A l’occasion de l’anniversaire des 20 ans du premier album solo de Puff Daddy No Way Out sorti le 22 juillet 1997, retour sur les moments clefs d’une des épopées les plus fructueuses de notre époque…
C’est l’homme de tous les superlatifs, celui qui fait passer ces rappeurs qui viennent de décrocher le million pour des gratteurs de tickets restaurant, Kanye West pour un modèle d’humilité, Vil Coyote pour un neurasthénique sous perfusion, Kobe Bryant pour un fumiste du fond de la classe… Puff Daddy, ou l’homme qui depuis un quart de siècle met en scène sa vie publique comme une mi-temps du Superbowl.
Rappeur, entrepreneur, producteur, entertaineur, restaurateur, designeur, promoteur de vodka… ce natif de Harlem est l’incarnation ultime de l’autodidacte « ghetto fabulous » arrivé au bout du bout de son rêve américain.
À l’origine de cette réussite sans égal ou presque, son label Bad Boy Records. Alors que dans le monde du rap très rares sont ceux, y compris parmi les plus doués, qui brillent de mille feux plus de deux ou trois saisons, Sean Combs a su créer de toutes pièces l’usine à hits la plus efficace de toute l’industrie musicale des années 90.
Avec 21 albums de suite certifiés or ou platine (!), Bad Boy a transformé dans les grandes largeurs la physionomie de la culture urbaine en conciliant le talent de son armada d’artistes maison (Notorious B.I.G., Ma$e, Faith Evans, The LOX, Total, 112 New Edition, Mario Winans… et tant d’autres), le son unique développé par son pool de producteurs les Hitmen, et une science du marketing jusqu’alors inédite.
« Être signé sur Bad Boy c’était comme être choisi numéro 1 de la draft par les Bulls de Michael Jordan » déclara un jour Jadakiss.
(Re)découvrez en 8 chapitres l’histoire des mauvais garçons les plus flashy du game dont la devise « Can’t stop, won’t stop » ne cesse encore aujourd’hui de résonner.
Chapitre I : ce jour où Puff Daddy s’est fait virer
Engagé au forcing à 19 ans comme stagiaire chez Uptown Records, en plus de suivre ses cours à l’université le jeune Puff s’astreint à 4 heures de trajet quotidien pour se rendre dans les locaux de son nouvel employeur.
Motivé comme personne, il se fait rapidement repérer par le fondateur des lieux, Andre Harrell. Ancien rappeur et CEO de Motown Records, ce dernier décide de le nommer directeur artistique en chef (un poste équivalent dans l’organigramme à celui de vice-président !) malgré sa relative inexpérience.
Puffy investit alors le créneau très en vogue de la new jack swing. En plus de produire les stars de l’époque comme Father MC ou Christopher Williams, il ajoute au catalogue du label des artistes du calibre de Mary J. Blidge et Jodeci.
Des tensions apparaissent cependant très vite avec son mentor qui digère mal le succès si soudain de son jeune poulain – succès auquel s’ajoute cet orgueil sans limite qui déjà le caractérise. Harrell finit ainsi par licencier Diddy en 1993.
Cette décision va marquer l’acte fondateur de la légende du futur mogul qui trouve là une source de motivation à toute preuve pour embrasser son destin : « Je voulais faire trembler le game. Je voulais ma vengeance, mais une vengeance positive. Je voulais leur faire regretter ce choix. »
Grâce à ses connections acquises dans le milieu, il s’en va fonder son propre label, Bad Boy, puis signe dans la foulée un deal de distribution estimé entre 10 et 15 millions de dollars avec Arista Records.
Histoire de ne pas démarrer l’aventure à poil, Combs emmène dans ses bagages un jeune emcee de 19 ans qu’il a découvert en lisant le magasine The Source et qui répond à l’époque au nom de Biggie Smalls.
Chapitre II : « It was all a dream »
Si la première sortie (et premier hit) de Bad Boy fut Flava In Ya Ear de Craig Mack, l’histoire retiendra que le morceau qui va graver dans le marbre l’identité du label sera définitivement Juicy de Notorious B.I.G., tant pour ce qui est de la patte sonore que du processus de fabrication.
Sur une idée originale plus ou moins gentiment piquée à Pete Rock par Diddy et sur un sample vieux à peine d’une dizaine d’années (Juicy Fruit de Mtume), les deux nouveaux meilleurs amis inaugurent un rap champagne en contant un style de vie encore en grande partie fantasmé.
Baraques immenses, luxe et volupté, pyjamas en soie, exubérances capitalistes… là où la concurrence continue de rapper encore et toujours la rue, l’idée est ici de vendre du rêve, de mettre en scène le succès jusqu’à devenir ce succès.
Empruntant la voie des radios mainstream ouverte quelques mois plus tôt par The Chronic de Dr. Dre, le single inaugure la domination du hip-hop (enfin d’un certain hip-hop) sur la culture pop américaine.
Ce gout du clinquant et de la « new money » ne fera que s’accentuer par la suite. De la grandiloquence mafieuse du second disque de Biggie Life After Death, aux clips où tout effet de sobriété semble rigoureusement proscrit (les « shiny suits » de Mo Money Mo Problems, la pyrotechnie délirante de Victory, les crachats de champagne face caméra…), en passant par la moindre apparition sur le tapis rouge : le show ne s’arrête jamais.
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Chapitre III : le marketing, la rue et le marketing de rue
Outre le son si reconnaissable proposé par Bad Boy, le succès du label repose également sur ses fameuses street teams, soient ces équipes composées de fans qui en échange d’une rémunération dérisoire (CD, t-shirts, invitations…) sont en charge de distribuer des échantillons promo aux endroits les plus stratégiques ou de décorer les murs des ghettos selon les angles les plus surprenants.
Puffy : « Ils doivent être partout. Dans les radios, dans les clubs, aux mariages, aux enterrements, chez les coiffeurs, ils font ce qu’il faut pour que Bad Boy soit connu. »
Concrètement cela passe aussi par être au mieux avec tous les types importants de chaque quartier, et notamment les dealeurs. « Si un caïd de Brooklyn ou du Bronx passe une de nos cassettes dans sa voiture, tous les mômes du coin voudront l’avoir à leur tour. La rumeur part de là, et c’est gagné ».
Décidément peu regardant sur l’éthique, Bad Boy n’hésite également pas à rémunérer les DJs et producteurs de mixtapes pirates pour qu’ils fassent tourner sa musique.
Chapitre IV : ce jour où le rap est mort
Le 30 novembre 1994, 2Pac se fait tirer cinq fois dessus, dont une à la tête, par trois individus venus le braquer à la sortie des studios Quad Recording de Manhattan (New-York). Aussitôt remis en étant, le rappeur qui n’est pas encore officiellement affilié au label californien Death Row accuse nommément le camp Bad Boy d’avoir fomenté cette tentative d’assassinat déguisée en vol.
Le 24 septembre 1995, la tension monte encore d’un cran entre les deux côtés quand Suge Knight assiste à une soirée où est également Puff Daddy. Si les deux hommes entretenaient jusque-là des relations cordiales, les choses dégénèrent cette fois pour de bon quand l’un des convives, un certain Jack Robbes, est tué par balles.
Prétendu membre du gang des Piru, il est un proche de Knight. Ce dernier tient alors Combs pour responsable de sa mort – selon plusieurs témoins, l’auteur des tirs serait l’un des gardes du corps de son homologue new-yorkais.
Les deux écuries Bad Boy et Death Row vont néanmoins se retrouver nez à nez lors de la cérémonie de remise de prix des Source Awards de 1995.
Convié sur scène pour recevoir le trophée de la meilleure bande originale de film (pour Above The Rim), Suge Knight s’en prend publiquement à Diddy, exhortant « tous les artistes qui ne veulent pas avoir leur producteur exécutif en train de danser dans leurs clips » à venir le rejoindre sur Death Row.
Si l’intéressé déclarera après coup qu’il s’était cru ce jour-là dans « une cour d’école », cela ne l’empêche pas sur le moment de répliquer : « I live in the East, and I’m gonna die in the East ».
Vu du hublot ces chamailleries peuvent encore aujourd’hui paraître dérisoires, à ceci près que parmi moult incidents violents, elles aboutiront aux meurtres des deux rappeurs les populaires de leur époque : 2Pac décède le 13 septembre de l’année suivante, tandis que BIG le rejoint le 9 mars 1997.
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Chapitre V : I’ll be missing you
Un peu producteur, un peu backeur, un peu casteur… jusqu’à la sortie de son premier album solo, beaucoup se demandaient quel était exactement le rôle artistique tenu par Diddy. Avec No Way Out, c’est décidé il sera rappeur.
Après Can’t Nobody Hold Me Down, Puffy enregistre plus ou moins à la va-vite un second single hommage à Christoper Wallace : lyrics ghostwrité de A à Z par Sauce Money (suite au refus de Jay Z) et instru reprenant grossièrement Every Breath You Take des Police.
En featuring avec Faith Evans et les 112, le titre squatte 11 semaines d’affilé le haut des charts et s’écoule à 7 millions d’exemplaires, un record dans le rap – record qui tiendra 13 ans durant jusqu’au Not Afraid d’Eminem en 2010.
Puff exploitera ensuite la formule de l’hommage jusqu’au moindre fond de tiroir, se faisant accuser au passage d’en faire un peu trop sur sa relation passée avec Biggie qui n’était quand même pas son ami d’enfance.
No Way Out marque également un tournant dans l’histoire du label : ce moment où son président commence à se concentrer plus sur sa personne que sur ses artistes. Beaucoup vont alors se sentir négligés…
Chapitre VI : la malédiction Bad Boy
Au fil des ans, ce sont près d’une quarantaine d’artistes signés un jour sur Bad Boy qui quitteront quitteront brutalement le navire.
La faute à un Puff Daddy qui en coulisses se révèle paradoxalement très près de ses sous et arnaque contractuellement ses protégés éblouis par le bling-bling. Résultat, excepté le maitre des lieux dont la discographie totalise six albums, très rares sont ses poulains qui ont sorti au moins deux disques chez lui (quand ce n’est pas un seul et unique hit et au revoir).
La faute également à ce que la presse a surnommé « la malédiction Bad Boy » : de la mort foudroyante de Notorious BIG à 24 ans, à l’incarcération de Shyne qui prend 10 ans pour son rôle dans une fusillade dans un club, en passant par Ma$e qui décide en 1999 de devenir prêtre alors qu’il est au sommet de son game.
Tout cela sans oublier les 14 ans de placard que Loon purge actuellement en Belgique pour trafic d’héroïne, ou la peine de 15 ans qu’effectue G-Dep après avoir avoué en 2010 un meurtre qu’il avait commis 17 ans auparavant.
Chapitre VII : la résurrection
En 2002 le deal de distribution de Bad Boy avec Arista prend fin. Copropriétaire depuis 1996 (ce dont très peu de soi-disant patrons de label peuvent se targuer), Puff débourse alors selon les estimations entre entre 20 et 30 millions de dollars pour racheter les parts de la maison de disques et devenir ainsi le seul maître à bord du navire.
Assis sur un catalogue pesant 75 millions de disque vendus, il s’associe l’année suivante avec Universal Records pour renflouer les caisses avec toute la passion et la vigueur qu’on lui connait.
Après la sortie de son album de remix (sobrement intitulé P. Diddy & Bad Boy Records Present. … We Invented the Remix) et des cartons I Need a Girl (Part One) et I Need a Girl (Part Tvo), il produit la bande originale blockbuster de Bad Boys II (forcément), signe Cassie et Young Joc en 2005, puis se lance dans la télé réalité pour quatre saisons avec la très profitable émission Making The Band, qui lui permet au passage de signer le tout aussi profitable groupe de filles Danity Kane.
Circulez y a rien à voir, les billets verts continuent d’affluer sur le compte en banque de celui qui « au petit dej’ mange des cornflakes sur la tête de ces renois »
Chapitre VIII : l’héritage
Fin 2009, la maison Bad Boy déménage chez Insterscope (son catalogue restecependant la propriété de Warner Music). Sont signés peu de temps après Machine Gun Kelly et French Montana.
En 2015 nouveau déménagement, cette fois chez Epic. Suite à un duo de concerts à Brooklyn commémorant les 20 ans de l’aventure suite à une réunion initiale sur la scène des BET Awards, le tout nouveau (et tout premier) milliardaire du rap décide de jouer la carte de la nostalgie et lance avec les rescapés de sa « familiy » (Lil’ Kim, Mase, Faith Evans, 112, Total, The LOX, Carl Thomas, Black Rob & French Montana) le Bad Boy Reunion Tour.
Histoire de boucler la boucle, est sorti le 25 juin dernier le documentaire maison Can’t Stop, Won’t Stop: A Bad Boy Story qui retrace non sans emphase cette success story unique en son genre dans l’histoire de la musique moderne.
« Bad Boys For Life ! »
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