Le 25 juin 2002, Cornell Haynes Jr. changeait encore un peu plus le game…
Quand Nelly sort en 2000 son premier album Country Grammar, c’est peu dire que personne ne l’a vu venir.
Débarqué de nulle part (« Saint-Louie »), affilié à aucune écurie, il propose un rap zéro prise de tête qui fait fi de tous les canons de l’époque : les paroles sont simples, les instrus gentillettes, le flow chantonné.
Contre toute-attente, et au grand désespoir des tenants de l’ancienne école, la formule cartonne dans les grandes largeurs.
Porté par le duo de singles Country Grammar (Hot Shit) et Ride With Me, le disque s’écoule sur le sol nord-américain à plus de 8 millions de copies lors de sa première année et demie d’exploitation – il a depuis été certifié diamant.
Chaînon manquant entre les Backstreet Boys et Jay-Z, Nelly, 28 ans, est ainsi à l’aube de son second essai Nellyville, non pas une superstar du rap, mais l’une des plus grosses superstars de la musique mondiale.
Si en 2022 ces débats peuvent sembler abscons (la géographie, la mélodie, la posture…), et si Nelly n’est ni de près ni de loin considéré comme une légende (il préfère aller danser le tchatcha à la télévision), son héritage ne mérite pourtant pas d’être rayé d’un trait de plume
[À chaque date anniversaire, c’est à se demander si médias rap et réseaux sociaux n’ont pas Alzheimer.]
Et puis bon, ce n’est pas comme si Nellyville était le pire des albums. Bien au contraire.
Retour sur ces 79 minutes et 40 secondes qui s’écoutent débarrassé de tout snobisme et a priori.
1. Nellyville
Pendant rap du Paradise City des Guns N’ Roses, ce track éponyme voit Nelly s’imaginer ce que serait la ville de ses rêves. Beaucoup plus matérialiste que les rockeurs, il y assimile ligne après ligne argent et bonheur.
Rien de bien original, d’autant plus que réalité et fiction font jeu égal, Nellyville ressemblant comme deux gouttes d’eau aux banlieues de l’hyperclasse à la Calabasas ou Hamptons (les nouveau-nés débutent dans la vie avec un demi-million sur leur compte en banque, les filles se font offrir à chaque anniversaire leur âge en carats, les fils reçoivent une Cadillac à leur majorité…).
Bon après, qu’importe le fond, ce qui compte avant tout, c’est que l’ambiance soit à la bonne humeur.
2. Gettin’ It Started (Ft. Cedric The Entertainer & La La)
Le premier des quatre interludes de l’album qui met en scène l’actrice La La (la future épouse du basketteur Carmelo Anthony) et l’humoriste local Cedric The Entertainer (déjà présent sur l’outro de Country Grammar).
Madame fait ici comprendre à monsieur qu’il ne se passera rien de la soirée s’il ne dégote pas dans les plus brefs délais le nouveau CD de Nelly.
3. Hot in Herre
Le banger qui donne (littéralement) envie de terminer la soirée torse nu.
Deux notes de piano sentencieuses qui se font écho, des cymbales en canon, quelques onomatopées… en une poignée de secondes, la température grimpe en flèche.
Pas fin pour un sou, Nelly exploite ensuite le beat über syncopé des Neptunes avec ce qu’il faut d’énergie et de « UH-UH » pour délivrer l’un des hymnes du rap mainstream du début des années 2000.
R.E.P. Pasha Bleasdell, la très douce vixen du clip qui nous a quittés récemment.
4. Dem Boyz (Ft. St. Lunatics)
Un posse cut plus apaisé en compagnie de ses potes d’enfance Ali, Kyjuan et Murphy Lee, alias « ces mecs qui lisent The Source en Air Force sous le porche ».
Une piste agréable-mais-sans-plus qui vaut essentiellement pour le savoir-faire de Nelly.
Comment ça personne n’en a jamais rien eu à carrer des St. Lunatics ? Comment ça l’album respire la recette à plein nez ?
5. Oh Nelly
« Skurrrrt », « Oh », « Oooh-wee! »… si vous vous demandez pourquoi Nelly en a toujours agacé plus d’un, les « paroles » du refrain (exécutées de concert avec Murphy Lee) vous donnent un début de réponse.
Idem, si vous vous demandez pourquoi diable Nelly dévastait à ce point les charts.
Simple et efficace, l’un des meilleurs titres de Nellyville.
6. Pimp Juice
Quatrième single de l’album, il voit Nelly pousser franchement la chansonnette, une première, pour se mettre dans la peau d’un maquereau de bande dessinée.
Parodie ou mauvaise imitation de Curtis Mayfield ? Chacun jugera.
En revanche, tout comme le « kiddin’ comme Jason » de Hot in Herre, faisons comme si l’indigent « You ain’t from Russia, so bitch why you rushing? » n’existait pas…
PS : les vrais se souviennent de la boisson énergétique goût pomme
7. Air Force Ones (Ft. St. Lunatics)
Le sparadrap sur la joue, les jerseys portés à l’envers, les dents en or, Vokal… au sommet de sa gloire, Nelly popularisait les modes comme d’autres distribuent des bonbons.
Pressentant le retour en grâce de la plus présidentielle des baskets, il lui dédie un morceau entier où il intime son public d’en acheter le plus grand nombre de paires possible.
On vous raconte tout dans l’épisode dédié de notre série Ce Jour Où.
8. In the Store (Ft. Cedric The Entertainer & La La)
Cedric The Entertainer qui fait la tournée des disquaires pour tenter désespérément de mettre la main sur un exemplaire de Nellyville.
Écoulée à 715 000 copies en première semaine, plus du triple de Country Grammar (235 000), la galette était effectivement des plus convoitées.
Notez toutefois que sur le long terme, Nellyville n’a pas atteint les chiffres de Country Grammar, quand bien même l’album a été certifié sept fois platine (!).
9. On the Grind (Ft. King Jacob)
L’oseille, la win, les jaloux… la traditionnelle rengaine du rappeur à succès qui tient à faire savoir ô combien il a toujours la dalle.
Rien de bien fou. Pas grand-chose à en dire. Un peu à l’image de ce King Jacob, le mec en feat, dont personne n’a jamais vraiment su qui il était et comment il était arrivé là.
10. Dilemma (Ft. Kelly Rowland)
Le coup de génie de Nellyville. Et pas seulement pour avoir donné envie de danser avec son « boo » au milieu de la rue et de lui envoyer des textos sur fichier Excel.
Ajoutée à la tracklist dans les derniers mètres, cette balade adultérine en compagnie de la numéro 2 des Destiny’s Child intronise Nelly au panthéon des thugs et lovers (LL Cool J, 2Pac…). Fort du précédent Hot in Herre qui concrétisait son image de party rapper, il trouve avec Dilemma la martingale pour rentrer encore un peu plus en rotation en télés et radios.
L’opération a d’ailleurs été une telle réussite qu’il la dupliquera à grande échelle en sortant en 2004 deux albums le même jour, Suit et Sweat, qui chacun jouent à fond de cette dualité.
11. Splurge
« Tu crois que tu me connais, mais tu ne me connais pas. Je suis jeune, je suis black, je suis riche. Je me sens bien, je flambe, mais l’argent ne me fait pas. »
Voilà en substance le concept. Sitôt écouté, sitôt oublié.
12. Work It (Ft. Justin Timberlake)
Après avoir eu l’outrecuidance de poser sur le remix du single Girlfriend des babtous fragiles *NSYNC, Nelly persiste et signe en invitant au micro le leader du groupe, le Justin Timberlake pre-Pharrell, pre-Timbaland, pour un duo d’égal à égal.
Le move est à l’époque d’autant plus irrévérencieux que la frontière entre pop et hip hop était encore strictement délimitée.
Plus que de la musique donc, même si entre les intonations très Bee Gees de J.T. et l’hédonisme de Nelly Nell’ ce Work It glisse tout seul.
13. Roc the Mic (Remix) (Ft. Beanie Sigel, Freeway & Murphy Lee)
Changement d’ambiance avec l’arrivée des deux rimeurs les plus street de Roc-A-Fella.
La connexion peut surprendre. Le choix d’inclure un remix dans la tracklist aussi, surtout que Nelly et Murphy Lee n’apportent in fine pas grand-chose à la version originale tirée de la BO de State Property.
Peut-être s’agissait-il pour Nelly de graver dans le marbre son désaccord avec KRS One qui l’avait auparavant plus ou moins accusé d’être le fossoyeur du « reel heepop » suite à son couplet sur #1 ?
14. The Gank
Retour du Nelly ami des dames avec un morceau qui raconte l’histoire d’une fille qui lui a mis le cœur en miettes.
Petit twist tout sauf anodin, à la fin du dernier couplet, un aparté nous fait comprendre qu’il se confie à ses potes.
Entre ça, le riff de guitare et le chant, le Lunatic avait ici des années d’avance sur toute la concurrence.
15. 5000
Un interlude en forme de débriefe d’une soirée passée la veille en stripclub.
16. #1
Un egotrip extrêmement pêchu où sont abondamment moqués tous ceux qui n’ont pas décroché la médaille d’or, à commencer par les rappeurs d’avant qui radotent leur gloire passée (coucou KRS One), en passant par les deuxièmes et troisièmes sur le podium (« Two is not a winner, three nobody remembers »).
Pour info, il s’agit de la troisième et dernière prod’ de l’album de Waiel Yaghnam.
Rapidement tombé dans l’oubli après Nellyville, il s’est plus tard reconverti en agent d’assurance, avant de refaire l’actu il y a quelques mois lorsqu’il s’est retrouvé inculpé pour avoir orchestré une escroquerie financière en relation avec le meurtre d’une ancienne figure de télé-réalité.
17. CG 2 (Ft. St. Lunatics)
Une antépénultième piste dont le refrain aux faux-airs de comptine rappelle évidement celui de Country Grammar (Hot Shit).
Était-ce nécessaire ? Le simple fait de se poser la question y répond en grande partie.
18. Say Now
Tiens donc, Nelly clôt les débats avec un morceau vaguement conscient où il dépeint la violence des rues de sa ville.
Une touche de sobriété un brin déconcertante de prime abord, mais qui ne fait pas tâche.
19. Fuck It Then (Ft. Cedric The Entertainer & La La)
Dieu merci, ce pauvre Cedric The Entertainer a enfin réussi à choper un exemplaire de Nellyville. Pas de chance, c’est la version censurée, ce qui n’est pas DU TOUT du goût de cette petite capricieuse de La La.
Pas un classique, mais…
Entre le trop grand nombre de morceaux qui se ressemblent et un Nelly qui joue jusqu’à plus soif la carte de la sécurité, l’opus n’affiche aucune autre ambition que de plaire à une audience la plus large possible.
De ce point de vue, le cahier des charges est dûment rempli avec suffisamment de temps forts pour passer de très bons moments… puis se souvenir des années plus tard de ces très bons moments passés.
Mieux, n’en déplaise aux fans de la première heure, Nellyville est meilleur que Country Grammar.
Plus consistant, mieux produit, plus varié… il est l’album #1 de la discographie de Nelly. Celui que vous devriez absolument écouter si vous avez manqué cette période bénie qu’était le rap du début des années 2000.
Nellyville ou l’album qui donne envie de renfiler son peau de pêche !