A travers une série de dossiers, Booska-P vous propose de découvrir ou redécouvrir les rappeurs qui font le hip-hop africain. Explorons les régions de l’est !
En 2018, le continent africain peut se réjouir d’avoir une panoplie de rappeur, du sud au nord, de l’ouest à l’est. La plupart des pays de l’Afrique de l’Est sont anglophones donc, quand ils se mettent au rap, le résultat se présente plus comme un dérivé du hip-hop américain. Qu’on parle du Kenya, des Comores ou de la Tanzanie, les rappeurs de l’est du continent ne sont pas en marge, ils rappent pour leur quartier, leur famille, leur société, et surtout contre le système.
La musicalité de la corne de l’Afrique est fortement influencée par les traditions et les langues swahilies qui sont issues du métissage de plusieurs langues africaines. Comme dans d’autres coins d’Afrique, on prend un peu de rap, un peu de R’n’B et on le met à la sauce africaine. Les rappeurs tirent leur inspiration de leur quotidien dans les quartiers démunis et du mode de vie misérable des populations. Malgré l’influence de leur culture traditionnelle, leur style est assez proche du gangsta rap, les kényans sont les premiers exemples.
Le rap, la rue et les bidonvilles
Au Kenya, le hip-hop n’est que la suite logique d’un mode de vie organisé autour de la rue et du ghetto marqué par la misère de ses quartiers. Le hip-hop kényan se définit comme un mélange d’anglais et de swahili. Dans les bidonvilles de la capitale, la jeunesse délaissée se réfugie dans le rap pour dénoncer le système oppressant. C’est un peu comme dans les ghettos américains : ils rappent en anglais, s’habillent à l’américaine, mais s’ouvrent également à d’autres influences comme le ragga, le R’n’B contemporain ou la dance-pop.
En 2018, Octopizzo, qui compte parmi les artistes les plus populaires d’Afrique de l’Est, illustre la détresse des bidonvilles au Kenya. Lorsqu’il se balade dans les bidonvilles de Kibera (bidonville de la capitale Nairobi), ce qu’il voit ce n’est ni la misère, ni la détresse, mais plutôt une ambiance solidaire unique, des airs de famille, des sonorités originales, des mélodies résonnant dans chaque ruelle. Le rappeur kényan définit son bidonville comme un repère où la colère a permis de donner naissance à un hip-hop authentique – c’est un coin où il tourne la plupart de ses clips vidéo.
Le nom de ce bidonville a d’ailleurs inspiré le titre de sa première chanson Les voix de Kibera. Ses textes parlent aussi de la mode à Kibera, afin de donner une image un peu plus positive de son bidonville. Il a entraîné d’autres rappeurs comme Futwax, rookie de 22 ans, un voyou qui avait pas mal d’embrouilles, mais qui a su développer sa passion du rap à côté avec 13 chansons enregistrées jusqu’à présent. « Octopizzo est un modèle pour moi. Je venais chez lui ici, dans le bidonville et il travaillait très dur. J’ai eu le sentiment que moi aussi, un jour, je pourrais y arriver » déclare-t-il.
Aux Comores, on trouve quelques similitudes, avec toute une population qui crie son ras-le-bol dans un pays sous l’emprise de la faim, du manque d’eau et d’électricité. Cheik Mc excelle dans l’art de rimer ses textes sur un ton révolutionnaire. Il est très respecté par la jeune génération et soutient le peuple dans chacun de ses morceaux. A Madagascar, même son de cloche, où Elita, un groupe de quatre étudiants, font la pluie et le beau temps avec leur rap ultra-révolté.
Il y a aussi Gaël Faye, rappeur franco-rwandais, ayant vécu la guerre au Rwanda, il est actuellement parmi les plus reconnus de la région à l’étranger, ses textes parlent de son vécu, de la guerre mais surtout des crises identitaires. « Quand on est exilé une fois, on est exilé toujours. J’aurais toujours cette sensation d’être un exilé, mais géographiquement parlant je me suis constitué, dans ma tête, un pays qui est la France, une contraction d’Afrique et France, dans laquelle je mets le Burundi, le Rwanda et la France. C’est dans ces trois pays que j’essaye de constituer mes repères, mais j’ai perdu à jamais le lieu où je peux dire « je suis chez moi » ». A part ces rappeurs engagés, on dénombre des artistes qui parlent davantage de mode et de fête, comme les rappeurs tanzaniens.
Les rappeurs tanzaniens et le « Bongo Flava »
Les rappeurs tanzaniens sont les principaux animateurs de rap en Afrique de l’Est, avec une diversité de genres et des concepts musicaux qui se mêlent comme le Bongo Flava, un morceau qui s’est vulgarisé en Afrique de l’Est au point d’être adopté comme un concept. Aujourd’hui, le Bongo Flava représente les genres musicaux R’n’B et hip-hop tanzaniens et kényans. C’est un concept inspiré du hip-hop américain, avec des influences supplémentaires du reggae, du R’n’B, de l’afrobeat, du dancehall, et des styles traditionnels tanzaniens, un cocktail musical unique et original. Le tube Bongo Flava également titré Muziki a été interprété par le rappeur Darassa qui s’est fait connaître dans toute l’Afrique de l’Est de 2016 à 2017 avec des singles comme Too Much ou Hasara Roho.
Plusieurs rappeurs tanzaniens suivent le concept comme Joh Makini, G Nako, Chege Chigunda et Quick Rocka. Joh Makini aspire à un rap moderne, il s’entoure d’autres stars d’Afrique comme AKA, Chidinma, ou encore Davido. Un autre visage important du rap tanzanien est Nahreel, producteur, ingénieur de son et interprète. Il est l’artisan de certains des plus gros succès de la musique urbaine tanzanienne comme Diamond Platnumz ou G Nako. Dans le rap commercial, il y a Chege Chigunda, très actif et ouvert musicalement. Il côtoie la star du pays, Diamond Platnumz, dans Waache Waoane. Ce morceau est le plus populaire de son répertoire aujourd’hui. La plupart des artistes connaissent leur gros succès à l’étranger.
Une industrie riche mais qui perd ses talents
Plusieurs de ces rappeurs ont fait leurs armes sur le continent avant de partir, comme l’éthiopien Aminé qui est plus dans un délire TrapHouse Jazz. C’est un mélange de jazz, électro, soul et trap énergique. Le rappeur d’origine éthiopienne est très décontracté, l’un de ses meilleurs clips, Caroline, révèle un visuel très coloré, le style est très dynamique et dansant. Dans le pays voisin, Ab’S rappe en français, c’est l’un des meilleurs talents du rap djiboutien, mais il quitte très tôt son pays pour la France.
Il trouve son inspiration dans ses voyages, il parcourt le Burkina Faso, le Maroc, la Colombie, la Thaïlande, la Guadeloupe, la Réunion, l’Espagne, l’Angleterre ou encore l’Allemagne. « J’ai commencé la musique en famille et je me suis vite inspiré de mon quotidien, de mes différents voyages dans le monde entier. Mes voyages et mon sens de la débrouille me donnent l’inspiration pour écrire » explique-t-il dans une interview. La plupart des rappeurs de la région sont reconnus pour leur écriture et leur rap conscient.
Des Seychelles à l’Île Maurice, la scène hip-hop, déjà très mature, est la preuve que l’Afrique de l’Est a aussi sa place dans le rap. Kri-zhey fait dans les mélodies mélancoliques avec une plume adroite, et en Somalie K’Naan s’est fait connaître dans le monde entier avec son tube Wavin Flag choisi comme hymne pour la Coupe du Monde de Football 2010 en Afrique du Sud. Son père, émigré aux Etats-Unis est le premier à l’initier à la musique en le faisant écouter très tôt des cassettes américaines.
Il le rejoindra à ses 13 ans : « J’ai été un des premiers à écouter du hip-hop à Mogadiscio. J’apprenais le rythme, le flow, alors que je ne savais pas encore l’anglais. L’important a toujours été le message, les mots, ce que tu as à dire. En Somalie, il ne faut pas forcément être un bon chanteur, ou avoir un bon son, mais il faut avoir quelque chose à dire. (…) Je suis maintenant plus au clair avec ce que je suis, et je sais quand m’effacer, mais je ne pense pas que je me connaîtrai un jour complètement. Je connais mes racines et je connais mon but, mais mon caractère lui, continue d’évoluer ».