Dossiers

20 ans plus tard, le Pour Ceux de Phnom Penh par Kim Chapiron

20 ans plus tard, le Pour Ceux de Phnom Penh par Kim Chapiron

En 2003, la Mafia K’1 Fry présentait le clip du titre Pour ceux, réalisé par la clique de Kourtrajmé et plus précisément Romain Gavras et Kim Chapiron. Légendaire, cette vidéo a marqué la culture Hip-Hop et a lancé une nouvelle ère artistique dans les clips de rap francophone. Kim Chapiron a depuis réitéré l’expérience en réalisant sous la même direction artistique le clip de Lil Reek et Brodinski sur Rock Out.

Dans un autre style, il a également réalisé le fameux clip de À l’ammoniaque de PNL, qui a nécessité plusieurs mois de travail pour un résultat ovationné par le public. Après plusieurs années pour lesquelles il se concentre plus sur la réalisation de long-métrages, il vient de remettre la main à la pâte côté clip.

RuthKo sublimé par Kim Chapiron pour Stay the Same

« Stay The Same » par RuthKo.

Contacté par l’association Pour un sourire d’enfant, Kim Chapiron a été invité à travailler avec la section cinéma de la structure carritative pour réaliser le clip d’un rappeur cambodgien : RuthKo. Dans le cadre de ce clip, il est revenu aux sources pour mettre en lumière ce côté « vrai » du coeur de Phnom Penh, la capitale du Cambodge.

Créée il y a 25 ans par Christian et Marie-France des Pallières, Pour un sourire d’enfant est une association qui agit au Cambodge pour venir en aide à des enfants en situation précarité extrême. L’association prend en charge leur éducation de l’enfance à l’âge adulte, pour leur permettre de s’insérer dans la vie active. Au total, l’association s’occupe de 12 000 enfants et propose plus de 20 filières spécialisées. En 2012, Christian des Pallières, fondateur de PSE et passionné par le septième art, a créé une école de cinéma. Une première au Cambodge depuis la guerre civile cambodgienne au milieu des années 1970.

Pour l’occasion, on a rencontré le réalisateur qui nous a raconté son expérience exceptionnelle.

RuthKo et des bikers, by Kim Chapiron

Anna Cuaz : pour commencer, peux-tu nous raconter comment s’est faite la connexion avec l’association Pour un sourire d’enfant ?

Kim Chapiron : Ça s’est passé l’été dernier. Albert Auriol de Pour un sourire d’enfant m’a appelé et invité à venir présenter mes films Sheitan et Dog Pound à l’école, qui est elle-même composée de 12 000 élèves et d’un staff de 600 personnes, donc une structure énorme. Il m’a proposé de faire un atelier de travail avec la section cinéma, une des 27 filières de l’école. On m’a envoyé le documentaire Les pépites, pour que j’en découvre plus sur l’association. Je l’ai regardé en famille et on a tous fini en larmes. C’était d’une puissance et d’une force… ça m’a secoué et j’ai dit oui directement pour venir apporter ma pierre à l’édifice.

Tu es d’origine vietnamienne, quel rapport entretiens-tu avec l’Asie du Sud ?

Ça faisait 20 ans que je n’étais pas retourné en Asie. Etant moi-même moitié vietnamien, moitié français, j’ai sauté sur l’occasion. Je suis toujours partant pour montrer mes films et avoir la possibilité de les montrer en Asie, ça avait une note particulière.

L’Asie du Sud-Est est un endroit auquel nous, Occidentaux, n’avons pas forcément accès à la culture. C’était donc ma première impulsion. Je voulais découvrir la culture du Cambodge et la mettre en lumière. 

Comment s’est fait le lien avec RuthKo et son label KlapYaHandz, pour qui vous avez réalisé le clip avec les élèves de l’association ?

Grâce à une autre association, j’ai fait la rencontre de Sok Visal qui s’occupe du label KlapYaHandz avec son frère. Ils ont grandi un peu en France après la fin du génocide des Khmer Rouge en 1979. Ils ont habité à la Courneuve (Seine-Saint-Denis), dans la cité des 4000 et ont cette double culture puisqu’ils ont grandi dans le rap FR des années 80/90. Ils sont ensuite retournés habiter dans leur pays, qui avait besoin de se reconstruire après un événement aussi tragique. Vu qu’avant leur départ, le Hip-Hop n’existait pas au Cambodge, ils ont travaillé pour le développer. 

J’ai rencontré RuthKo qui était en France dans le cadre d’un festival, où il a fait un concert. J’ai pu travailler le clip directement en France avec lui et brainstorm quelques jours avec son équipe. Ce qui est intéressant avec lui, c’est qu’il a grandi en France et a assimilé notre culture, avec des références comme Booba, Nekfeu ou encore PNL. Il a également une grosse culture Rap US, d’où le fait qu’il parle aussi anglais dans ses morceaux.

Quelle était l’idée de l’association en te contactant ?

L’ONG est rentrée en contact avec moi pour qu’on travaille ensemble sur la réalisation d’un clip. Ils m’ont expliqué qu’ils étaient en relation avec ClapyaHandz et que l’idée serait qu’on fasse quelque chose tous ensemble. L’alchimie s’est très bien passée et on a donc commencé à rêver de ce que pouvait être ce clip. C’est là qu’on a sorti tous ces tableaux. L’idée était de vivre avec les élèves de PSE notre réalité de videomaker français. 

Y avait-il des directives artistiques sur la réalisation du clip en tant que telles ?

Ils aimaient beaucoup la touche Pour Ceux de Mafia K’1 Fry, que les directeurs du label s’étaient pris avant de partir au Cambodge. Donc l’idée était de repartir à l’ancienne, et moi ça m’a intéressé de revenir à mes anciennes façons de façonner des clips. On est donc partis au Cambodge avec plusieurs idées de tableaux qui constitueraient le clip. L’idée principale, c’était : « Qu’est-ce qu’on fait quand on n’a rien ? » On filme les vrais gens. C’est ce qu’on a fait avec Romain Gavras avec Pour ceux, ou encore pour le clip de Rock Out, où je suis allé filmer dans le quartier de Young Thug à Atlanta pour le clip de Lil Week et Brodinski. Quand on est partis on s’est dit en rigolant : « Venez, on fait le ‘Pour Ceux’ de Phnom Penh » Parce que ça, c’est mon plaisir de réalisateur, comme à l’époque avec Kourtrajmé, j’avais à coeur de montrer des images qui n’avaient jamais été montrées.

‘Pour ceux’ réalisé par Kim Chapiron et Romain Gavras pour la Mafia K’1 Fry.

Comment t’es tu familiarisé avec l’univers de RuthKo ?

On s’est retrouvés dans le village de RuthKo pour filmer la réalité qu’on peut traduire et qui n’existe pas dans notre imaginaire en Occident. Eux, ils vivent le hip-hop à travers d’autres codes que les nôtres. Leur phraser et leur flow fait penser à une langue latine et c’est beaucoup plus facile pour nous, occidentaux, d’écouter du rap Cambodgien que du rap Vietnamien par exemple. L’exercice de départ c’était de montrer comment le Cambodge a assimilé le Hip-Hop à sa sauce.

Comment s’est passé ton travail avec les élèves ?

Je m’occupais d’élèves qui allaient s’insérer juste après dans le monde du travail. Ils m’ont tous accompagnés sur le clip, et m’ont tous aidé à leur niveau sur le tournage. Par exemple, quand je suis arrivé, ils avaient déjà trouvé les décors. Il y a un des élèves qui est devenu le chef opérateur et il tenait une des caméras qu’on avait. Quand on arrivait sur une séquence, je lui laissais gérer la caméra, le diaph et les lumières. Il me demandait si c’était bon et vu que c’était l’agitation de tous les côtés, on est arrivés à un rapport de confiance où je lui ai dit : « Si tu trouves que la lumière est bonne, c’est la bonne ». J’ai été comblé de voir la joie sur les visages, ce qui m’a rappelé l’époque de Pour Ceux, où tu es dans l’effervescence d’un mouvement qui est le Hip-Hop, ici au Cambodge et il y a 20 ans en France.

Tu es parti avec une grosse équipe au Cambodge ?

On est partis avec mes camarades de Phantasm avec qui j’ai déjà une grosse expérience de clips puisque c’est avec eux que j’ai réalisé « À l’ammoniaque de PNL, Rock Out de Lil Week et Brodinsky et Too Hot de Pink Noise. On était à deux, avec Clément Lepoutre, les élèves et le label.

Niveau technique, ça s’est passé comment ?

On a fait le clip avec seulement deux caméscopes et un iPhone, donc très peu de technique, mais une énorme énergie humaine. C’est dans ces moments-là que la créativité est sans limites, parce qu’on se dit que tout est possible. C’est ça qu’on voulait raconter et c’est une des façons de raconter la musique que je préfère. 

Et du côté de la direction artistique, tu as sollicité les élèves ?

Le côté créatif s’est beaucoup fait grâce aux décors, à savoir la rue de Phnom Penh, la capitale du Cambodge. J’ai fait ma petite lettre au père Noël aux élèves de l’école, qui m’ont trouvé des décors typiques qui représentent la capitale cambodgienne. Avec le label en accompagnement, ils ont généré ces images puissantes qui donnent la force au clip.

Tu peux nous livrer une anecdote qui t’as marquée pendant le tournage ?

La séquence rodéo urbain se passe dans l’avenue du premier ministre, qui est une énorme route avec un gros traffic. À Phnom Penh, on peut encore se permettre de réaliser des plans comme ça, là où en France par exemple, c’est inimaginable. Là, ce sont les élèves de l’école qui ont bloqué l’avenue pour qu’on puisse tourner ! Moi, j’étais sur un scooter avec ma caméra, exactement comme dans Pour Ceux.

Tu retiens quoi de cette aventure hors du commun ?

Cette expérience m’a permis de participer à un morceau que j’aime beaucoup au-delà de l’exercice de travailler avec des étudiants en école de cinéma. J’ai vécu ma première expérience avec une ONG, et tout cet ensemble a fait que j’ai été comblé à tous les niveaux.

Quand je suis parti, on a eu un jour et demi et de préparation pour trois jours et demi de tournage non-stop. C’est l’énergie Kourtrajmé que j’aime, ce côté « urgence » et sans moyens. Pour ceux, on l’a réalisé en trois/quatre jours. Et c’était aussi dû à l’idée de montrer le réel avant-tout. C’était aussi important de montrer aux élèves que c’est possible de fabriquer une image qui a du caractère et de la force sans moyens. À l’ammoniaque, ça a nécessité trois mois, dont un mois de tournage. C’est une autre façon de raconter les histoires.

Si tu devais donner un conseil aux jeunes réalisateurs qui veulent se lancer dans les clips ?

J’incite toujours les gens qui veulent raconter leur musique en images à se rendre compte qu’on a besoin de rien. Il faut juste que l’artiste trouve comment il peut générer des émotions à travers son univers. Il faut que l’attitude des artistes suive dans un clip de rap. 

Pour plus d’infirmations sur l’association Pour un sourire d’enfant, rendez-vous sur leur site qui est également ouvert aux dons.

Propos recueillis par Anna Cuaz.

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT