En mars 2005, Curtis Jackson et son empire brillaient de mille feux. Son deuxième album, The Massacre, s’écoulait alors à plus d’un million d’exemplaires lors de sa première semaine de sortie, un record. Dix ans plus tard, le rappeur n’est plus que l’ombre de lui-même. Explications.
La chose est peut-être un peu difficile à imaginer pour les jeunes générations mais le monde du rap ne connaitra peut-être plus jamais une superstar de l’envergure de 50 Cent. Ce dernier a dominé les charts avec la même férocité que lorsque Mike Tyson a dominé les rings du temps de sa splendeur.
En 2003, l’album Get Rich Or Die Tryin’ mettait tout le monde d’accord. Si d’autres artistes ont vendu plus que lui, comme Eminem ou les Fugees qui sont allés défricher de nouveaux publics, le rappeur du Queens réussissait l’exploit de fédérer autour de sa personne toutes les chapelles du hip hop (des puristes aux auditeurs de Skyrock pour aller vite) en proposant du « vrai rap ».
À l’époque impossible de sortir sans entendre l’hymne In Da Club résonner dans les caisses ou en boîte. Avec son talent sans pareil pour retranscrire et rendre crédibles ses histoires de rue sur fond de refrains mi-chantés mi-rappés, Fifty allait ainsi écouler treize millions d’exemplaires de son premier essai.
À son flair artistique s’ajoutait le fait que 50 Cent représentait l’archétype du gangsta rappeur, un épitome de credibilité de rue : un Tupac sous stéroïdes, le fantasme ultime de l’imagerie ghetto. Encore plus de tatouages, encore plus de balles, encore plus de beefs. Alors qu’on frôlait les limites du genre, le public en redemandait encore et encore. Et Fiddy en hustler qui se respecte, allait tout faire pour satisfaire cette demande.
L’étendard G-Unit allait rapidement s’imposer comme une des marques les plus lucratives de l’histoire du rap jeu. Un peu à la manière du Wu Tang Clan, les solos des membres du crew (Lloyd Banks, Young Buck, The Game, Tony Yayo) sortent à la chaîne. Marquetés comme des clones du maître, ils seront tous certifiés plusieurs fois platine.
En moins de trois ans, 50 bâtit un empire à coups de partenariats tous azimuts (ligne de vêtements, films, label, jeux vidéo…) qui le met lui et à sa descendance à l’abri du besoin de travailler pour plusieurs générations.
Si à l’époque rien ne semble pouvoir entraver ce règne, comme l’écrivait Samuel Beckett, « la fin est toujours dans le commencement ». Tandis que ses rivaux de l’époque (Jay Z, Diddy, Kanye West…) le regardent aujourd’hui du hublot, l’ancien poids lourd, même s’il reste un businessman hors pair, donne plus l’impression de radoter un succès passé que d’être vraiment « relevant ».
Voici pourquoi.
TROP DE BUSINESS TUE LA MUSIQUE
Malgré son succès commercial indéniable, The Massacre sonne comme une bouse – et ce encore plus avec le recul des années. À sa décharge 50 peut toujours affirmer qu’il a refilé les meilleurs morceaux et refrains de l’album (How We Do, Hate It Or Love It…) pour que The Game puisse finaliser The Documentary, reste qu’au final ce second disque déçoit dans les plus grandes largeurs.
De la même manière qu’un rappeur ne peut pas passer sa vie en studios et sur MTV tout en continuant à dealer en bas de chez lui, 50 Cent (dont les journées durent 24 heures aussi) semble s’être trop dispersé pour pouvoir donner autre chose qu’un pâle redite de GRODT.
Une tare dont il va avoir des plus grands mal à se défaire, enchaînant trop longtemps le projet sans saveur. La base de la réussite des entrepreneurs du rap repose premièrement sur leur capacité à produire une musique de qualité.
UNE MARQUE DE FABRIQUE QUI BAT DE L’AILE
Conséquence directe du précédent point, la machine de guerre Guerilla Unit s’enraille.
La vague des albums sophomore est une déception en termes de ventes et de rendus (sérieux Rotten Apple de Lloyd Banks est à peine écoutable). Le partenariat passé avec Marc Ecko pour distribuer sa collection de vêtements n’est pas reconduit. Pis le deal sneakers avec Reebok, contrairement à ce qu’en dit la légende, se termine en fiasco notable.
Quand Birdman et Jay Z renouvèlent habilement leurs fonds de commerce (avec YMCMB et Roc Nation), Fifty rate le coche. Il a beau signer Mobb Deep, MA$e et MOP, aucun de ces artistes ne parvient à renouer avec le succès d’antan.
Bien sûr, personne ne se fait de souci concernant la santé financière du boss, d’autant plus que hors rap ses affaires fleurissent (son deal avec les boissons vitaminées Glaceau lui rapporte pas loin de 60 millions de dollars), mais cette accumulation de revers montre que le soufflé est en train de retomber.
Conscient de ce déficit d’image, 50 Cent tente vaille que vaille d’insuffler un vent d’air frais en lançant G-Note qui se veut à la dance/pop ce que G-Unit a été au rap (Hot Rod, DJ Pauly D quelqu’un ?), puis en remaniant son label avec des seconds couteaux de nouvelles têtes (Shawty Lo, Kidd Kidd & O.T. Genasis).
Le résultat ne vaut même pas la peine d’en parler, on ne tire pas sur les ambulances.
TROP DE BEEF TUE LE BEEF
50 Cent doit une grande partie de sa renommée aux clashs. Son premier single How to Rob, dans lequel il s’imaginait braquer les plus grandes stars de l’époque (Timbaland, Lil Kim, Busta Rhymes…), lui a donné une exposition sans pareil.
Idem lorsqu’il s’est mis en tête de vouloir démolir Ja Rule et sa clique Murder Inc.
Le problème c’est que l’ami Fiddy a cru trouver là une martingale. Résultat il commence à s’en prendre à tout le monde avec des lyrics toujours plus bas de plafond – dans Piggy Bank il attaque Nas, Fat Joe, et Jadakiss sans raison.
La formule finit non seulement par lasser, mais elle se retourne contre lui. D’une part les membres du Unit lui cherchent des noises (Young Buck et The Game), mais surtout il finit par perdre à son propre jeu en se faisant mettre à l’amende par Kanye West et Rick Ross question ventes de disques en première semaine. #LiveByTheGunDieByTheGun
Fait marquant, beaucoup tiennent 50 pour responsable du déclin de New-York sur la carte du hip hop. Instaurer un climat de guéguerres perpétuelles ne constitue en effet pas le meilleur terreau pour faire émerger de nouveaux artistes.
UNE INCAPACITÉ À SE RENOUVELER
A contrario d’un Jay Z ou d’un Nas qui ont su faire évoluer leurs thèmes de prédilection pour grandir avec leur public, 50 ne fait que parler encore et toujours d’argent et de flingues – de The Massacre qui ressemblait à s’y méprendre à un tract de la National Riffle Association au titre I’m Grown sorti récemment.
Jouer au gangster passé un certain âge et lorsque l’on a déménagé à toute vitesse de son quartier d’origine ne trompe personne.
Tout cela sans oublier ce culte de la réussite matérielle qui laisse perplexe une fois les beaux jours passés. Continuer à clamer sur tous les toits être rich as f*ck, lorsque comme Young Buck on finit par refourguer son Grammy Award à une vente aux enchères prête au mieux à sourire. Si à l’époque 50 Cent amassait des millions de royalties, le marché du disque actuel ne permet plus ce genre de fanfaronnades.
Si encore aujourd’hui Curtis Jackson reste une personnalité de premier plan, son lent déclin montre à quel point le business de la musique est compétitif, aussi malin puissant et rusé que l’on soit. Lucide sur son sort 50 déclarait déjà du temps de sa splendeur « prendre le temps de signer des autographes parce qu’un jour personne ne [lui] en demandera plus ».