Pour la sortie de son tout premier album, Booska-P est allé rencontrer Siboy, membre émérite du 92i. L’occasion de croiser un artiste complet et « Spécial ».
Comme une savoureuse bande annonce, ses multiples clips nous avaient fichu les jetons et présenté un personnage pour le moins « Spécial ». « Spécial », c’est justement le nom de son premier album. Un projet dessiné sous le sigle du 92i, mais pas seulement. Rendez-vous donc avec Siboy pour causer musique et films d’horreur. Car oui, le bonhomme est avant tout un passionné de culture pop, capable de s’ambiancer sur du Alain Souchon autant qu’avec la franchise « Saw ».
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Siboy : une personnalité bien à lui
De lui, on ne sait franchement pas grand chose. Une enfance au Congo, des souvenirs douloureux dus à la guerre qui passe par là et une arrivée en France, du côté de l’Alsace. Une région plus connue pour ses cigognes que pour son rap. Néanmoins, c’est bien ce drôle d’oiseau de Siboy qui va troubler le ciel de ce coin de l’hexagone. Plutôt carré dans sa démarche, ce dernier cherche à aller « toujours plus loin », dans les mots et dans le gore. Sur le fond comme sur la forme, il parvient à faire la différence. Cagoulé et dents dehors, il vocifère. Depuis quelques temps, ces visuels apportent au game ce qui lui manquait de piment. Il faut dire que l’artiste venu de Mulhouse aime quand ça pique. Loin des codes, il nous dévoile un drôle de personnage qui évolue sans scénario préférant travailler « au feeling » : « Je ne m’invente pas une vie de dealer ou de gros gangster. Je préfère avoir mon perso et faire les choses à fond« . Comme lorsqu’il a débuté dans le milieu en tant que beatmaker.
J’aime tellement les films d’horreur !
Souriant sous sa laine malgré la canicule, il paraît serein, loin de l’exubérance de ses clips. Des visuels colorés, toujours aussi dingues où chacun de nous a le choix pour faire du sale, de la machette jusqu’au sac plastique prêt à étouffer sa victime, tous les coups sont permis. Une influence qui vient des films d’épouvante dont l’intéressé est un grand fan : « J’aime tellement les films d’horreur qu’aujourd’hui je n’en regarde plus. Je sais à quoi m’attendre, ça ne me fait plus peur. C’est dans ce délire là que je veux aller, notamment dans mes clips. Lorsqu’on bosse avec mon réalisateur, on est grave dans ce truc sombre« . S’il connaît la chanson, il puise encore certaines de ses idées dans cet univers particulier. De la série « Bates Motel » jusqu’au récent « Get Out », dont il trouve la fin « franchement pas terrible », il pioche et trouve le moyen de kiffer.
En fait je suis sûr que quelqu’un a déjà grillé mon visage, mais qu’il attend le bon moment pour balancer le truc
Même si les « classiques Saw ou Amityville » restent des références pour lui, il cite l’univers Marvel : « Tout ce qui sort de chez eux m’inspire aussi, la cagoule c’est une sorte de costume. Une fois que tu l’as sur ta tête, tu n’es plus le même ». L’occasion de comprendre mieux le mode de fonctionnement d’un artiste « particulièrement réservé dans la vraie vie ». Avec son accoutrement sur le dos, il devient un Venom d’un nouveau genre, le sens du verbe et de la punchline en plus. Comme tout super-vilain qui se respecte, il craint d’ailleurs de se faire démasquer : « A Mulhouse il y en a qui connaissent mon visage, mais il y a du respect. Alors qu’à Paris je peux même me balader torse nu dans la rue si je veux (rires) ! Mais aujourd’hui ça peut aller très vite, quelqu’un peut te filmer direct. En fait je suis sûr que quelqu’un a déjà grillé mon visage, mais qu’il attend le bon moment pour balancer le truc ».
« Spécial » : tout vient à point à qui sait attendre
Du genre à suivre son propre chemin, il n’a pas fait dans le traditionnel au moment de se lancer dans le game. Ici pas de fiche de route considérée comme normale, la faute non pas à un GPS qui déconne, mais bien à une envie de faire toujours mieux. Loin de suivre le circuit classique EP/Mixtape/Album, il débarque tout de suite avec un projet de 15 titres. Honnête, il nous renseigne là-dessus : « J’ai enregistré tellement de sons, mais aujourd’hui, avec du recul, je peux dire que je n’étais pas prêt pour sortir quelque chose. Il y a plein de choses qui se sont améliorées, j’ai énormément travaillé« . Bourreau de travail, il n’en reste pas moins modeste : « J’arrive avec un projet qui me satisfait, car il y avait des facettes que je maîtrisais moins avant. Comme par exemple le chant. Maintenant ça glisse mieux à l’oreille et je suis content d’avoir passé ce step (rires) ! Pour réaliser cet album, ça a pris quand même un an ».
Si ton projet est bon, pas besoin de passer par l’EP ou la mixtape
Un an, voilà qui est long dans une époque où les projets fourmillent. Néanmoins, Siboy reste fidèle à lui-même. Loin de se poser les mauvaises questions, il ne se fixe aucun objectif « pour ne pas tomber de haut« , préférant simplement donner le « meilleur » de lui-même : « Pour moi c’est normal d’arriver à ce stade (l’album). Si ton projet est bon, pas besoin de passer par l’EP ou la mixtape« . L’Alsacien préfère donc miser sur le travail, tout comme un certain Booba qui l’aura ramené dans l’écurie 92i aux côtés de Benash, Damso ou encore Shay… En somme, rien de mieux pour s’améliorer : « Quand tu vois à quel point tout le monde bosse, ça te donne encore plus envie de charbonner. Cela montre qu’il ne faut jamais dormir, c’est comme une compétition positive entre nous. On ne cherche pas forcément à s’inspirer des uns des autres, chacun à son propre délire et c’est ce qui fait la différence au final« .
Travailler avec Booba, ça t’apprend qu’il faut avoir de la rigueur.
Véritable chef de meute, Booba a également de l’importance dans ce que propose aujourd’hui un Siboy qui aura signé avec lui le morceau « Mula » : « Travailler avec Booba, ça t’apprend qu’il faut avoir de la rigueur. Il n’arrête jamais de marquer les époques. Certains ont du mal à revenir, mais lui est toujours aussi fort. Il garde son identité et ramène de la nouveauté. » De quoi l’amener à balancer un album qu’il juge « cohérent, avec son propre univers« . Faire comme aucun autre, tracer sa route sans regarder dans le rétro, voilà la botte secrète du rappeur aux chicots de fer. « Spécial » c’est donc de l’égotrip bien, contrebalancé par des séquences plus lunaires ou dansantes (comme le très réussi « Mobali » en feat avec Damso et Benash). Citer deux ou trois autres tracks fausserait d’ailleurs la donne, son projet est à écouter dans sa globalité pour mieux saisir son intensité.
Un barbare souriant et novateur
A la fin de notre entretien, il nous a déclaré « ne pas être le rappeur le plus attendu« . Il faut dire qu’il ne cumule pas les stories sur Instagram et Snapchat à l’heure où l’omniprésence sur les réseaux sociaux est devenue presque primordiale dans le processus de « buzz » d’un artiste : « Je ne suis pas un mec qui est grave sur les réseaux, en fait je n’ai pas ce réflexe. C’est une de mes lacunes, je sais que dois donner plus de moi-même aux fans« . Des fans qui peuvent lui envoyer tout un tas de trucs dingues en DM car ils le prennent « pour un vrai barbare« .
Tu peux pas représenter ton département et dire ensuite « nique la France », c’est juste une question de logique
Un barbare ? Difficile de penser autrement lorsqu’en fin d’entretien, Siboy nous lâche ces quelques mots dont lui seul à le secret : « Franchement, revendiquer le coin où je vis je m’en bats les couilles. On est tous là à citer des noms, mais en vérité, ce n’est pas ce qui m’a donné à manger, ça m’a rien donné du tout. Tu peux pas représenter ton département et dire ensuite « nique la France », c’est juste une question de logique… C’est comme si tu disais ‘vive ma cuisine, mais nique ma maison (rires)’ » !
Vous l’aurez compris, s’il n’est pas une superstar des réseaux sociaux, il compense avec un vrai sens de la formule et ne fait jamais dans la demi-mesure. Un cocktail à retrouver en streaming et dans les bacs avec un premier album « Spécial », addictif et attachant.