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Les 5% sont-ils les Illuminatis du rap ? [DOSSIER]

Les 5% sont-ils les Illuminatis du rap ? [DOSSIER]

Présents dans le mouvement depuis le départ, à trop mélanger politique, ghetto et religion, les Five Percenters cultivent des faux-airs de gang ou de secte…

Le Wu-Tang Clan, Nas, Rakim, Busta Rhymes, Jay Electronica, Big Daddy Kane, Common… Innombrables sont les rappeurs qui ont un jour ou l’autre fait référence dans leurs textes aux 5%, alias la Nation des Dieux et des Terres (The Nation of Gods and Earths ou N.G.E.), cette organisation spirituelle aux contours plutôt flous qui mélange allègrement préceptes bouddhistes et rastafaris, mais aussi et surtout islamiques – ou tout du moins d’inspirations islamiques.

Fondée en 1964, les 5% naissent suite à une scission au sein de la célèbre Nation of Islam d’Elijah Muhammad et Malcom X menée par un certain Clarence Edward Smith dit Clarence 13X.

Celui qui se surnommera par la suite « Allah The Father » conteste alors vivement le fait que Wallace Fard Muhammad (le fondateur du la N.O.I.) soit la réincarnation terrestre de dieu. Selon lui, Allah est l’homme originel, personnifié en chacun sur cette terre, et absolument pas cette entité abstraite à laquelle doivent se soumettre les croyants.

Les tensions seront alors très vives entre les deux structures, tant et si bien que certaines sources n’hésitent pas faire le lien entre ces dernières et le décès par balles de Smith en juin 1969. Aujourd’hui encore ce meurtre demeure non élucidé.

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Le monde se divise en trois catégories

À partir de là, la N.G.E. élabore sa propre doctrine basée sur le principe du rapport à la connaissance :

85% de la population mondiale vit dans l’illusion d’un dieu qui n’existe pas
10% entretiennent ce mensonge pour asseoir leur domination
5% détiennent la Vérité

Face à cette minorité considérée comme « diabolique », les 5%, ou « enseignants vertueux » (« Poor Righteous Teachers »), ont le devoir de faire accéder à la lumière la masse « aveugle, sourde et muette ».

RZA exhibe en pendentif l’emblème de la Nation : le soleil pour le Savoir, le 7 pour God, la Lune pour les femmes et l’Étoile pour les enfants.

Ésotérisme et dialectique du chiffre

Ce corps idéologique est ensuite enrobé de tout un folklore qui s’appuie notamment sur un vocabulaire articulé autour des concepts de Supreme Mathematics et de Supreme Alphabet.

Les Mathématiques Suprêmes assignent ainsi un sens à chacun des chiffres, plus ou moins sur le modèle de la tradition juive mystique de la Kabbale. Le 1 représente le savoir, le 2 la sagesse, le 3 la compréhension, le 4 la culture, le 5 le pouvoir, le 6 l’égalité, le 7 dieu, le 8 le cycle de la vie, le 9 la naissance et le 0 le chiffre.

Le Supreme Alphabet fonctionne selon une méthode similaire qui fait correspondre à chaque lettre de chaque mot un sens bien précis – le A signifie Allah qui signifie lui-même Asiatic Blackman, qui signifie « Arm-Leg-Leg-Arm-Head » ; le Z signifie Zig-Zag-Zig (« du savoir à la Sagesse à la Compréhension »), etc.

L’un dans l’autre, le procédé permettait de comprendre le sens caché des textes en détectant « faits » et « preuves ».

Un troisième pilier vient enfin compléter ce corps doctrinaire : les 120 degrés ou 120 leçons. Largement inspirés d’un texte initiatique de la Nation of Islam, ils forment une sorte de catéchisme qui se présente sous la forme d’une série de questions/réponses dont les membres se les répètent en boucle lors de leurs rassemblements.

Forts de ce savoir, les Five prêchent alors la bonne parole dans les rues d’une manière bien à eux : non pas en sermonnant la foule, mais en scandant leurs textes sur le bitume, un comportement qui va très vite intriguer les premiers b-boys des années 80 qui vont incorporer certaines de leurs expressions dans leurs argots – expressions encore en vigueur de nos jours (« word is bond », « break it down », « peace », « represent »…).

Une vision romantique de l’Islam

Si la proximité avec la religion musulmane est évidente (leurs textes rebaptisent Harlem, la Mecque ; Brookyn, Médine ; le New Jersey, le New Jerusalem…) et bien que les Five Percenters admettent que le monde a été créé par Allah, ils refusent néanmoins d’être assimilés à une quelconque croyance.

Loin de toute interprétation littérale, les Five laissent en effet le soin à l’individu à dégager ce que les textes veulent « réellement » dire. Chaque membre étant en mesure de se gouverner soi-même, boire ou fumer ne sont donc pas prohibés – raison pour laquelle Rakim (alias ‘Rakim Allah’) a été vu faire de la publicité pour la liqueur Hennessy.

« Nous sommes une culture qui vit en harmonie avec la nature divine, l’Univers et les principes mathématiques qui les gouvernent. Les Five Percenters sont l’essence de cet Univers qui nous entoure » dixit la brochure.

Racialisme et misogynie ?

Reste que sous ses aspects de bouddhisme urbain, la N.G.E. n’est pas exempte de controverses.

L’histoire de l’Humanité est, en effet, relue à la lumière d’un afro-centrisme loin d’être des plus œcuméniques. Reprenant l’idée que l’homme originel serait noir et asiatique, les 5 avancent que les Pharaons auraient été des rois noirs détruits par un Occident qui s’efforce depuis de masquer cette « réalité ».

Plus hardcore, tout comme la Nation of Islam, l’organisation réduit non seulement la race blanche à « la race des diables », mais elle soutient qu’elle a été créée par le sorcier noir Yacub il y a 6 600 ans – voir cette interview assez hallucinante de Muhammad Ali période N.O.I.

Les femmes quant à elles, malgré leur statut de « Reines » sont cantonnées à la sphère privée, elles doivent cependant se contenter du statut de « Terres/Earths » là où les hommes sont tous des « Dieux/Gods ». Aucune responsabilité ne peut leur échouer au sein de l’organisation.

Plus inquiétant encore, certains états américains comme le Michigan ou la Caroline du Sud cataloguent l’organisation comme un gang notamment en raison de sa popularité dans le milieu carcéral.

D’ailleurs pour l’anecdote, au sein de la Supreme Team qui régna sur le trafic de drogue à New York dans les années 90, bon nombre des membres avaient prêtés allégeance à la Nation (dont Kelvin Darnell « Shameek Allah » Martin, le gangster dont 50 Cent a repris le nom).

« Bras-Jambe-Jambe-Bras-Tête »

Répondant à une problématique fondamentalement américaine, les Five n’ont cependant jamais traversé l’Atlantique.

Si quelques rimes subsistent çà et là chez nos rimeurs francophones (cf. Ali des Lunatic ci-dessus, les X Men…), il s’agit plus de clins d’œil que d’une véritable adhésion.

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