L’album d’une génération passé au crible…
16 novembre 1999. Sept ans déjà qu’est sorti The Chronic, l’opus qui a changé la face du rap.
Sept ans c’est très long, surtout qu’entretemps Dr. Dre s’est pris les pieds dans le tapis à plus d’une reprise : départ en catastrophe de chez Death Row, bide de l’album du supergroupe The Firm, lancement foireux de son propre label Aftermath… À désormais 34 ans, il fait gentiment figure de has been à une époque où dominent les jeunes loups newyorkais Roc-A-Fella et Ruff Ryders.
Là où nombreux sont ceux qui ne se seraient jamais relevés, il réussit cependant à retrouver toute sa superbe en deux coups de cuillère à pot : tout d’abord avec la signature d’Eminem, puis avec la sortie du pharaonique 2001.
Loin de se contenter d’être une resucée de The Chronic, ce second album révolutionne à nouveau le game grâce à une formule (à nouveau) totalement novatrice.
S’appuyant cette fois, non pas sur des samples de funk, mais sur toute une bande de musiciens de studio (Mike Elizondo à la basse, Scott Storch au piano, Jason Hann aux percussions, Sean Cruse à la guitare..), Dre élabore un son clair, dépouillé, précis qui doit autant à la qualité des enregistrements qu’à celles du mixage et du mastering – qu’il se soit ensuite reconverti dans la production de casques audio est somme toute assez logique.
Au final cela donne d’une part des instrumentales hyper travaillées qui s’écoutent sans jamais forcer l’oreille, et de l’autre un raz-de-marée commercial avec près de 8 millions de copies écoulées sur le sol US.
Vingt ans après, passage au peigne fin de ce monument.
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1. Lolo (Ft. Big Tray Deee, Kurupt & Xzibit)
Une introduction/interlude qui ne sert pas à grand-chose, mais qui a le bon goût de ne pas tirer en longueur.
Sinon pour ceux assis au fond de la classe, « lolo » ça veut dire « lowrider », soient ces caisses customisées pour rouler au plus près du sol et dont les roues peuvent s’élever grâce à un système de suspensions hydrauliques.
Popularisées par le gangsta rappeeurs, elles ont en réalité été inventées par leurs voisins chicanos (qui eux les surnomment les « ranflas »).
2. The Watcher (Ft. Eminem & Knoc-turn’al)
Un premier track à l’ambiance atmosphérique qui sans être spectaculaire se révèle diablement efficace à mesure qu’il défile.
Rappé de A à Z par un Dre au meilleur de sa forme, il s’agit là de son seul solo de l’album, lui qui dès la fin du premier couplet prévient avec son « I just sit back and watch the show » que sur ce point il ne faudra pas compter plus que ça sur lui pour la suite.
Supposément ghostwritté par Nas, The Watcher connaîtra ironiquement une suite sur le Blueprint 2 de Jay Z en 2002.
3. Fuck You (Ft. Devin The Dude & Snoop Dogg)
Tout est dans le titre : c’est cru, c’est crade et c’est misogyne, mais qu’est-ce que c’est jouissif !
Quand bien même juste avant Dr. Dre se vantait paradoxalement d’être un « family man », quand bien même Devin The Dude n’a jamais été aussi libidineux (ce qui vu son pedigree n’est pas rien), quand bien même Snoop hériterait aujourd’hui d’un hashtag à la #BalanceTonPorc pour la ligne « Baby was a virgin, that’s what she said, so I gave her some Hennesey, she gave me some head », impossible de ne pas apprécier ce sommet de « West Coast’ness » au faux airs de mauvaise blague.
Et comment oublier cette version live lors de la tournée Up In Smoke qui en aurait poussé plus d’un à vendre père et mère pour rejoindre la petite troupe en backstage sitôt le concert terminé ?
4. Still D.R.E. (Ft. Snoop Dogg)
L’un des meilleurs morceaux de rap de tous les temps.
Le staccato de Scott Storch, les lyrics de Jay Z, le refrain croisé avec Snoop… sous la férule du maître des lieux tout se combine à la perfection sans que le moindre effort ne transparaisse.
Un banger d’une fluidité et d’une sobriété inégalées donc, et ce d’autant plus que la production n’a absolument pas vieilli.
5. Big Ego’s (Ft. Hittman)
Forcément un ton en dessous, cette cinquième piste parvient néanmoins à ne pas faire retomber le soufflé, ce qui en soi constitue déjà un petit exploit.
Dr. Dre oblige, évidemment le beat joue pour beaucoup. Subtil mélange de flûte, de percussions et de piano, elle aurait mérité sur ce coup un refrain un peu plus haut de gamme.
Sinon, c’est la première intervention au micro du rookie Hittman, mais malheureusement pas la dernière…
6. Xxplosive (Ft. Hittman, Kurupt, Nate Dogg & Six2)
À ceux qui se demandent pourquoi le bon docteur Young est unanimement considéré comme un génie, voici un début d’explication : à sample égal, nul ne lui arrive à la cheville.
Au même titre qu’EPMD ou les Ultramagnetic MC’s qui comme California Love avaient chacun échantillonné la chanson Woman To Woman de Joe Cocker sans réussir à décrocher un hit, quand en 2000 la reine Erykah Badu est allé copié/collé le sample de Xxplosive pour son Bag Lady, personne n’y a prêté attention.
À sa décharge, elle ne disposait ni des versions super guerriers de Kurupt et Nate Dogg, ni d’un xylophone (!?) pour balancer quelques notes dans le fond et faire la diff’.
7. What’s the Difference (Ft. Eminem & Xzibit)
Après une apparition non créditée sur The Watcher, voici la véritable entrée en matière d’Eminem.
Et quelle entrée en matière : en pleine possession de ses moyens, il pose de l’avis général l’un des meilleurs couplets de sa carrière, quitte à faire passer les autres invités à la trappe.
Tant pis pour Xzibit (mais si le gars qui présentait Pimp My Ride), tant pis pour Phish (mais si l’illustre inconnu au refrain qui n’a pourtant pas démérité).
8. Bar One (Ft. Eddie Griffin, Ms. Roq & Traci Nelson)
Habitué à venir poser en interlude sur les albums des rappeurs (The D.O.C., Snoop, Crooked I…), l’acteur nanard Eddie Griffin vient ici combler les fans de ce genre d’exercice… si tant est qu’il en existe encore en 2019.
9. Light Speed (Ft. Hittman, Knoc-turn’al & Ms. Roq)
Le premier track vraiment pas terrible de l’album. Au mieux anecdotique, il aurait clairement mérité d’être laissé de côté.
Qui commence à se dire à voix haute qu’Hittman ne sert pas à grand-chose ?
10. Forgot About Dre (Ft. Eminem)
Un second single aux allures de démonstration de force de la part d’un Slim Shady résolument déchaîné.
Non seulement le white boy préféré du rap US crame l’instru quatre étoiles dans les grandes largeurs, mais il exécute en sus l’un des refrains les plus mémorables de la fin du siècle dernier (ne serait-ce que pour la façon dont il prononce « gibberish »), non sans ghostwriter au passage les deux très bons couplets de son mentor !
Vingt ans après les faits, c’est donc tout sauf un hasard si ce petit bijou continue d’être toujours autant référencé.
11. The Next Episode (Ft. Kurupt, Nate Dogg & Snoop Dogg)
Le son qui s’il n’est pas joué en soirée vous indique que vous vous êtes trompé de club.
Long de 2 minutes 41 à peine (pas de temps pour un refrain), ce tuto pour apprendre à danser le C-Walk voit les « motherfucking D-O-double G » et « motherfucking D.R.E. » prendre feu sur le beat, Kurupt lâcher des ad-libs à réveiller les morts, et Nate Dogg balancer avec une science incroyable du timing le légendaire « Smoke weeeed every day » en guise de conclusion.
12. Let’s Get High (Ft. Hittman, Kurupt & Ms. Roq)
Changement d’ambiance, mais pas de thème (la défonce et la fornication) pour ce morceau des plus pêchus.
Sans prétention, mais de bonne facture.
13. Bitch Niggaz (Ft. Hittman, Six2 & Snoop Dogg)
Un peu comme The Watcher précédemment, une piste qui ne paye pas de mine à première vue.
Un sample de l’archi grillé Top Billin’ des Audio Two, quelques scratchs et le lazy flow de Snoop réussissent cependant à relever le tout.
Bon après question paroles, c’est quand même assez léger pour qui n’apprécie pas spécialement entendre répété en boucle le mot « bitch » et toutes ses déclinaisons (« biatch », « beyotch »…).
14. The Car Bomb (Ft. Charis Henry & Mel-Man)
Cet interlude étant inintéressant au possible, profitons-en pour évoquer brièvement le cas Mel-Man : non-content de coproduire un bon tiers de 2001 et de poser dans le livret du CD, il s’en est allé bosser l’année suivante sur le second album rap le plus vendu de l’histoire, The Marshall Mathers LP.
Très étonnamment, sa carrière est ensuite restée au point mort.
15. Murder Ink (Ft. Hittman & Ms. Roq)
Une sorte de variation du Serial Killa de Doggystyle qui reprend sans grande originalité la musique culte du tout aussi culte film d’horreur Halloween réalisé en 1978 par John Carpenter.
Si pour sa quatrième apparition Ms. Roq parvient enfin à se faire un peu remarquer, cela sera toutefois insuffisant pour faire d’elle la Lady of Rage d’Aftermath.
À un compte Twitter près (149 followers…), elle est d’ailleurs depuis complètement retombée dans l’anonymat.
16. Ed-Ucation (Ft. Eddie Griffin)
L’interlude le plus pertinent de l’album dans lequel est expliqué à tous les mecs qui prennent le bus pourquoi ils sont mal barrés avec les meufs, et à tous les mecs qui ont une situation confortable pourquoi ils doivent impérativement se protéger quand ils trompent leur femme.
17. Some L.A. Niggaz (Ft. Defari, Hittman, King T, Knoc-turn’al, Kokane, MC Ren, Time Bomb & Xzibit)
Ouf, enfin un morceau de bon aloi.
Pas aussi prometteur que sur l’affiche (l’ex N.W.A. MC Ren est cantonné à l’intro, Dre est encore absent, le beat n’est pas franchement exceptionnel…), ce gang bang de Cali emcees rehausse tout de même le niveau de cette seconde partie qui commençait sérieusement à sentir le remplissage.
18. Pause 4 Porno (Ft. Jake Steed)
Un interlude où l’on entend une star du X éjaculer bruyamment dans l’œil de sa partenaire… Ça dure 1 minute 30…
19. Housewife (Ft. Hittman & Kurupt)
Le titre le plus G-Funk de 2001, et qui en vrai serait presque passé crème dans la tracklist de The Chronic… ou sur un album des Dogg Pound tant Kurupt se tape ici tout le taf.
Dommage que personne n’ait eu la présence d’esprit de convier Nate Dogg, il aurait été parfait.
20. Ackrite (Ft. Hittman)
Le titre solo de Hittman…
Au-delà du fait qu’il soit très dispensable (à croire que Dre pionçait dans la pièce d’à côté au moment de la sélection finale), ce qui agace particulièrement avec cette NEUVIÈME APPARITION (!!!) c’est qu’elle se fait au détriment des Snoop, Eminem ou Xzibit qui eux n’ont jamais été aussi chauds de leur carrière.
Du gâchis.
21. Bang Bang (Ft. Hittman & Knoc-turn’al)
Sans être mauvaise, encore une piste qui a beaucoup (beaucoup) de mal à tenir la comparaison avec la première partie de l’album.
Certes, il est un peu facile d’exiger de Dre qu’il ne sorte que des tueries, mais peut-on observer qu’il eut été plus raisonnable de resserrer un peu les rangs ?
22. The Message (Ft. Mary J. Blige & Rell)
Un hommage mélancolique à son frère Tyree décédé dix ans plus tôt dans une rixe qui a mal tourné.
Écrit par Royce Da 5’9 sans qu’il sache exactement qui Dre souhaitait évoquer, l’exercice est dénué de la moindre attaque ou insulte.
Sincère et émouvant, ce morceau à part conclut les débats avec ce qu’il faut de sobriété .
23. Outro (Ft. Thomas Chong)
Une skit marrante et bien amenée (comme quoi ça existe) narrée par la moitié du célèbre duo pro fumette Ching & Chong.
Verdict : « 2001 » est-il vraiment un classique ?
Quitte à en faire tousser pas mal, il ne s’agit pas d’un album parfait.
Loin de là même : nouveaux venus transparents, interludes trop nombreux, fillers à gogo dans la seconde partie, lyrics qui ne volent pas haut… 2001 n’est ni Illmatic, ni Reasonable Doubt, ni Ready To Die.
Reste une qualité audio sans pareil, des singles ravageurs et une influence culturelle qui aujourd’hui encore ne se dément pas.
Est-ce suffisant pour faire pencher la balance ? La réponse dépend ici de la définition que chacun donne au mot classique.
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