S’il n’aborde pas souvent le sujet, Nekfeu ne cache pas ses influences américaines pour autant, notamment celles du Rich Gang et de Drake.
Drake est incontestablement une des figures majeures de l’univers de Nekfeu. Outre certaines similitudes musicales, on ne peut s’empêcher de comparer les deux artistes pour la place qu’ils occupent respectivement sur la scène rap américaine et française. Déjà en 2015, ils occupaient tous deux la première place dans le classement Spotify des artistes les plus écoutés.
Musicalement, une influence à peine voilée
A l’occasion de la sortie de son album Feu, Nekfeu sort en 2015 sur sa chaîne YouTube Un homme et un microphone N°2, freestyle promotionnel sur l’instru de No Tellin’ de Drake. Quelques mois plus tard, Sneakers Radio dévoile une session freestyle du rappeur parisien sur la prod de Trophies, un autre hit de Drake… Il s’agit là d’indices parmi d’autres de l’influence que Drizzy a pu avoir sur Feu, influence qu’on retrouve sur pas mal de titres et d’ambiances. Cependant, Drake est encore à ce stade une influence diluée parmi d’autres, comme Kanye West pour le clip d’Egérie ou encore le Rich Gang. En fait, on commence vraiment à ressentir la musicalité de Drake sur Cyborg, le deuxième album de Nekfeu. Le 13 février 2015, Drake sort sans aucune annonce préalable son album surprise, If You’re Reading This It’s Too Late. C’est l’un des seuls artistes à pouvoir se permettre de sortir un album sans extraits ni promotion, et certainement le seul qui pourra écouler à cette occasion près de 500 000 albums en première semaine, et cumuler dans le même temps plus de 17 millions de streams sur Spotify.
Le seul ? De l’autre côté de l’Atlantique, un certain Nekfeu annonce pendant un concert à Bercy le 1er décembre 2016 un album qui sortira le lendemain. Pas de promotion, pas d’extraits, près de 50 000 ventes cumulées en première semaine. Les similitudes ne s’arrêtent pas au contexte, déjà dans « Martin Eden » et « Mal aimé » extraits de l’album Feu et de sa réédition, Nekfeu reprend distinctement le flow d’« Energy », morceau de la mixtape surprise de Drake. Entre temps, Drake sort en avril 2016 son album studio VIEWS, qui s’avère être lui aussi un succès commercial énorme. Si on retrouve en partie l’influence d’Energy dans Cyborg, l’album surprise de Nekfeu, et notamment sur des sons comme Squa, on la ressent surtout et de façon plus prégnante sur l’ensemble du projet de VIEWS. Cela s’explique très logiquement par le fait que ce projet est sorti au moment même où Nekfeu préparait son album, on imagine très bien que pendant cette période le rappeur était complètement imprégné de l’univers musical du canadien, qu’il a volontairement ou non distillé dans sa propre production musicale, notamment au niveau des backs.
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Un parallélisme entre deux têtes d’affiches ?
En France, comparer des rappeurs locaux aux têtes d’affiche outre-Atlantique est devenu une véritable tradition. Ainsi, on a pu au fil des années voir Booba comparé à 50 Cent puis Jay-Z pour sa capacité à résister au passage du temps et s’adapter aux nouvelles tendances… Pour Nekfeu, la comparaison n’est pas aussi évidente, mais c’est dans Saturne, un extrait de Cyborg en featuring avec S.Pri Noir et Sneazzy, qu’on retrouve un premier élément. Au détour d’un couplet commun, Ken lance la phase : « Seine Zoo, le French OVO, voilà nos vies en VO ». Au-delà des aspects musicaux, on peut en fait établir une réelle connexion entre les deux artistes, aussi bien sur le plan de la carrière que sur celui de l’image. Au niveau des débuts de carrière bien sûr, rien de vraiment comparable mais, Nekfeu comme Drake ont su s’entourer de collectifs de rappeurs assez soudés, qui gravitent autour d’eux et sont une vraie valeur ajoutée à leurs identités.
Seine Zoo, le French OVO, voilà nos vies en VO
OVO Sound, acronyme d’October’s Very Own, est un label fondé par Drake en 2012 et qui regroupe aujourd’hui des artistes tels que PARTYNEXTDOOR et Majid Jordan. De plus, OVO est également une ligne de streetwear, lancée un an avant la création officielle du label, et qui collabore aujourd’hui avec des grandes marques telles que Canada Goose et Air Jordan. De son côté, Nekfeu fonde son propre label Seine Zoo Records en 2013. Aujourd’hui, Seine Zoo est géré par sa famille, et regroupe le groupe S-Crew, le rappeur LuXe (auquel Ken glisse une référence dans le couplet de Squa), et le duo Phénomène Bizness. Comme OVO, Seine Zoo prend rapidement la forme d’un incubateur de talents, et la LuXemixtape sortie fin 2016 tout comme Pharaon, le projet de Phénomène Bizness sorti en début d’année ont bénéficié d’une exposition croissante. La similitude ne s’arrête pas là, puisque Seine Zoo met essentiellement en avant sa ligne de streetwear, dont le logo est la forme stylisée de la Seine au milieu de Paris.
Au-delà des ressemblances, deux univers différents
En dehors de cette image de « gentil garçon » qui leur est commune et que Nekfeu a appris à utiliser à son avantage alors que Drizzy tente désespérément de s’en débarrasser, les deux rappeurs sont issus de pays différents, avec des parcours différents. En ressortent donc des univers artistiques malgré tout très distincts, qui permettent de mettre une distance dans cette comparaison. Nekfeu pourrait bien être le Drake français, mais il est bien plus que ça. Grandir en France signifie grandir avec une certaine culture musicale qui n’est pas celle des Etats-Unis, un système d’éducation qui insiste beaucoup plus sur l’écrit et la lecture, le poids d’un énorme héritage littéraire et artistique… Leurs carrières ont bien sûr quelques similitudes, les deux rappeurs sont issus d’une génération qui connait une exposition accrue par le biais d’internet, mais Drake entame sa carrière cinq ans avant Ken. Le canadien émerge à l’âge de MySpace où il sort sa première mixtape Room For Improvement, tandis que Nekfeu connait ses premiers succès sur YouTube avec le clip de Dans ta réssoi.
Avec ses antécédents aux Rap Contenders, et la forte influence textuelle de l’école Lunatic, Time Bomb qu’il revendique depuis les succès de son groupe 1995, Nekfeu met, beaucoup plus que son « homologue américain », l’accent sur l’importance des textes. Figures de style, assonances exacerbées, Nekfeu est avant tout un performeur et un lyriciste là où Drake tire sa force de sa créativité artistique et de sa capacité à fondre rap et chant sous leurs formes les plus diverses. Les deux artistes en sont aussi à des points différents de leurs carrières, là où Drake se situe en tête de proue du rap américain de manière quasiment incontestée, Nekfeu est encore sur une pente ascendante qui fait de lui et de quelques autres les têtes d’affiche de demain dans l’hexagone.
Toute comparaison trouve ses limites, et heureusement Nekfeu a su développer son propre univers avec des références qui sont propres à la scène française. Très attaché à l’univers parisien, on peut dénicher derrière sa production musicale l’influence discrète de la scène old school française…