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La cagoule ou l’accessoire qui a braqué le rap

La cagoule ou l’accessoire qui a braqué le rap

Les auditeurs français ont choisi l’amnésie collective pour Fatal Bazooka, mais les rappeurs n’ont pas oublié le personnage de Michael Youn. Quinze années se sont déroulées depuis le pas très légendaire Fous ta cagoule et nombreux sont les artistes à revêtir le couvre-chef. Certains l’utilisent à fin artistique, d’autres pour l’anonymat ou comme simple accessoire de mode, mais une chose est sûre : les rappeurs masqués ont braqué l’industrie.

SOS rappeur anonyme

La tranquillité. C’est ce que la majorité des rappeurs recherche. Face au poids des réseaux sociaux et des fans trop intrusifs, porter une cagoule est la meilleure solution pour conserver le peu de vie sociale chez un artiste. Pourtant, cette tendance, démocratisée dans le rap français depuis une dizaine d’années, apparaît comme paradoxale. A l’ère où l’image a pris le pas sur la musique, ne pas se montrer à visage découvert semble à contre-courant. Toutefois, sans doute influencés par la réussite du regretté MF Dooms ou dans un registre différent les Daft Punk, de plus en plus d’artistes prennent l’initiative d’apparaître masqués, ce qui assure l’anonymat. Kalash Criminel a enfilé la cagoule pour éviter les moqueries sur sa couleur de peau albinos. Kekra a choisi de masquer son identité pour cacher son activité artistique à sa mère, car il juge que « le rap ce n’est pas un vrai métier » dans une interview au média Viceland. Les raisons sont multiples, mais la finalité reste la même : rester à l’écart de l’engouement que crée le succès musical.

La cagoule est aussi un moyen chez les rappeurs masqués de se désinhiber. Sous couvert d’anonymat, les artistes parlent plus libérés. Ils se permettent d’exprimer des choses qu’ils n’auraient pas dites habituellement à visage découvert. La cagoule assure la séparation de la vie privée à la vie d’artiste et c’était ce que recherchait Empty7. Le rappeur suisse s’est lancé sérieusement dans le rap il y a quatre ans et il arborait déjà une cagoule. Introspectif dans ses textes, Empty7 se masque par pudeur vis-à-vis de ses proches. “Je peux dire les choses sans filtre. Sans la cagoule, je serais moins honnête et transparent car je ne me pose pas la question de ce que les gens vont penser de moi. Il y a beaucoup d’éléments que je donne dans mes sons que je ne devrais pas dire en temps normal. Je suis plus serein de me savoir masqué”, décrit Empty7.

Cagoule, tous les rappeurs veulent s’y mettre

Impossible de ne pas penser à la drill quand le sujet de la cagoule est mis sur la table. Le couvre-chef est dans le starter pack que tout bon drilleur se doit d’avoir. Le mouvement, popularisé par les Britanniques en Europe, renvoie à une imagerie bien violente, prônant les codes de l’illégal pour les plus extrêmes. Des artistes UK appartiennent à des gangs connus de la justice et leurs paroles font directement référence aux crimes commis par leur entourage. La cagoule, elle, renvoie au monde du braquage et apporte un aspect dangereux. Le mariage était tout trouvé entre les deux. « La cagoule sert à se masquer auprès de la police. Elle peut utiliser leurs lyrics contre eux lors des procès comme pour Scribz. Il avait été interdit de faire de la musique en 2014 par la justice britannique. Il a choisi de mettre un masque pour continuer sous le nouveau nom de LD. On reste sur l’idée de garder son anonymat pour se protéger et aussi assurer la sécurité de sa famille », explique le compte twitter DrillDiscovery, spécialiste sur le domaine. En France, le mouvement n’en est pas arrivé à ce type de cas extrême, mais le port de la cagoule a été repris par nos drilleurs. Au point de contribuer à un regain de popularité d’un style assez proche de l’Horrorcore dans l’hexagone, plutôt fermé auparavant par chez nous. Le succès retentissant de Ziak, avec ses multiples certifications, l’émergence de la scène lyonnaise, avec Ashe 22 ou la F, et enfin Menace Santana qui remplit le Bataclan un soir d’halloween… les représentants de la cagoule et du masque sont nombreux. Mais alors, porter une balaclava assure-t-il un succès dans la drill ? « La cagoule ajoute un style que le public aime, car ça donne un certain style et rend l’artiste mystérieux. Mais si tu n’as pas un truc qui se dégage des autres, tu ne décolleras pas. Les artistes de Chicago n’étaient pas masqués et il y a beaucoup de drilleurs en France ou au Royaume-Uni qui n’ont pas de cagoule », nuance DrillDiscovery.

Laisser parler la musique avant tout

Simple accessoire de mode, la cagoule a pris une ampleur inattendue, celle d’être à l’origine d’une démarche artistique. Kanye West a choisi de se masquer régulièrement depuis la release party de Donda. Certes, s’afficher avec une cagoule pour Ye ne le fera pas tomber dans l’anonymat. Il reste une superstar, mais Kanye West l’utilise pour esquiver la surmédiatisation de ses faits et gestes. L’Américain a donc « effacé » son visage et son image publique, entachée de polémique en tous genres, pour laisser parler sa musique. Un choix qu’embrasse totalement Empty7. « Les auditeurs se concentrent uniquement sur la musique et pas à l’image que je renvoie. Il y a un côté très pur. Je pense que si je n’avais pas été cagoulé, je n’en serais pas là, car les gens se seraient peut-être arrêtés au fait que je sois un « babtou » de Genève. Au final, ma musique brasse dans plusieurs communautés et les auditeurs peuvent s’imaginer qu’Empty7 est un mec lambda assis à côté de lui dans le bus », commente le Genevois. Sur le papier, la cagoule n’a aucun désavantage. Elle apparaît même comme la solution miracle pour laisser parler la musique chez les artistes. Mais avant de voir toute l’industrie masquée, Empty7, lui, préfère relativiser. « La cagoule nous ferme des portes, car elle reste identifiée au monde du braquage dans l’univers populaire. Aussi, on ne me connaît que pour la cagoule et non la musique. Je fais du piano depuis une vingtaine d’années, je réalise certaines prods et les gens s’intéressent qu’au fait que je sois masqué. Il y a un côté frustrant, mais je vois plus d’avantages que de désavantages à la cagoule. »

Il existe une dernière catégorie de rappeurs cagoulés, celle qui la porte pour le plaisir. La balaclava est devenue l’accessoire de mode tendance. Balenciaga, Givenchy ou Miu Miu ont ajouté cet accessoire dans leur catalogue. La cagoule est désormais colorée, tachetée et bien plus voyante qu’auparavant. Une belle ironie pour le couvre-chef préféré des braqueurs. Et les rappeurs, eux aussi adorateurs des dernières tendances, s’exhibent pour le plaisir d’en porter une. Dans le clip du morceau Balotelli de Prince Waly, Freeze Corleone s’affiche cagoulé, un choix logique vu l’ambiance mafieuse qui ressort du morceau. Le membre du 667 n’en était pas à son premier coup avec la cagoule. Il a prouvé son amour pour l’accessoire sur de nombreux clips avec Central Cee ou bien Ashe 22. Les deux drilleurs français ont poussé le délire en proposant des cagoules pour les précommandes de Riyad Sadio, leur projet commun paru en mars dernier. Un succès en fin de compte au vu de la rupture de stock rapide.

Mais est-ce que cette surutilisation de la cagoule ne va pas lasser le public ? Une question qu’Empty7 s’est déjà posée. « Ça peut très vite devenir démodé, car le filon aura été trop exploité. Une partie des auditeurs vont penser qu’on veut les imiter alors qu’on a une démarche artistique. Je ne vais pas mener une guerre contre eux, car je ne suis personne pour légitimer quelqu’un à porter une cagoule, mais c’est un peu frustrant pour les artistes comme nous », pense le rappeur genevois, pas rancunier.

La cagoule s’est infiltrée dans le monde du rap et n’est pas prête à partir du paysage.

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