De Haine, Misère et Crasse aux Marches de l’Empereur Saison 2, plus d’une décennie s’est écoulée, pendant laquelle Alkpote a distillé, à un rythme frénétique une bonne quinzaine de projets.
Loin d’être rassasié, l’autoproclamé Empereur de la Crasserie annonçait il y a quelques jours à nos confrères de Noisey l’arrivée prochaine d’un nouvel album et d’une troisième saison des Marches. Toujours dans le coup, le rappeur originaire d’Evry a su concilier son statut de vétéran du rap-game avec sa capacité à mettre à jour régulièrement ses registres : s’il n’apparaît pas comme has-been -ou simplement old-school- aujourd’hui, c’est avant tout parce qu’il s’adapte continuellement aux dernières tendances. Alkpote continue de faire chavirer les coeurs et de retourner les estomacs.
Bien que le succès populaire et commercial n’ait jamais réellement été à la hauteur de son succès critique, Alkpote a cependant fini par apparaître comme l’une des figures les plus influentes du rap français actuel, au point d’être comparé à Gucci Mane par la presse spécialisée. Une situation dont il est bien conscient, et dont il s’amuse : qu’il l’évoque de façon classique (« tous ces nouveaux rappeurs savent bien que je suis leur daron ») ou avec sa manière bien à lui (« tous ces rappeurs sont des merdes que j’ai chié, admire mes déjections »), Alkpote rappelle à qui veut l’entendre qu’il a enfanté une part conséquente de la nouvelle génération.
De Vald à SCH, de Niska à Nekfeu, tous ont cité, à un moment ou à un autre de leur carrière, Alkpote comme une référence et une source d’inspiration -une influence parfois assumée, voire même revendiquée, parfois complètement reniée.
Vald
Vald a toujours revendiqué pleinement son admiration pour l’auteur de Sucez-moi avant l’album – chose qu’il a d’ailleurs prouvé sur le plateau de l’Abcdrduson en 2014 en se montrant quasiment incollable lors d’un « blind test Alkpote ». Longtemps simple auditeur, on a rapidement senti l’influence d’Alkpote sur ses premiers textes : même insistance sur les rimes multisyllabiques, même obsession pour les métaphores sexuelles… Quelques années plus tard, Vald continue de prendre exemple sur Alkpote dans de nombreux domaines. En plus d’avoir été inspiré par sa musique, on sent aujourd’hui des ressemblances sur le plan des interviews : Vald a acquis, au fur et à mesure de ses interventions médiatiques, la même assurance et la même capacité à balancer des phases surréalistes. Cerise sur le gâteau, il a fini par côtoyer son Alkpote de très près, en enregistrant plusieurs featurings avec lui – leur rapprochement artistique a même fini par les réunir dans le même lit le temps du tournage d’un clip, mais cela ne nous regarde pas.
Biffty
Le cas de Biffty, petit prince de la souille, est différent de celui de Vald : aussi proche des milieux punk et du métal que du rap, il rencontre Alkpote un peu par hasard, sur le tournage du clip de « Meilleur Lendemains » réalisé par son grand frère Julius. Biffty se retrouve rapidement en studio avec Vald, DJ Weedim, Sidi Sid, et toute la fine équipe des blancs chelous qui gravitent autour d’Alk, et finit par se lancer dans le rap lui aussi. Son tout premier titre diffusé est d’ailleurs un étrange freestyle en featuring avec Sidisid, dans lequel Alkpote fait uniquement les backs.
Moins directement influencé que Vald sur le plan purement artistique, il se retrouve tout de même régulièrement connecté avec Alk depuis deux ans : featurings, concerts, clips… DJ Weedim joue le rôle de liant entre les deux artistes, dont il produit la quasi-intégralité des titres sur cette période – excepté l’album Ténébreuse Musique dans le cas d’Alkpote. Par conséquent, rien ne permet de considérer Biffty comme une simple « déjection » d’Alkpote : s’il s’est évidemment inspiré de lui, et que le rappeur d’Evry a mis le pied à l’étrier au blondinet, les points de comparaison entre les deux viennent surtout du fait qu’ils ont partagé le même entourage et le même producteur depuis deux ans.
Niska
Avant d’exploser en solo et de devenir une superstar du rap, Niska a charbonné pendant des années avec ses compères d’Evry, et notamment Skaodi, avec qui il a formé pendant un temps le groupe Mineurs Enragés … Un groupe qui a été mis en lumière pour la première fois en 2011 suite à un featuring avec Alkpote et Katana.
Bien que ce clip n’ait pas suffit à transformer Niska en phénomène médiatique du jour au lendemain, cette première expérience auprès de rappeurs importants lui a permis de se forger et de prendre confiance en ses moyens. Quelques années plus tard, il renverra d’ailleurs l’ascenseur à Alkpote, d’abord en l’invitant lors de sa semaine Planète Rap, puis en acceptant l’invitation sur l’épisode 7 de la saison 2 des Marches de l’Empereur.
Il y a deux ans, Niska évoquait d’ailleurs l’influence d’Alkpote sur son parcours auprès de Mehdi Maizi : « Alkpote, c’est quelqu’un qui sait écrire, c’est incontestable. Derrière les « sucez » et les « buvez », il y a une écriture de dingue. C’est ce que j’ai apprécié chez lui. Et puis, c’est un personnage, il se différencie. J’aime les gens qui se différencient, qui ne font pas comme tout le monde. Après, tu rentres dans son personnage, ou pas … moi, je suis entré dans son personnage à mon époque. »
Nekfeu, Alpha Wann, et la plupart des mecs de L’Entourage
Tous ces joyeux lurons ne s’en sont jamais cachés, et, pendant leurs premières années de carrière, se sont amusés à truffer leurs textes de références plus ou moins évidentes à Alkpote et l’Unité de Feu. Grands passionnés de rimes multisyllabiques sur un nombre incalculable de pieds, Nekfeu et ses compères se sont évidemment grandement inspirés de l’école Neochrome de la deuxième moitié des années 2000, et particulièrement d’Alkpote.
Contrairement à bon nombre d’autres rappeurs qui ont toujours un peu de mal à assumer leurs inspirations, toute la clique 1995/L’Entourage a toujours revendiqué pleinement toutes ses influences – et elles sont nombreuses. La grande passion de ces petits jeunes pour Alkpote s’est concrétisée à plusieurs reprises à travers divers featurings (Rien ne Change, Christian E. Remix, Remixguel, New York Times …) quitte à décontenancer un peu l’auditeur, comme lorsque Nekfeu décrit la douleur d’avoir perdu son grand père alors qu’une mesure plus tôt, Alkpote évoquait Aziz au pays des merguez.
SCH
Avant de devenir le rappeur le plus dandy du game, Sch n’était qu’un adolescent passionné de rap et d’herbe… et par conséquent, un fan d’Alkpote. Si la filiation artistique n’est pas forcément évidente, il citait en effet l’Empereur parmi ses principales références il y une demi-douzaine d’années sur son profil skyblog – et il s’agissait d’ailleurs du seul rappeur cité. A priori, le SCH-superstar de 2017 n’a pas prévu de réaliser ce qui aurait probablement été le rêve du Schneider-ado boutonneux : se retrouver en studio avec Alkpote pour enregistrer un featuring. Mais les portes ne semblent pas fermées pour autant, et rien n’empêche d’en rêver.
Sidisid
La rencontre – complètement inattendue – entre Alkpote et Sidisid la moitié du groupe Butter Bullets se fait par hasard au tout début des années 2010 : pendant un déménagement, Sid croise un mec avec un t-shirt Alkpote. Une discussion se lance, et il apprend que ce garçon est une connaissance du rappeur. La connexion est faite.
A l’époque, Butter Bullets est un groupe encore très proche de la scène dite « alternative », notamment Tekilatex et Cuizinier du groupe TTC. La rencontre avec Alkpote permet alors à Sidisid d’assumer complètement ses influences finalement très éloignées de l’électro-rap, d’Expression Direkt à la Three Six Mafia en passant par les Dipset … derrière sa dégaine de petit provincial bien coiffée, Sidisid a des références bien trempées, et l’entente avec Alkpote est immédiate. S’en suivront une multitude de featurings pendant quelques années, et surtout un album commun, Ténébreuse Musique, sorti fin 2015 et entièrement financé par le public.
Contrairement à d’autres rappeurs de cette liste, l’influence d’Alkpote sur Sidisid se retrouve plus en termes de positionnement que de musique, lui permettant de se libérer complètement et d’acquérir une vraie crédibilité auprès d’un public pas forcément acquis naturellement à sa cause. En revanche, l’influence est ici réciproque : Sidisid – et son binôme Dela – accompagnent le rappeur d’Evry dans sa transition entre le rap des années 2000 et les tendances des années 2010, et lui permettent d’explorer toujours plus de sonorités.
Lorenzo
Si Alkpote aura fini par collaborer avec la plupart de « ses rejetons », validant à chaque fois la démarche de ses ex-fans devenus rappeurs, ce n’est pourtant pas le cas de Lorenzo, l’un des artistes les plus directement inspirés par le personnage d’Alkpote. Là où d’autres ont clairement assumé leur filiation, tout en cherchant à se démarquer de AlKpote, Lorenzo a préféré reprendre la plupart des codes qui ont fait le succès de l’Empereur de la Crasserie, en les adaptant à son univers white-trash provincial et à son public plutôt jeune.
L’influence se retrouve ici dans le côté purement trash et volontairement outrageux : punchlines scabreuses, références obscènes, personnage scandaleux … Allant jusqu’à détourner l’un des surnoms d’Alkpote pour se l’approprier et s’autoproclamer « Empereur du Sale », Lorenzo ne s’est évidemment pas attiré la sympathie de l’auteur de Sadisme et Perversion.
Kaaris / La Fouine / Gradur / et tant d’autres
Si vous avez moins de vingt ans, vous ne pouvez pas connaître cette période, mais il fut un temps où entendre des rappeurs parler de leur bite était plus rare que de les entendre s’adresser au Président de la République. L’arrivée d’Alkpote dans le grand échiquier du rap en 2006 a donc bouleversé pas mal de sensibilités : ses innombrables références à des pratiques sexuelles extrêmes (zoophilie, gérontophilie, scatophilie, etc…), à des sécrétions corporelles utilisées de manière incongrue, ou à divers ustensiles se retrouvant dans divers orifices, ont ainsi pu choquer bon nombre d’auditeurs… mais également, les préparer à accepter plus facilement la vulgarité dans le rap.
Sans le travail préalable d’Alkpote, il est probable que Kaaris aurait peut-être plus choqué que fasciné en parlant de son fameux orteil sur Kalash, que La Fouine aurait eu beaucoup plus de mal à faire accepter à ses auditeurs le nombre incalculable de punchlines sur sa bite, et que Gradur n’aurait pas pu faire autant de hits en mentionnant son liquide séminale dans 90% de ses textes.
La liste est longue, bien sûr, mais soyez certains d’une chose : à chaque fois que vous êtes gêné parce qu’un rappeur se croit malin en évoquant sa sexualité débridée, dites-vous que cela n’aurait peut-être pas été possible sans Alkpote.