne marque cependant pas la fin pour Jin. Malgré l’annonce de son retrait du rap jeu et le titre I Quit qui va avec, il réussit à trouver un second souffle, tout d’abord en se convertissant au christianisme, puis en rappant en cantonnais les joies du christianisme à l’attention du marché chinois.
Il revient néanmoins aux États-Unis en 2014 avec un nouvel album avant de s’essayer au stand-up dans les cabarets de New-York. Fort de cette expérience, il participe désormais à divers programmes télé chinois centrés sur l’univers du rap.
The LOX
Débauchés de chez Bad Boy par des Ruff Ryders qui s’occupaient déjà de leur management, les trois lascars Styles P, Sheek Louch et Jadakiss donnent ainsi suite à leur rugueux Money, Power & Respect de 1998 avec leur toujours aussi rugueux We Are the Streets en 2000.
En 2001, le groupe change de nom pour devenir D-Block et intègre un nouveau membre : J-Hood. Un label affilié du même nom est également créé.
Paradoxalement, à partir de là chacun des membres va cependant se concentrer sur sa carrière solo, tous ayant sorti depuis une demi-douzaine d’albums – tous sauf J-Hood qui s’est fait virer manu militari après s’être filmé en 2007 en train de jeter sa chaîne au sol.
Parmi les projets les plus notables du trio, on notera la trilogie du bisou de Jadakiss (Kiss tha Game Goodbye en 2001, Kiss of Death en 2004 et The Last Kiss en 2009 qu’il voulait initialement intitulé Kiss My Ass), l’album collaboratif Wu Block de Louch avec Ghostface Killah ou encore les feats à succès de Styles (Locked Up avec Akon, B.M.F. avec Rick Ross).
Si le groupe quitte définitivement Ruff Ryders Entertainment en 2010, il se reforme néanmoins en 2015 en s’engageant chez Roc Nation chez qui sort après un hiatus de seize ans l’album Filthy America… It’s Beautiful.
Notez enfin que Styles P et Jadakiss se sont convertis entretemps aux joies du bio et ont ouvert plusieurs bars à smoothies entre le Bronx et Brooklyn.
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DMX
L’une des dégringolades les plus spectaculaires (et les plus tristes) du rap.
Si aujourd’hui Earl Simmons est au mieux connu pour être le type dont l’ultra-banger X Gon’ Give It to Ya est repris dans les bandes-annonces de Deadpool, il était en 1998 la plus grosse star du rap de l’ère post Bigggie/2Pac. Et de loin
Non content d’avoir vendu son premier disque It’s Dark and Hell Is Hot sorti en mai à plus de 4 millions d’exemplaires, il remet le couvert moins de sept mois après avec Flesh of My Flesh, Blood of My Blood qui s’écoule à 3 millions d’unités, devenant ainsi le seul rappeur à classer de son vivant deux albums numéro 1 sur une même année.
Alors que ses trois essais suivants connaissent le même sort (… And Then There Was X en 1999, The Great Depression en 2001 et Grand Champ 2003), il se retrouve en sus courtisé par Hollywood qui lui offre des rôles de premier plan dans des films aux budgets conséquents (Belly, Romeo Must Die, Hors Limite, Cradle 2 the Grave…).
Pas mal pour un type à qui Puff Daddy avait refusé un contrat en raison de son timbre de voix selon lui impossible à marketer.
Reste que si tout semble aller pour le mieux, le ver était dans le fruit dès le départ. Sujet aux addictions les plus diverses et variées, sitôt hors des studios le Sombre Monsieur X enchaîne les dérapages incontrôlés, tant et si bien que la taille de son casier judiciaire finit très rapidement par surpasser celle de sa discographie.
Arrêté un nombre incalculable de fois pour conduite sans permis (à se demander s’il n’en a jamais eu un), mais aussi pour port d’armes, cruauté animale, possession de cocaïne… il annonce en 2003 vouloir mettre un terme à sa carrière pour trouver la paix intérieur auprès de dieu.
La suite n’en sera que plus pathétique : en 2004 il tente sous crack de se faire passer pour un agent du FBI afin d’éviter de se faire embarquer par le police après avoir cartonné une barrière de sécurité dans un aéroport, en 2007 il est condamné à reverser 250 000 dollars à une marque d’accessoires pour chiens qui l’avait sponsorisé pour faire la promotion de ses vêtements avant qu’il n’encaisse leur chèque et ne change d’avis, père de quinze enfants en 2015 il est reconnu redevable de près d’un demi-million de dollars de pensions alimentaires non-payées, en 2016 il est retrouvé inconscient au volant de sa caisse après une overdose…
Tout cela sans oublier une ribambelle de déclarations et de moments des plus gênants : quand il accuse l’une de ses baby mamas de l’avoir violé, quand il apparaît dans des émissions de télé réalité mettant en scène sa vie privée, quand il se fait filmer complètement flippé dans un grand huit, quand il se met et à courir à poil dans les couloirs dans un hôtel, etc.
Désormais bientôt cinquantenaire, il annonce régulièrement l’arrivée d’un huitième album studio. Une nouvelle dont on ne sait pas vraiment s’il faut s’en réjouir ou la redouter.
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