De l’OPJ à la commission rogatoire… les artistes prennent la parole.
Le gouvernement tient en ce moment des « Etats généraux de la justice » pour « renouer le lien entre la justice et ceux au nom de qui elle est rendue », selon le président Emmanuel Macron.
Effectivement, la justice française peut sembler compliquée. Surtout son vocabulaire bien spécifique. Pour mieux la comprendre, on décode ensemble les mots de la justice avec les punchlines de tes rappeurs préférés.
Réalité ou fiction, les MC sont les professionnels pour nous détailler leurs démêlés avec la justice. Sauf qu’on ne comprend pas toujours très bien ce qu’ils racontent si on n’a pas fait des études de droit.
On commence par du grand classique. Celui qui se retrouve dans quasiment tous les albums de rap. Trois lettres : OPJ, pour Officier de Police Judiciaire. C’est lui qui pose les questions au commissariat. Et puisqu’on vous disait que le vocabulaire de la justice est compliqué : l’officier de police judiciaire n’est pas forcément un officier… et il ne fait pas toujours partie de la police judiciaire.
Être OPJ n’est pas un poste (comme être serveur dans un resto, par exemple) mais un titre. Un policier ou gendarme peut devenir OPJ après avoir réussi un examen. C’est la justice – notamment le procureur général de la cour d’appel la plus proche – qui délivre ce titre.
Pour faire simple : après une arrestation, l’OPJ est le policier ou gendarme qui interroge un suspect au poste, prend en note sa déposition, et décide de le placer en garde-à-vue. Il cherche à caractériser une infraction, obtenir des aveux ou une coopération du suspect. C’est pour ça que beaucoup se vantent de ne rien dire devant l’OPJ, comme Niska, mais aussi Maes (« Devant l’OPJ j’sors que des disquettes ») ou S.Pri Noir (« Je sors du poste mais j’ai su garder le silence devant l’OPJ »).
Mais leur rôle ne se limite pas uniquement à rester assis devant un ordinateur pour prendre une déposition. Un OPJ est aussi un agent de terrain, qui peut constater les crimes et délits, et effectuer des perquisitions.
L’OPJ est donc un enquêteur, dont le rôle est de chercher les infractions (délits ou crimes) pour ensuite les transmettre à la justice. Ensuite, la justice pourra décider de poursuivre et d’intenter un procès.
C’est l’arme préférée des avocats. Elle fait aussi le bonheur de nos rappeurs dans leurs textes, puisqu’un vice de procédure peut vous faire libérer même si vous êtes coupable. C’est pour ça que le « S » et son avocat les cherchent si précieusement.
Pour condamner quelqu’un pour un crime ou un délit, il faut respecter scrupuleusement le Code de procédure pénale. Ce texte réglemente toute la procédure, et explique comment les OPJ (puisque maintenant vous savez ce que c’est) doivent s’y prendre dans leur enquête pour montrer la culpabilité d’un suspect. En gros : le code de procédure pénale est à la justice ce que le code de la route est à la voiture. Il y a des règles à respecter.
Si un enquêteur ne respecte pas ces règles, et commet une erreur (confusion entre les dates, oubli de signer un procès-verbal…), alors l’avocat du suspect peut invoquer un vice de procédure. Si cette erreur est considérée comme « substantielle » par un juge, toute la procédure tombe. Elle n’est plus valable, il faut recommencer de zéro. Les poursuites s’arrêtent, le suspect est libre. Ça rend fou les magistrats et les policiers (qui ont enquêté pour rien), mais ça fait le bonheur des avocats qui peuvent libérer leur client sans trop d’efforts.
Le rappeur de Font-Vert fait ici référence aux deux tribunaux qui jugent les infractions pénales : le tribunal correctionnel et la cour d’assises. Un suspect n’est pas jugé au même endroit s’il a commis un délit (vente de stupéfiants, cambriolage, violences, harcèlement moral ou sexuel…) ou un crime (meurtre, viol, espionnage ou terrorisme).
Un délit est passible de maximum dix ans de prison, et est jugé par un tribunal correctionnel. Le crime est plus grave, et peut entraîner une condamnation à perpétuité. S’il est accusé d’un crime, un suspect ira devant une cour d’assises.
Le fonctionnement des deux tribunaux est largement différent. Déjà, ils ne sont pas au même endroit, puisqu’il n’y a qu’une seule cour d’assises par département. Par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, il y a trois tribunaux correctionnels (Marseille, Aix-en-Provence et Tarascon), mais la cour d’assises se trouve à Aix.
Ensuite, le vocabulaire change complètement. En correctionnelle, si le juge vous déclare innocent, vous êtes « relaxé » ; à la cour d’assises, vous êtes « acquitté ». En correctionnelle, la personne jugée est un « prévenu » ; aux assises, c’est un « accusé ». En correctionnelle, la personne qui représente le parquet est un « procureur » ; aux assises, c’est un « avocat général ». Oui, c’est pas facile.
La commission rogatoire est un document donné par un juge d’instruction (qui enquête sur un dossier) à un OPJ. Elle lui permet d’effectuer plusieurs actions à sa place. Ces actions doivent permettre de rechercher la vérité dans une affaire, et notamment la possibilité de perquisitionner un domicile. D’où les mots « ça pète » de N.I., qui renvoient à une image de bélier défonçant une porte pendant une « perquiz ».
Une commission rogatoire peut également ordonner des saisies (de preuves, de matériel…), exiger une nouvelle audition devant un OPJ, ou même placer un suspect sur écoute téléphonique. Etant donné ses pouvoirs élevés, une commission rogatoire est très encadrée. Déjà, elle est limitée dans le temps. Ensuite, l’OPJ doit toujours préciser l’identité des personnes interrogées ou perquisitionnées.
Le ou la juge des libertés et de la détention (JLD) est un juge indépendant, qui s’occupe surtout de la détention provisoire. Traduction : le placement en prison d’une personne pas encore jugée, mais mise en examen (c’est-à-dire suspectée).
Avant d’envoyer quelqu’un en détention provisoire, le juge d’instruction (qui enquête sur un dossier) saisit le JLD. Celui-ci rencontre alors la personne mise en examen avec son avocat, puis décide ou non de l’envoyer en prison. Cet emprisonnement ne peut dépasser quatre mois renouvelables (pour un délit) ou un an renouvelable (pour un crime).
Si une personne est placée en détention provisoire, elle peut ensuite saisir le JLD pour demander sa mise en liberté. Par exemple, MHD était en détention provisoire pendant plusieurs mois. Pour demander sa libération, il a rencontré le JLD, qui lui a accordé.
On termine avec le « Roi sans couronne ». Le contrôle judiciaire est un outil de semi-liberté utilisé envers une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit, mais pas encore jugée. C’est destiné aux mêmes personnes qu’une détention provisoire, sauf que c’est un peu plus « léger ».
Le contrôle judiciaire est décidé par un juge d’instruction ou un juge des libertés et de la détention (JLD). Toujours dans le cas de MHD, le JLD a décidé de le sortir de détention provisoire en contrepartie d’un contrôle judiciaire.
Concrètement, lorsqu’un juge place une personne sous contrôle judiciaire, elle doit respecter certaines obligations. Elle doit notamment se rendre régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie, « aller pointer » comme le dit ‘Ne2s’. La justice peut également limiter ses déplacements (par exemple, ne pas quitter son département) ou lui interdire d’entrer en contact avec d’autres personnes (un autre suspect ou une victime).
Nessbeal en profite pour dénoncer cette pratique. Pour lui, elle condamne quelqu’un avant même son procès : « Coupable on l’est avant même qu’on soit inculpé ». C’est le contraire de la présomption d’innocence, pilier du droit français qui affirme qu’une personne est présumée innocente jusqu’à preuve du contraire.