Entre 2008 et 2021, les fans d’Orelsan ont observé l’évolution de leur idole punchline après punchline. À la sortie de son quatrième album, Civilisation, beaucoup d’entre eux sont revenus sur cette évolution en assurant que les phases de l’artiste avaient eu un impact sur leur propre vie. Comme celles d’un grand frère.
Avec des classiques comme Petit frère d’IAM, Suis-je le gardien de mon frère de Sefyu, L’impasse de Kery James ou Petit frère – Petite sœur de Mac Tyer, beaucoup d’artistes ont assumé le rôle de grand frère dans leur carrière. Si bien que cette posture s’est vite installée comme un des thèmes incontournables du rap français. Dans ces derniers exemples, les rappeurs tentent de protéger les plus jeunes, notamment des dangers de la rue.
À partir de 2007, Orelsan apporte quelque chose de nouveau, n’appartenant pas du tout au même univers. Et même si, contrairement à ses prédécesseurs, il ne se présente pas directement comme un grand frère, il devient assez vite un mentor pour ses fans. On a cherché à comprendre pourquoi avec Le Règlement, Oumar Diawara, journaliste de France tv Slash et Alexandre, un grand fan d’Orelsan.
“Perdu d’avance, c’était ma vie” : un exemple pour les jeunes des régions
Un grand frère, c’est un gars qui nous ressemble. Dans sa dernière vidéo consacrée à l’analyse de Civilisation, Le Règlement explique à quel point la discographie d’Orelsan lui a servi pour sa propre évolution. Le YouTubeur, connu pour ses décryptages d’albums, fait partie de ses fans de la première heure. “Orelsan, c’est un artiste qui m’a guidé dans toutes les étapes de ma vie », a-t-il affirmé au début de sa vidéo.
Retour en 2008 – Alors qu’Aurélien Cotentin, aka Orelsan, se plaint de la pluie normande, à Valence, un certain Max Brodi, Le Règlement de son pseudo, découvre par hasard Changement sur l’écran bombé de son ordinateur : « À l’époque, sur iTunes, il y avait un son gratuit par semaine, ce jour-là, c’était Changement », nous raconte-t-il, 12 ans plus tard, un peu nostalgique.
“C’était la première fois que quelqu’un parlait de mon quotidien. À la TV, il n’y avait personne qui me ressemblait, dans les livres non plus. Les médias étaient très parisiens. Je regardais des trucs américains, je suivais 50 Cent, mais je vivais pas en Californie et ma vie c’était pas du tout celle de Fifty quoi.”
Voir Orelsan débarquer, après avoir grandi sans figure représentative de la jeunesse de régions, à une époque où on ne parlait même pas de réseaux sociaux, c’était donc une révélation pour Max, âgé de 18 ans en 2008. “Quand il s’est imposé avec un style et une vie qui ressemblait à la mienne et celle de mes potes, direct ça m’a parlé et ça m’a inspiré. Perdu d’avance, c’était ma vie« , résume celui qui cumule désormais plus d’un million d’abonnés sur YouTube.
« Et il pleut tout le temps dans cette vie de merde / La nuit, j’écris mes prises de têtes / mes crises de nerfs sur des beats de Skread »
Perdu d’avance, Etoiles invisibles
“En plus, il était un peu plus âgé, donc il pouvait aussi me servir de modèle », souligne-t-il. Orelsan capte donc l’attention d’un public décentralisé – mais pas que – à une époque où les plus grands rappeurs représentent Paris, la banlieue ou Marseille.
En 2011, Orelsan sort Le chant des sirènes et pose ses valises à Paris. Il découvre le milieu du showbiz et voit tous les vices de cet univers. Pour Max, c’était comme une mise en garde : “ J’ai déménagé à Paris, j’ai ouvert ma chaîne YouTube et j’ai croisé le même type de personnes qu’il décrit, je me suis retrouvé confronté à des situations similaires et grâce au Chant des sirènes, je m’y étais un peu préparé”.
Suite à la sortie du documentaire “Montre jamais ça à personne” certains fans ont eux aussi souligné, l’importance de voir émerger un rappeur d’une ville de province. C’est le cas d’Alexandre, fan d’Orelsan originaire de Nantes. Il tient le compte Punchline Orelsan & Gringe sur Twitter qui réunit aujourd’hui 63 000 abonnés : « Perdu d’avance, je m’y suis grave identifié pendant mon adolescence, car je vivais en province. »
La sincérité comme règle d’or
Un grand frère, c’est un gars qui parle vrai. Le côté mentor d’Orelsan transparaît aussi dans ses textes. Tout au long de sa discographie, il aborde des thèmes universels comme l’amour, l’échec, l’avenir, la dépression, la mort, l’amitié. Des sujets qu’il explore le plus souvent en racontant ses propres expériences, quitte à se dévaloriser.
Selon Oumar Diawara, présentateur de l’émission Moonwalk sur France tv Slash, “C’est parce qu’il est très sincère lorsqu’il parle de ses doutes, ses craintes, ses déceptions, ses états d’âme, que les gens peuvent s’identifier à lui. Des millions de jeunes peuvent le voir comme un grand frère qui a appris de ses expériences et qui peut maintenant même donner des conseils”.
Ce fin connaisseur de rap français, fidèle auditeur d’Orelsan, concède qu’il lui est arrivé de se retrouver dans certains de ses textes, notamment Peur de l’échec qu’il a découvert au lycée.
La mentalité d’Orelsan évolue aussi sous les yeux de ses fans. C’est cette sincérité qui lui donne du crédit selon Oumar : “Sur Le chant des sirènes, il est toujours un peu négatif, il a de mauvais rapports avec les femmes. Il assume pleinement tromper sa meuf sur 50 pourcent et le regrette amèrement sur Finir Mal.”
“Dans La Fête est finie, il a évolué et même en se montrant éperdument amoureux sur Paradis, il assume que ça reste difficile pour lui d’être fidèle dans Quand est-ce que ça s’arrête et Bonne meuf », poursuit-il. Encore aujourd’hui, sur Civilisation, Orelsan montre les différentes facettes de son couple sur le diptyque Ensemble et Athéna. “Il occupe une position de grand frère en se réalisant sans déformer la réalité et c’est aussi une leçon pour ses auditeurs », conclut le journaliste. Cette honnêteté face à ses propres faiblesses et ses contradictions permettraient à davantage de fans de s’identifier à son vécu. Et aux plus jeunes que lui, de le voir comme un exemple.
« En fait j’mens, j’aime toujours les bonnes meufs / Alors j’évite de m’approcher des bonnes meufs »
La fête est finie, Bonne meuf
{LIRE AUSSI} : La justice expliquée par les rappeurs
“Ecoute, j’ai pris quelques notes”
Un grand frère, c’est un gars qui nous conseille. Plusieurs sons dans sa discographie nous montrent que cette posture est assumée par Orelsan. Dans certains de ses morceaux, il cherche volontairement à conseiller, voire donner une leçon à ses auditeurs.
L’exemple le plus terre à terre, c’est celui de Gros poisson dans une petite mare, où “Tonton Aurel” raconte une histoire à des enfants. Il leur apprend à reconnaître ceux qui, comme Jessica, Nico ou Eddie Barclay du Calvados, se donnent trop d’importance.
« Si tu pèses à petite échelle et que tu te la racontes / T’iras nulle part et ça sera trop tard quand tu t’en rendras compte »
Perdu d’avance, Gros poisson dans une petite mare
Dans Le chant des sirènes, il consacre aussi un morceau à Gringe pour le pousser à faire quelque chose de sa vie. Il le motive, essaye de lui ouvrir les yeux, comme le ferait un grand frère. Bien que ça lui coûte de devoir “faire la morale”.
« J’ai l’impression de faire la morale / ça m’énerve moi-même quand je cause »
Le chant des sirènes, La morale
Puis, en 2017, Orelsan franchit un cap sur La fête est finie en signant une track de sept minutes au cours desquelles le Caennais enchaîne les conseils, les recommandations et les mises en garde à celui qui “avait son âge il y a à peu près son âge”. Dans ses Notes pour trop tard, il multiplie les arguments d’autorités, tutoie son auditeur, le recadre avec bienveillance, bref. Il tient le discours d’un grand frère qui a passé la trentaine.
« Le passage à l’âge adulte est glissant dans les virages / Devenir un homme, y a pas d’stage, pas d’rattrapage »
La fête est finie, Notes pour trop tard
Alexandre, cité plus haut, particulièrement marqué par ce titre, raconte : “Il y a des phases qui m’ont permis de me rendre compte certaines choses, “Sois pas parano sur qui sont tes vrais amis. Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, laisse le temps faire le tri », c’est un des enseignements que j’ai appris en écoutant Orelsan par exemple.”
Enfin, sur Civilisation, on tire aussi des leçons de vie avec Jour meilleur, et Rêve mieux. Deux balades consacrées à la dépression et aux faux rêves de gloire au cours desquelles Orel rappe encore en tutoyant son public. Sous le clip de Jour meilleur, paru le 16 décembre, certains fans n’hésitent pas à se livrer publiquement en commentaires. Un signe révélateur de l’impact d’Orelsan sur ses fans : « J’ai perdu mon père dimanche et cette chanson me fait du bien. Merci San! “ / “Merci les frérots, ça donne de l’espoir tout ça” / “Merci Orelsan de m’avoir ouvert les yeux”
« On soignera jamais la dépression comme on soigne un rhume / Mais dis-toi qu’tu pourras compter sur moi le temps qu’ça dure »
Civilisation, Jour Meilleur
Le héros de son propre shonen
Enfin, un grand frère, c’est aussi quelqu’un que l’on admire. Dans le documentaire Montre jamais ça à personne, Clément Cotentin, son petit frère, explique bien que son but dans la vie, c’était de traîner avec Aurel et ses potes. Même s’ils ne faisaient rien de particulier à l’époque, ils étaient une source d’inspiration pour lui. Et ce n’est plus le seul désormais.
Alexandre nous a raconté qu’avoir lancé son compte Twitter dédié à Orelsan lui a permis de trouver son orientation : « C’est en créant ma page que j’ai décidé de me lancer dans la communication. D’une certaine manière, Orelsan m’a permis de trouver ma voie ».
Le jeune Nantais souligne aussi que le doc qui lui est consacré met en valeur cette success story si inspirante : “On a pu voir de nos yeux que ce qu’il décrivait dans ces textes depuis l’époque de Perdu d’avance.”
Désormais au sommet des charts – et manifestement au top de sa vie perso – Orelsan est devenu un modèle pour des milliers de jeunes et et pousse en un sens ses fans à poursuivre le bonheur plutôt que la gloire.
Pour Max, Le Règlement : “Les générations actuelles ont grave profité de gens comme Orelsan et de l’exemple qu’il a pu donner. Quand tu grandis avec des mecs comme ça, tu te dis que c’est possible. Orelsan, et d’autres personnes de sa génération qui ont percé grâce à Internet, a joué un rôle important parce qu’ils se sont fait connaître sans les moyens de communication traditionnels, les médias etc.”
« Certains rêvent de signer en major, pendant qu’on en fabrique une »
Perdu d’avance, Etoiles invisibles
Max fait d’ailleurs partie des premiers jeunes inspirés par le rappeur de Caen : “C’est un des mecs qui a eu le plus d’impact sur ma vie. Des vidéos, j’en fais depuis que je suis petit, bien avant d’ouvrir ma chaîne YouTube. Mais personne n’y croyait autour de moi, personne ne pensait que c’était une voie crédible pour un métier. Et de voir quelqu’un qui croyait en ses projets, c’était tellement motivant, ça a bien sûr joué dans la création de ma chaîne.”
Et sans aller jusqu’à créer des vocations pour tous ses fans, on peut au moins mentionner qu’avec Civilisation, il signe le meilleur démarrage de l’histoire du rap. En devenant l’un des artistes les plus populaires de France, Orelsan aura au moins marqué sa génération. Pour un Normand perdu d’avance, c’est déjà pas mal.