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Comment se sont financés les plus grands labels rap ?

Comment se sont financés les plus grands labels rap ?

Ils ont fait l’histoire de cette musique, découvrez quelles sont leurs histoires…

Longtemps considéré comme une musique à part, pour se tailler une place dans le monde du divertissement le hip hop a dû enfoncer pas mal de portes, à commencer par celles des maisons de disques. Culture du do it yourself en bandoulière, bon nombre de rappeurs se sont ainsi mués en entrepreneurs.

Apprenant sur le tas les ficelles du métier, ils se sont en partie affranchis des structures traditionnelles en créant leurs propres labels – pour aller vite ces sociétés en charge de produire, éditer et distribuer des enregistrements d’artistes.

Plus que de simples structures business, ces derniers sont rapidement devenus des marqueurs identitaires tant au niveau de l’imagerie que de la patte sonore, leurs noms étant scandés à tour de bras sur disques ou en interviews.

Si certains de ces labels tiennent clairement de la coquille vide ou de la sous-sous-filière, d’autres ont façonné l’histoire du mouvement. Entre mythes et légendes urbaines, voici comment tout a démarré pour huit des plus grands d’entre eux.

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À la fin des années 70 le hip hop n’en est qu’à un stade embryonnaire. L’histoire n’était alors pas écrite et le genre aurait pu disparaitre aussi rapidement qu’il était apparu. Une femme va cependant changer la donne : Sylvia Robinson.

Chanteuse de rhythm and blues depuis sa jeune adolescence (elle sort son premier disque à 13 ans, est numéro 1 des charts 16, écrit et compose pour Ike & Tina Turner…), elle se reconvertit ensuite en femme d’affaires dans le monde de la musique aux côtés de son mari et ancien manageur Joe qui est lui à la tête de plusieurs labels mineurs – All Platinum, Stang et Turbo.

En 1979, à l’occasion de son 43ème anniversaire, Sylvia est invitée dans un club de Harlem où est joué du rap et où se produisent des breakdancers. Le coup de foudre est immédiat : « C’était comme si Dieu m’avait montré la voie » confiera-t-elle.

Dans la foulée elle charge son fils Joey de recruter des emcees capables de reproduire ce son. Il l’emmène dans un restaurant du New Jersey et lui présente le pizzaïolo Big Bank Hank, 21 ans, ainsi que Master Gee, 16 ans et Wonder Mike, 21 ans, qui sont engagés après s’être lancés dans une improvisation sur le parvis de l’établissement. Le trio forme The Sugarhill Gang, première signature du tout nouveau label… Sugar Hill Records – un nom inspiré d’un quartier de Harlem.

Sur une instru composée par Sylvia Robinson elle-même, empruntant largement au hit Good times de Chic, le groupe enregistre en une après midi ce qui deviendra le premier vrai tube rap : Rapper’s Deligh.

Le succès est foudroyant. Non content d’être le premier single rap ever à se classer dans le Top 40 US, Rapper’s Deligh grimpe jusqu’à la quatrième place, tout en s’arrogeant la première marche des ventes dans plusieurs autres pays.

Une industrie est née.

Exploitant le filon, le couple Robinson produit ensuite le premier clip vidéo rap, introduit la cassette single et devant les refus de MTV de jouer cette musique va jusqu’à produire sa propre émission de télévision.

Dans son livre The Big Payback, Dan Charnas écrit : « Personne ne pensait que ce truc en vogue dans la rue était de la musique. Certes on en trouvait dans les soirées, mais Sylvia Robinson est la personne qui très tôt a vu qu’elle pouvait traduire cela sur disque. Non seulement elle l’a fait, mais elle y a ajouté sa touche. »

Peu de temps après sont signés sur Sugar Hill Records, Grandmaster Flash and the Furious Five, qui placent dix titres dans les charts entre 1980 et 1983, dont le mythique The Message.

Robinson doit pourtant faire face à de vives critiques. Outre le fait d’être accusée d’avoir placé sur le devant de la scène un boys band sans aucune légitimité, ses employés lui réclament des comptes.

Réputée comme étant dure en affaires (avances ridicules, clauses d’exclusivité drastiques, samples volés…), elle finit par scier elle-même la branche sur laquelle elle s’est assise, les artistes quittant le navire à tour de bras.

Sugar Hill Records met ainsi la clef sous la porte dès 1986.

Légende étonnamment oubliée du game, Robinson (dont le parcours a déjà inspiré pour beaucoup la série Empire) devrait faire l’objet d’un biopic prochain.

Def Jam, la passion du son

L’une des raisons principales qui explique que Sugar Hill Records n’ait pas tenu dans la durée tient très certainement au fait que Sylvia et Joe Robinson n’ont jamais vraiment cru que le rap, à l’image disco, ne durerait plus que quelques saisons.

À l’opposé du spectre, Russell Simmons qui détestait les sonorités très club de Sugar Hill était lui un authentique amateur de rap de rue. Fondateur au début des années de la compagnie de production Rush Productions qui comptait notamment dans ses rangs Run-D.M.C. (groupe auquel participe son frère Run) et Kurtis Blow, il donnait d’ailleurs comme consigne à son producteur Larry Smith de dépouiller ses sons au maximum : « Je veux seulement entendre le beat ».

En 1984, alors qu’il est âgé de 27 ans, il rencontre un certain Rick Rubin dans un dortoir de l’université de New York. Cet étudiant en art de six ans son cadet est à la tête d’un minuscule label de punk rock fondé l’année précédente baptisé Def Jam (« Def » étant un terme emprunté à l’argot des ghettos noirs signifiant « définitive », « Jam » signifiant « record »), Rubin se laisse convaincre par Simmons de se tourner vers le rap.

[Ce dernier reviendra régulièrement à ses premiers amours, notamment en inspirant la collaboration Walk This Way avec Aerosmith ou en produisant toujours sur Def Jam les métaleux Slayer.]

Les Steve Jobs et Steve Wozniak de la culture urbaine (les mecs qui ont fondé Apple dans leur garage Ndlr) signent ensuite le jeune LL Cool J, 17 ans, dont le premier single I Need a Beat cartonne (100 000 exemplaires vendus). Un succès qui couplé avec la sortie de Rock Hard des Beastie Boys, permet à Def Jam de décrocher un deal de distribution avec CBS.

La suite appartient à la légende : en 1985 l’album Radio de Cool James s’écoule à plus d’un million de copies, tout comme Licensed to Ill des Beasties Boys.

En 1988, Rubin quitte pourtant le navire en raison de luttes internes avec l’ambitieux bras droit de Simmons, Lyor Cohen.

En 1999, Russell Simmons passe le relais à un plus gros poisson que lui en revendant ses parts à Universal Music pour la modique somme de 135 millions de dollars.

Ruthless Records, l’audace comme carte de visite

La légende veut que l’année de ses 23 ans, Eric Wright alias Eazy-E ait, grâce à l’argent de la drogue, posé 250 000 dollars sur la table pour fonder l’antre du futur « groupe le plus dangereux du monde », les N.W.A.

En réalité il n’a déboursé « que » 7 000 dollars (soit quand même pas loin de 15 000 euros actuellement) pour payer les sessions studios nécessaires à l’enregistrement du single Boyz N the Hood coécrit par Dr. Dre et Ice Cube, puis le pressage de 5 000 vinyles.

Du haut de son mètre 59, il s’en va ensuite trouver un certain Jerry Heller, 48 ans à l’époque, à qui il propose 750 dollars pour lui faire écouter le morceau.

Vétéran de l’industrie du disque (il a par le passé collaboré en tant qu’agent, manageur ou tourneur avec Elton John, Marvin Gaye ou encore Otis Redding), ce dernier est alors à la tête d’un magasin permettant aux jeunes musiciens d’enregistrer puis de vendre indépendamment leur disques.

Bien que n’ayant préalablement aucun atome crochu avec le milieu du rap, Heller cerne très vite l’immense potentiel artistique et commercial du quintet. Il propose ainsi à Eazy-E de financer Ruthless à hauteur de 250 000 dollars en échange de 20% des parts du label.

L’une des plus belles pages du gangsta rap peut commencer à s’écrire, ou comme le déclara Heller à plusieurs reprises : « As Eazy conceptualised, Dre musicalised, I financialised and Cube verbalised. »

Si Eazy est celui qui incarne le plus la rue (ex-étudiant, Ice Cube vivait encore chez sa mère au début de l’aventure, quand Dr. Dre sortait lui tout juste du World Class Wreckin’ Cru, un groupe d’électro funk), il est fort possible que son passé de dealeur ne lui ait servi que de carapace.

Dans son autobiographie Ruthless: A Memoir sortie en 2006, Jerry Heller écrit en effet que le rappeur n’a jamais vendu de drogues dures, et qui ni lui, ni son entourage n’ont été témoins de tels agissements.

Toujours est-il que très vite le label va s’imposer comme l’usine à tubes numéro un de la côte ouest, accumulant du sol au plafond les certifications d’or et de platine (The D.O.C., Michel’le, Above The Law…).

De trop nombreux différents financiers viennent cependant gangrener Ruthless, tandis que le décès d’Eazy en mars 1995 à 30 ans met un terme définitif à cette success story d’un genre nouveau.

Death Row, le prix du sang

Est-ce la chute de Ruthless Records qui a permis l’éclosion du Couloir de la Mort, ou l’inverse ?

Engagé comme garde du corps de The D.O.C. du temps où il rappait chez Ruthless, Suge Knight en profite pour tisser des liens d’autant plus fort avec lui quand ce dernier est victime d’un accident de voiture lui endommageant à vie les cordes vocales.

Restant à son chevet, il finit par gagner sa confiance ainsi que celle de bon nombre d’artistes du label. Pointant les nombreuses irrégularités des contrats signés, il les convainc de rejoindre sa toute nouvelle écurie, Death Row.

L’affaire semble d’autant plus sûre, non seulement parce que Knight s’est déjà bâti une belle réputation de « protecteur » grâce à l’affaire Vanilla Ice (pour récupérer les royautés impayées de l’un de ses artistes, Suge avait menacé de jeter l’interprète du tube Ice, Ice baby du quinzième étage d’un immeuble), mais aussi parce qu’il bénéficie d’une mise de départ conséquente pour mener à bien son affaire.

Par l’intermédiaire de son avocat David Kenner, Suge Knight a rencontré quelques mois auparavant une certaine Lydia Harris, femme de Michael Harris, plus connu sous le nom de Harry O, un ancien dealer devenu millionnaire avant d’être condamné à 28 ans de prison en 1988 pour kidnapping et tentative de meurtre.

Membre des Blood, du temps de sa splendeur il caressait l’idée de se reconvertir dans le monde du spectacle (Denzel Washington lui doit d’ailleurs son premier rôle sur scène). Une ambition qui ne le quittera pas même une fois sous les verrous.

Knight prend le prétexte de produire le disque de sa femme pour rentrer en relation avec lui, puis convainc Harris de financer la société Godfather Entertainment à hauteur d’1,5 million de dollars en échange de 50% des parts.

Entretemps Knight libère Dr. Dre, The D.O.C., Michel’le et Above The Law de leurs obligations envers Ruthless, puis passe un deal avec Interscope Records pour sortir The Chronic.
Fini Godfather Entertainment, bonjour Death Row. Lydia et Michael Harris se retrouvent alors sur la touche.

L’affaire n’en reste cependant pas là. En mars 2005 un juge de Los Angeles accorde 107 millions de dollars de compensation au couple – une condamnation qui pousse le label à se déclarer en faillite.

Ironiquement, selon sa femme Lydia, Michael Harris s’était vu offrir une opportunité de sortir de prison en 1996 en échange de son témoignage contre Suge Knight (les autorités cherchaient à établir un lien entre l’argent sale et Death Row)… ce qu’il refusa.

Bad Boy Records, le goût de la revanche

Puff Daddy serait-il devenu Puff Daddy s’il n’avait jamais connu l’échec ?

Ayant débuté sa carrière professionnelle en tant qu’organisateur de soirées, le jeune Sean Combs fait alors la connaissance de Heavy D (le mec qui rappe sur Jam de Michael Jackson). À force de le saouler pour le faire entrer chez Uptown Records, il finit par être engagé comme stagiaire.

Déjà fidèle à sa discipline de travail qui fera sa réputation, en plus de suivre ses cours à l’université, Puff s’astreint à quatre heures de transport en commun par jour pour se rendre dans les locaux de son nouvel employeur.

Très vite il s’impose comme force de proposition et se fait repérer par Andre Harrell, boss et fondateur du label. Impressionné, ce dernier prend le pari d’en faire à tout juste 19 ans son numéro deux en le nommant directeur artistique en chef.

Les résultats ne se font pas attendre, Puff ayant le flair d’investir le très en vogue créneau de la new jack swing. Il signe ainsi Mary J. Blidge et Jodeci qui rencontrent tout de suite un grand succès.

Reste comme souvent le cas entre l’impétueux jeune prince et le vieux roi, les tensions se font de plus en plus vives. En 1993 Harell licencie Comb après une énième incartade.

« J’étais terrifié » admettra Puff. « Je n’avais aucun diplôme. Ma copine était enceinte de huit mois et demi. Je venais d’acheter une nouvelle maison dont je ne pouvais plus payer les traites. »

« Je me suis alors assis seul dans ma chambre et me suis posé la question que chacun se pose à un moment de sa vie : ‘Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Tu aurais dû garder ta bouche fermée et te contenter de faire ce qu’Andre t’avait dit de faire au lieu de vouloir à tout prix produire des hits. Maintenant regarde toi : qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?’ »

« J’étais confronté à deux choix : soit je me complaisais dans cet échec et j’abandonnais, soit je faisais le choix de sortir de cet enfer. Le truc c’est que lorsque l’on passe par une période sombre, il est tenant de rester là à attendre que la lumière pointe le bout de son nez, mais la seule et unique solution c’est d’aller de l’avant, de devenir sa propre lumière. »

Le futur mogul prend ainsi la décision qui va changer le cours de sa vie en créant son propre label, Bad Boy Records.

Bien lui en a pris, puisqu’il conclue dans la foulée un deal de distribution estimé entre 10 et 15 millions de dollars avec Arista Records, signe Notorious B.I.G., Ma$e, Faith Evans, The LOX, Total, 112 New Edition, ou encore Mario Winans et place 21 albums de suite certifiés or ou platine.

Aujourd’hui lui-même vieux lion du game, il ne peut que savourer selon ses propres mots sa « vengeance positive ».

No Limit, l’héritage

Bien que la technologie permette aujourd’hui de produire sans problème un album entier dans le style No Limit à partir du plus basique des ordinateurs portables et bien qu’aucun des soldats du crew n’apparaissent de près ou de loin dans le top 50 (ou même le top 100) des meilleurs emcees de l’histoire, la réussite de son taulier en chef Master P reste un modèle du genre.

Quand son grand-père décède en 1990 à la suite d’une faute professionnelle, Percy Miller reçoit à 21 ans un chèque de 10 000 dollars à titre de dédommagement.

Plutôt que de s’acheter une Benz d’occasion et frimer dans le Calliope Projects de sa Nouvelle Orléans natale, cet ex-étudiant en commerce utilise ce capital pour ouvrir à Richmond en Californie, le magasin de disques No Limit Records & Tapes spécialisé en rap west coast, et notamment les artistes de la Bay Area (Too Short, Rappin 4 Tay, E-40…).

Histoire de réduire un max les coûts, il s’installe dans un vieux local délabré et passe un accord avec le propriétaire : en échange de la rénovation des locaux et de la devanture, il ne paye aucun loyer pendant les trois premier mois. Dans le même ordre d’idée, le futur mogul s’installe au départ dans l’arrière-boutique pour y vivre avec sa femme Sonya (alias la future Sonya C) et son fils d’un an Percy Romeo (le futur Lil Romeo).

Le lieu devient vite un point de ralliement pour la communauté rap. Porté par son élan, Master P lance son propre label No Limit Records et sort en 1991 son premier album totalement autoproduit, Get Away Clean.

Si les chiffres de ventes restent confidentiels, en 1992 son second essai Mama’s Bad Boy s’écoule lui à plus de 150 000 exemplaires en indé, quand son successeur The Ghettos Tryin to Kill Me! franchit en 1994 la barre des 250 000 unités, permettant à No Limit d’engranger sur ce coup plus de 900 000$ !

Entre son groupe TRU et la sortie de ses compilations d’artistes locaux West Coast Bad Boyz 1 & 2, le label se taille une réputation grandissante. En 1995, Master P prend alors la décision de relocaliser son activité à la Nouvelle Orléans, et signe sur place toute une flopée de rappeurs du cru (Mystikal, Mia X, Kane & Abel, Fiend, Tre-8, Soulja Slim…) ainsi que le duo de producteurs Beats By The Pound.

Cette activité débordante lui permet de conclure en 1996 un deal sans précédent avec Priority Records. Non content de toucher 375 000 dollars d’avance pour chaque nouvel album tout en empochant 75% du prix de ventes (à titre de comparaison, un artiste du calibre de Madonna percevait à l’époque entre 25 et 50%), le label conserve également la propriété de ses masters.

Grâce à cette force de frappe nouvelle, les chiffres s’envolent. Master P vend désormais ses disques par millions (1,7 pour Ice Cream Man, 3,2 pour Ghetto D), lorsqu’il ne passe pas la barre des 500 000 dès la première semaine avec MP da Last Don en 1998.

Mieux, la puissance de la marque No Limit est telle que son public achète les yeux fermés tout disque orné du célèbre logo en forme de tank. Résultat, entre 1997 et 1998, P et sa bande de soudards vont sortir pas moins de 50 albums, dont une quinzaine seront certifiés platine.

En 1998 Master P peut s’époumoner « Uhhh ! » plus fort que jamais : fort de 20 millions de ventes pour cette seule année (!) et du succès de ses films faits maisons, ses revenus atteignent les 160 millions de dollars.

Au sommet de sa gloire, il se lance un défi impossible : jouer dans une équipe de NBA. S’il décroche un contrat pro avec les Charlotte Hornets et les Toronto Raptors, il ne participera cependant à aucun match de saison régulière.

Cette réorientation marque le début de la fin pour No Limit. À la moindre implication de son général s’ajoute une qualité musicale des sorties toujours aussi discutable, le départ des plus gros noms du roster (Snoop Dogg, Mystikal, les Beats By The Pound…), un effet de mode qui prend du plomb dans l’aile, la montée en puissance des écuries sudistes concurrentes… tant et si bien que le petite entreprise est sommée de se déclaré en faillite en 2003.

En même temps Master P n’était-il pas celui qui prophétisait au début de l’aventure qu’un label de rap ne pouvait rester hot qu’entre trois et cinq ans ?

Cash Money, started from the bottom

Réputés pour leur dureté en affaires, les frangins Bryan ‘Birdman’ et ‘Slim’ Ronald Williams ont été formés, non pas à l’école de la rue, mais par leur daron Johnny dans l’épicerie familiale.

[Cette même épicerie qui sera renommée le Glady’s Bar quand leur mère décèdera et qui est depuis name droppée à foison dans les textes de l’homme oiseau.]

Propriétaire de plusieurs établissements (bar, laverie…) dans le quartier des Magnolia de la Nouvelle Orléans, il souhaite que ses fils deviennent des entrepreneurs. Pour ce faire, il leur apprend les ficelles pour faire tourner un petit commerce, de la gestion de l’argent, aux bilans comptables, en passant par le ménage.

C’est d’ailleurs leur paternel qui leur avancera les fonds nécessaires pour que les deux frangins créent en 1991 le label au nom inspiré par le personnage de Nino Brown (interprété par Wesley Snipes) dans le film culte New Jack City.

Slim et Baby commencent alors à vendre leurs cassettes de bounce à l’arrière du coffre de leur voiture, et se bâtissent une solide réputation locale en sortant 31 albums en 6 ans.

Bien décidés à jouer dans la cour des grands, ils décident de passer la seconde, d’un part en renouvelant complètement leur catalogue d’artistes (au revoir U.N.L.V., Kilo G, Lil Slim & Co. bonjour Juvenile, les Hot Boyz et Mannie Fresh), et de l’autre en mandatant deux équipes de négociateurs pour leur décrocher un contrat au niveau national en maison de disques.

Deux consignes sont données à ces derniers : 1) Dégoter un meilleur deal que leur concurrent direct No Limit 2) Prendre le temps qu’il faut pour y arriver.

Neuf mois plus tard, c’est l’insider Wendy Day qui revient vers eux avec une offre d’Universal à hauteur de 30 millions de dollars sur 3 ans.

Considéré encore aujourd’hui comme « le meilleur deal de l’histoire de la musique noire », en plus des 3 millions dollars d’avance accordés aux frères Williams et des crédits de 1,5 million octroyés à chacun des six artistes, elle permet à Cash Money Record de conserver la propriété pleine et entière de ses masters et droits d’édition tout en s’arrogeant 80% des revenus.

Ou quand un label de quartier obtient d’une major qu’elle presse et distribue ses disques, et c’est tout.

Si Slim et Baby ont eu l’intelligence de déléguer le volet démarchage et négociations à des personnes plus compétentes qu’eux (en tout et pour tout ils n’ont rencontré les représentants d’Universal qu’une seule petite fois avant la signature, le tout dans des conditions pour le moins wtfuckesques), rien de tout cela n’aurat été possible sans Wendy Day qui sera pourtant outrageusement spoliée par la suite.

Roc-A-Fella, le tout pour le tout

Ancien drug dealer reconverti en promoteur de soirées, Damon Dash est un habitué des coups de poker.

Pour la soirée d’inauguration d’un club de Harlem, il avait ainsi promis une bouteille de champagne Moet Chandon aux cent premières filles présentes devant l’entrée. L’effet d’annonce est immédiat, les clientes se bousculant au portillon plusieurs heures avant l’ouverture. Et si à la fin de la soirée les comptes sont déficitaires, sa réputation est faite dans le monde de la nuit newyorkaise.

Continuant sur la lancée, Dash souhaite se lancer dans le business la musique. C’est via le cousin de son beau-père qu’il rencontre un certain Rodolfo Franklin, qui officie comme cadre chez Atlantic Records mais aussi comme DJ sous le nom de DJ Clark Kent. Ce dernier évoque alors avec lui un jeune rappeur dont le potentiel lui semble à mille lieux de tous les autres : Jay Z.

Le jeune Shawn Carter a beau avoir commencé à rapper dès 1989 sous la férule de Jaz-O, il connait les plus grandes peines du monde à se faire repérer par les maisons de disques. Fatigué de prendre stop sur stop, il se laisse convaincre par Damon Dash de fonder leur propre structure, Roc-A- Fella records.

[Le nom vient d’un jeu de mot sur le magnat du pétrole John D. Rockefeller considéré comme l’homme le plus riche de tous les temps et sur celui d’un des dealeurs les plus célèbres de Brooklyn se faisant surnommé Rocafella.]

Le duo veut alors tourner un clip dans les plus brefs délais pour en faire sa carte de visite. N’ayant pas un rond en poche, les deux nouveaux meilleurs amis s’associent au hustler Kareem ‘Biggs’ Burke qui leur avance 16 000 dollars.

Ce souci logistique réglé, le trio s’envolent sur l’île Saint Thomas dans les Caraïbes pour filmer le titre In My Lifetime. A contrario de ses congénères de l’époque engoncés dans la course au plus hardcore, Jay Z rappe la vie facile faite de filles, de bateaux et de champagne.

Le pari paye et le trio se retrouve courtisé de toute part… mais personne ne souhaite pour autant les signer. La faute à Dame Dash qui exige comme préalable à toute collaboration la propriété pleine et entière des masters de Jay Z, du jamais vu auparavant.

[Si l’on considère la pertinence commerciale du catalogue de Hova vingt ans après, l’entêtement de Dash ne manquait pas de génie.]

Seul un obscur label finira par accéder à sa demande, Freeze Records. Heureux coup du sort, peu après l’arrivée du crew la structure est rachetée pour une bouchée de pain par Def Jam.

Comme quoi la chance sourit aux audacieux.

Aftermath, tomber pour mieux se relever

Plus geek des studios que gangbanger des rues de Los Angeles, Dr. De finit par en avoir ras la casquette du climat de violence qui règne chez Death Row et claque la porte du label juin 1996.

Bien que propriétaire de la moitié des parts, il fait le choix de rien réclamer à Suge Knight afin de tirer un trait définitif sur toute cette période – peu reconnaissant, la rumeur veut que ce dernier lui ait quand même payé une petite visite à son domicile accompagné de goons armés de batte de baseball.

Résolu à se concentrer exclusivement sur la musique, Dre se voit offrir les bras ouverts un deal en bonne et due forme avec Interscope Records (la maison mère de Death Row) qui lui assure un contrôle artistique total sur ses futurs projets.

Ainsi quand sort à la fin de l’année Dr. Dre Presents the Aftermath, une compilation introduisant au monde la toute nouvelle clique de protégés du Doc, c’est peu dire que les attentes sont élevées. La chute n’en sera que plus spectaculaire, le projet se vautrant dans les grandes largeurs.

« Il n’y a rien qui vous rend plus humble de faire un put*in de flop » reconnaîtra d’ailleurs Dre.

Et question modestie les choses ne vont pas aller en s’arrangeant puisque le second projet d’Aftermath connaît le même sort : en automne 1997 l’album du super groupe The Firm (AZ, Foxy Brown, Nas, et Nature), là encore scruté de toutes parts, provoque la consternation.

L’homme derrière Straight Outta Compton, The Chronic et Doggystyle aurait perdu sa magie ?

Fort heureusement pour lui il bénéficie sur ce coup de l’appui de Jimmy Iovine, alias le président d’Interscope, alias l’homme qui a eu le flair de mettre le gangsta rap sur la carte au début de la décennie alors qu’il était à la base un producteur de rock pur sucre (Nine Inch Nails, U2, No Doubt…).

Ayant noué une solide relation avec Dre depuis la sortie de son premier album en 1992, s’il admet qu’à l’instant T l’aventure tourne au « put*in de désastre », il met néanmoins sa démission dans la balance face aux pressions qui lui sont faites pour fermer le label.

La suite appartient alors à l’histoire : signature d’Eminem, sortie de 2001, 50 Cent… Aftermath se mue en antre du rap mainstream dix ans durant, et ce tant en terme de standard de son que de performances commerciales.

Cette bromance entre Andre Young et Iovine se poursuivra d’ailleurs de plus belle, les deux exécutifs pouvant se targuer ni plus ni moins d’avoir participé à l’avènement des mastodontes Beats Electronics et Apple Music.

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