A l’occasion des 20 ans de Reasonable Doubt, son premier album sorti le 25 juin 1996, découvrez comment Shawn Corey Carter est devenu la multinationale la plus florissante du rap…
Qui d’autre que Jay Z symbolise mieux le rêve américain ? Celui qui clamait haut et fort « I. Will. Not. Lose. Ever. » sur U Don’t Know est depuis ses débuts reconnu tant pour son sens du rythme que pour son sens des affaires.
Outre le fait que sa fortune personnelle soit estimée à 610 millions de dollars et des brouettes, S. Carter peut se targuer d’afficher sur son palmarès plus de numéros uns qu’Elvis Presley, d’avoir lancé les carrières de Kanye West et Rihanna (et tant d’autres), ou encore de s’être marié à l’une des femmes les plus désirables du 21ème siècle.
Quand bien même un parcours comme le sien reste du domaine de l’exception et tend parfois à confondre un peu trop benoîtement l’idée de réussite avec celle de réussite matérielle, quelques grands principes peuvent être dégagés.
En voici sept qui ont fait de lui le Jéhovah du rap jeu.
Loi n°1 : Le travail comme moteur
De 1996 à 2003, Jay Z a sorti un album tous les ans, tout en dirigeant Roc-A-Fella Records, l’un des labels les plus prospères de son époque et en lançant un nombre incalculable de partenariats.
Cette éthique de travail le précédait bien avant son entrée dans le rap. Alors qu’il était encore un petit dealer du Marcy Project, non seulement le jeune Hova s’abstenait de fumer de l’herbe histoire de rester concentré sur les chiffres, mais il mettait à profit ses longues heures passées à attendre le client pour imprimer dans un coin de sa tête ses futurs textes.
Aux faits de gloire de cette génération d’afro-américains qui a lutté activement pour les droits civiques et à qui il succède, l’auteur de Money, Cash, Hoes préfère les sirènes du mythe de l’autodidacte.
Sérieusement qui a pu croire en 2003 qu’à trente ans et quelques ce dopé de taf allait prendre sa retraite ?
Loi n°2 : Ne jamais accepter un « non » comme réponse
Hustler dans l’âme, Jay Z s’est vu à plusieurs reprises contraint de créer ses propres opportunités pour avancer.
Tandis qu’aucune maison de disque ne souhaitait le signer, il s’associe à Damon Dash et Kareem Burke. Ensemble les trois lascars mettent en commun la totalité de leurs économies pour tourner le clip de In My Lifetime. Les 16 000$ investis leur permettront ensuite de signer leur label chez Def Jam.
En 2004, le trio revend ses parts pour 10 millions de dollo.
Autre déconvenue : alors que les rappeurs du Roc arborent ostensiblement les sweats de la marque Iceberg Apparel, cette dernière refuse de les rémunérer.
Ni une, ni deux, Jay et Dame fondent en 1999 Rocawear, refusant de laisser à d’autres le soin de se faire le moindre billet sur leur dos (ou comme aimait à le répéter le tumultueux Dash « Roc-A-Fella or fuck you »).
Le 6 mars 2007, Iconix Brand Group Inc. rachète la ligne de vêtements pour la somme astronomique de 204 millions de dollars.
Loi n°3 : Que tout ait l’air facile
Quand Jay Z débarque dans le game avec le festif et détaché single In My Lifetime, il tranche avec le reste de ses congénères de la côte est, encore tous engoncés dans un rap très étiqueté ghetto.
À l’image de son flow qui glisse sans forcer, Jay donne lui l’impression de s’amuser en mettant l’accent sur son talent plutôt que sur ses efforts.
Aussi à l’aise dans ses Timberland que dans ses costumes trois pièces, il passe naturellement d’un milieu à une autre, que ce soit celui du rap, des affaires ou des événements mondains.
Jay Z c’est le mec cool, qui fait des trucs cool toute la journée et traîne avec les gens les plus cool de la planète (Barack, Lebron, Denzel…).
Loi n°4 : Toujours penser à la suite
Dans son autobiographie Decoded, Jay Z raconte qu’avant de se lancer dans le grand bain il a couché sur papier un business plan en compagnie de Dash et Burke.
« Nous avions fait des projections à court et à moyen termes, des projections que nous voulions réalistes. La clef c’est que nous les avions écrites, c’est tout aussi important que de les visualiser. »
Jay Z s’est toujours efforcé d’avoir un coup d’avance. Dès le départ Roc-A-Fella est pensé pour être revendu – raison pour laquelle dès son premier album Hov’ annonce que chaque nouvel album sera son dernier, histoire de capitaliser au maximum sur son potentiel.
Si l’on examine comment s’enchaîne ses différents business, on constate qu’étonnamment rien n’arrive comme un cheveu sur la soupe, qu’il existe un fil rouge, une vision.
Exemple : il lance un bar sportif, puis une chaîne de bars sportifs, pour ensuite acquérir des parts dans une équipe de basket, et enfin lancer sa propre agence sportive.
Là où beaucoup de rappeurs privilégient le court terme, Mr. Carter couve patiemment sa poule aux œufs d’or.
Loi n°5 : S’adapter à son public
Dans Moment of Clarity, Jay Z balance le plus nonchalamment du monde « I dumbed down for my audience to double my dollars », soit en VF : « J’ai abruti mon public pour doubler mes dollars ».
Pris comme ça, l’aveu peut choquer (et accessoirement en dit beaucoup sur le rap US grand public), mais ne diffère guère que dans la forme du discours d’un Steve Jobs dont la devise était de se concentrer sur la simplicité (« That’s been one of my mantras – focus and simplicity »).
Alors que Reasonable Doubt avait reçu des critiques élogieuses, commercialement ce fut une déception. Jay Z qui avait déjà ralenti son flow très technique des débuts, accélère sa mutation et épure sa musique de toutes métaphores et autre jeux de mots qui avaient fait la joie des puristes.
Résultat, si beaucoup se montrent dubitatifs quant à la qualité du très bling-bling In My Lifetime, Vol. 1 (à commencer par son auteur lui-même), l’opus engrange les passages radio et lui ouvre la voie vers un nouveau public.
Loi n°6 : Diversifier ses sources de revenus
Jay Z n’a certes pas sorti d’album depuis Magna Carta Holy Grail 2013, mais contrairement aux autres moguls du rap jeu dont la valeur financière est indexée sur leur projets musicaux, il est désormais devenu un homme d’affaires à part entière.
Ou comme il le rappait sur le remix de Diamonds From Sierra Leone : « I’m not a businessman, I’m a business, man! »
Il faut dire que celui qui aime à rappeler qu’il n’est pas à 50 000 près possède des parts sur tous les fronts : marques de textiles, établissements de nuits, labels, club de basket… sans oublier ses juteux contrats de sponsoring signés avec Budweiser, Hewlett Packard ou encore Reebok.
Là encore on retrouve son ambition d’être toujours plus que ce à quoi on le prédestinait et de ne pas cantonner son talent à un domaine de compétence.
Loi n°7 : L’art de la mise en scène
Textuellement, la carrière de Jay-Z se résume à la mise en abyme perpétuelle de son incroyable succès. Un succès dont lui-même ne semble toujours pas revenir au demeurant.
Ressassant à volonté à chaque marathon promotionnel son rêve cainri made in Brooklyn, il s’évertue à cultiver une image de touche à tout virtuose.
Et pour cause : « Les gens respectent le succès. Ils respectent que ce qui est grand. Ils n’ont pas nécessairement à aimer ta musique. Si tu es assez grand, les gens sont attirés vers toi. »
Très tôt, Jay Z a compris que la réussite marche souvent de pair avec la mise en scène de la réussite. Etant lui-même son meilleur attaché de presse, il s’est ainsi évertué à passer à la loupe ses coups d’éclats, tout en ne s’attardant guère sur ses (rares) déconvenues (l’incident avec Solange, le clash perdu contre Nas, le fail des baskets S.Carter…).