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Sat et Soso Maness, les liens du son

Sat et Soso Maness, les liens du son

Soso Maness restera à jamais un élève devant son maître, Sat l’Artificier. Un soir de l’an 1998, l’illustre membre de la Fonky Family avait donné sa première séance studio au jeune Sofien Hakim Manessour. Des temps très anciens pour les deux protagonistes d’une fable presque signée Pagnol. Depuis, Soso Maness accumule les succès populaires et Sat est devenu une légende de la scène marseillaise. Les réunir dans une même pièce est la garantie de voir quelque chose de spécial se  produire. Une amitié qui va au-delà de la simple musique, mais plutôt un profond respect entre ces deux pans de Marseille.

À l’occasion d’une collaboration inédite avec Amazon Music, Soso Maness a invité son « sensei » à poser un couplet sur son morceau DLB17, issu de A l’Aube. Ça valait bien une discussion sur la transmission et l’héritage dans le rap. 

Vous vous connaissez depuis des années, pouvez-vous nous parler de votre première rencontre ? 

Soso Maness : J’étais à Font-Vert, je devais avoir neuf ans, et un grand de mon quartier m’a appelé pour faire de la musique. Je l’ai suivi jusqu’à Aubagne, une commune située à quelques minutes de Marseille. C’est à ce moment que j’ai fait la rencontre de Sat dans un studio qui sentait la bière et le cannabis. Je me souviens de chaque instant de ce moment : l’odeur, les vêtements des personnes avec nous et de l’ambiance générale.  

Sat l’artificier : C’est une histoire que Soso a beaucoup raconté dans le passé, notamment quand il a sorti l’album Mistral. Ça me faisait chaud au cœur de l’entendre raconter ça car je sentais qu’il était profondément marqué.  

Comment décrirais-tu Soso Maness enfant, Sat ? 

Sat : Il restait ingérable (rire), mais c’était un bon minot comme on dit chez nous. Il avait déjà un très fort tempérament. Soso enfant, il était déjà quelqu’un avec son côté mariole. Il aimait capter l’attention des adultes, il avait déjà beaucoup de repartie avec une personnalité très forte. Vu qu’il adorait la présence des plus grands, il avait déjà cet esprit vif. Il réfléchissait comme un homme alors qu’il n’était qu’un gamin, il était à l’écoute de nos conseils. 

Soso : J’avais la chance de côtoyer à ce moment-là de ma vie les membres de la Fonky Family, 3ème œil ou des rappeurs de Paris. Je vivais un rêve éveillé, moi, l’amoureux de hip-hop. J’aimais autant le foot que le rap à l’époque et c’était comme si j’allais au centre d’entrainement de l’Olympique de Marseille pour jouer au ballon avec les joueurs de cette période.  

Il était improbable pour toi, Sat, de voir Soso réaliser ce parcours

Sat : J’avais en face de moi un enfant qui découvrait l’univers du rap, l’écriture, l’interprétation… Jamais je n’aurais pu me douter qu’il deviendrait un artiste accompli qui réaliserait tout ce qu’il a fait quand ses grands me l’ont présenté. Le jour où il a décidé de se mettre à fond dans la musique, il s’est donné les moyens d’accomplir son rêve d’enfant et je suis très fier de ça.

Les classiques d’avant continuent à influencer la musique d’aujourd’hui. Est-ce important de les connaitre pour mieux comprendre le rap d’aujourd’hui?  

Soso : La transmission est au cœur de l’histoire dans notre culture et c’est ce qu’on cherche à mettre en avant avec ce projet en collaboration avec Amazon Music. J’ai eu la chance de rendre hommage à Sat plusieurs fois. Nous avons fait des scènes ensemble, le lien n’a jamais été rompu avec mon sensei, c’est juste la continuation de ce qui existe depuis 1998. Dans la génération actuelle, les artistes viennent et disparaissent dans la foulée. Les FF, IAM, NTM, eux, ils sont là pour l’éternité.

Sat : Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. C’est indispensable de connaitre les projets qui font cette musique. Il faut se replonger dans le passé pour comprendre les paroles d’aujourd’hui, pour avoir la référence de certaines choses. On reproche la jeune génération de ne pas avoir de culture musicale, mais on ne peut pas les accuser si les anciens ne font pas la démarche de leur montrer. 

L’accès à la musique n’a jamais été aussi facile, grâce aux plateformes de streaming notamment. Pourtant le public ne semble pas plus connaisseur… 

Sat : Maintenant, c’est devenu facile de passer d’une chanson à une autre. Quand on voulait écouter le disque d’un artiste dans ma jeunesse, il fallait descendre du quartier vers le centre-ville, aller en boutique, le payer en caisse pour le ramener chez soi. Résultat, tu ponçais le disque pendant un an parce que tu avais fait une vraie démarche. 

Soso : On a l’équivalent d’une Fnac ou un Virgin dans nos poches, la donne a tellement changé. Il y a un problème de transmission dans notre culture car le rap est devenu trop populaire. A l’origine, notre musique devait présenter les quartiers, maintenant ce n’est plus le cas, tant mieux ou tant pis chacun son opinion. Les gens se disant « connaisseurs » de la vraie musique urbaine, mais qui ne savent pas qui est IAM ou Ali n’ont rien compris à la vie. 

Qui devrait prendre l’initiative de faire le premier pas entre les deux générations ? 

Soso : Les médias pourraient avoir une rubrique pour en parler. Par exemple, tous les dimanches ils expliqueraient la fondation de tel groupe, tel label, comment le rap s’est structuré. Ça aiderait les jeunes à comprendre l’histoire du mouvement et les aider dans leur carrière. Pour les artistes, c’est à la nouvelle génération de tendre la main aux anciens, c’est une question de respect. 

Sat : C’est vrai qu’il existe une tradition où un nouveau rappeur se fait le plaisir d’inviter un artiste qui l’a beaucoup inspiré et influencé, notamment aux Etats-Unis. Les Américains sont beaucoup plus dans le name-dropping, ça se fait moins en France, mais je sens un changement.  

Dernièrement, Dinos t’a rendu un hommage avec « J’vais pas partir comme ça, artiste triste, j’ai les artifices comme Sat » sur Marginaux. Comment as-tu ressenti ? 

Sat : J’étais honoré. Ce genre de phrase montre qu’on a laissé quelque chose d’indélébile dans notre culture. Peut-être que les fans de Dinos qui ne me connaissent pas vont découvrir le rap des années 2000 grâce à ça. La musique d’aujourd’hui est influencée par ce qui a lieu avant. Par exemple, c’est  important que les gens aient la culture du rap marseillais pour comprendre des morceaux du dernier projet d’SCH, Autobahn. On y retrouve des tempos à 100 bpm et des sonorités années 80. C’est l’époque Art de rue de la Fonky Family ou Prince de la Ville du 113. Chacun doit effectuer son travail  de recherche.  

Dans le rap, la tendance a toujours été de privilégier les jeunes artistes. Est-ce que ce jeunisme est un frein de plus à la question de la transmission ? 

Soso : Il est normal d’honorer les anciens. En général, les jeunes artistes prétentieux ne restent pas longtemps dans le circuit. J.Cole avait tout prévu dans le morceau 1985. Attention, il y a beaucoup d’aigris chez nous. Passer le relais n’est pas le cas de beaucoup d’artistes.  

Sat : C’est aux anciens de se remettre en question. Le monde évolue, on pratiquerait la même musique si on avait leur âge. Il y a trop de méfiance entre les deux mondes. Chacun doit faire son autocritique, il y a la place pour tout le monde maintenant. J’ai trouvé ça beau que Prince Waly invite Ali, sa plus grande inspiration, dans son dernier album Moussa. Il faudrait plus de collaborations dans ce style pour permettre aux jeunes de découvrir les pionniers du rap en France. 

La scène marseillaise a montré ces dernières années que l’ancienne et la nouvelle génération pouvaient coexister sans jalousie. Pensez-vous avoir donné le bon exemple ? 

Sat : Un projet comme 13 Organisée est la preuve même que la transmission et le partage entre les générations sont possibles. Je me suis retrouvé sur C’est maintenant avec des mecs de ma  génération, mais aussi des nouvelles têtes et l’alchimie a marché directement comme si on se connaissait depuis longtemps. Nous sommes tous passés l’un derrière l’autre au micro, c’était impossible de dire qui étaient les anciens et les nouveaux tant on s’est bien mélangé et entendu. En faisant connaissance avec eux, j’ai appris qu’ils avaient eu Si Dieu veut… ou Art de Rue comme disque de chevet et moi, je me suis intéressé personnellement au parcours de chacun.  

Soso : C’est cliché, mais nous, les Marseillais, nous avons une mentalité différente que celle de nos amis parisiens. Le respect est quelque chose de profondément ancré dans notre ville. On a fait Bande organisée et Le Classico organisé, c’étaient deux ambiances différentes. Dans les énergies, tu sentais qu’on était plus dans la bonne ambiance et l’amitié entre nous.  

Sat : Tu as raison, c’était magique ce qu’on a fait avec cet album. Ça m’a rappelé ce que j’ai connu à l’époque avec des compilations comme Chroniques de Mars ou les bandes originales de Taxi. L’initiative de Jul restera à jamais dans l’histoire. On s’est retrouvé avec des pères et des fils qui écoutaient l’album ensemble en montrant à l’autre ses rappeurs préférés. Les jeunes ont découvert les Akh, Sat ou Shurik’n, ceux de ma génération ont eu une autre perception des Jul, Soso ou SCH.  

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