Depuis 2012, le déversement du flow trap sur le rap français a fait couler beaucoup d’encre…
En France, la sortie d’Or Noir marque un tournant pour le rap français, l’album ira influencer une nouvelle génération de rappeurs et convertir progressivement l’ancienne. Trois ans plus tard, ce qui ne devait être qu’une tendance éphémère est communément pratiqué. Mais, le genre divise toujours autant:le mois dernier, Vald a jeté, avec génie, un pavé dans la mare dénonçant tous les travers d’un genre qu’il prétend avoir enterré en un clip. On peut se demander objectivement si la trap/drill, en passant de l’exception à la règle a entraîné sa fin. L’occasion de chercher dès à présent les futures modes qui vont inonder le rap hexagonal.
Un genre voué à rester confidentiel ?
Autant mettre les choses au clair dès le premier paragraphe de cet article. Ici, point d’acharnement sur la trap, la trap a sauvé le rap ! Elle a recréé une émulation dans un milieu vieillissant, remettant la performance et le freestyle au goût du jour à une époque où le rap se rapprochait de la pop urbaine. Sans elle, nous n’aurions probablement pas vu exploser la météorite Kaaris ou même l’ascension du renouveau du rap racailleux avec Lacrim ou Niro. Seulement, la trap aurait dû s’inscrire comme une enclave supplémentaire au rap français, elle finira par le transformer de fond en comble. En ce premier semestre exceptionnel en terme de rap français, quasiment tous les projets contiennent au moins une track Trap si ce n’est pas tout l’album (Lino, Alonzo, Gradur, Booba, Kaaris, Joke ou encore Medine et Youssoupha). Certains trouvant de nouvelles utilisations à ce genre si clivant, Medine justifie son utilisation par sa force de minimalisation des paroles pour arriver droit au but « Ici République et Nation ne sont que des stations de métro ». La trap, la nouvelle recette miracle ?
La nouvelle recette miracle ?
Assurément non, le genre n’avait par pour vocation de devenir majoritaire. Comme toutes les autres formes du rap hardcore avant elle, la trap est difficilement présentable au grand public. À la grande époque de l’écurie Wati B, elle a soufflé un vent nouveau de hardcore sur le rap ouvrant un couloir où ont pu s’engouffrer les artistes, couloir aujourd’hui bondé. Avec l’arrivée d’une nouvelle génération de rappeurs (Gradur, XV Barbar, Niska…) et la conversion des anciens, le gâteau se divise, même Booba ne fait plus ses ventes. Il faut faire preuve de plus de violence, plus d’imagerie, plus de vulgarité pour essayer de se démarquer. Avec ses paroles crues, la trap ne combat pas dans les arènes feutrées des mass-médias qui s’imposent une certaine censure. « Les trappeurs » combattent dans la jungle d’internet, là où les limites n’ont que celles de ses propres auditeurs. Un nouveau monde où les rares certitudes d’une bonne relation entre label et radio n’assurent aucune visibilité. Une forme de guerre civile suite à l’explosion d’une minorité destinée à le rester. D’autant plus que certains auditeurs et autres acteurs du rap sont décidés à accélérer sa chute.
Quand le rap se ligue contre la trap…
La trap fait débat, une partie du public a toujours rejeté les tendances : auto-tune, électro, dubstep, rap hardcore… Il est impossible de faire l’unanimité auprès d’un public si divers. La simplification des paroles et leur violence furent les premières cibles. Mais rapidement, on reprochera à la trap d’être un repère de médiocrité et d’homogénéité. Des critiques en partie vérifiables, mais qui sont inévitables pour un genre très codifié : gestuelle, beat minimaliste, gimmicks efficaces, thèmes récurrents. Une vidéo a fait beaucoup parler d’elle à ce propos, « 10 millions de rappeurs un seul flow » avec pour objectif de dénoncer la ressemblance entre tous les rappeurs français.
La réalité est plus nuancée avec d’autres rappeurs, plus discrets, ne pratiquant pas la trap. Mais, les critiques les plus virulentes ne viennent pas de l’extérieur, les rappeurs eux-mêmes dénoncent de plus en plus cette mutation du rap. Les rappeurs qui s’attaquent à la trap sont nombreux, les plus emblématiques d’entre eux sont Youssoupha, Mac Tyer et Vald chacun pour des raisons différentes.Youssoupha n’a pas hésité à fustiger le genre dans Public Enemy, le premier clip de son album NGRTD avec un constat sans appel : « Vu qu’en c’moment ils s’posent tous sur les mêmes instru’ trap de merde ». Il s’en expliquera par la suite, il se lasse des énièmes copies de copies. Étonnamment, il s’y essaiera lui-même dans ce même album avec Mannshaft, avouant lui-même en interview ne pas exceller dans la pratique. Une autre attaque pour le moins étonnante, puisqu’elle vient d’un des premiers rappeurs français à l’avoir pratiquée, Mac Tyer. Le général termine son album « Je suis une légende » par un outro qui s’inscrira probablement dans l’histoire du rap. Dans cette conclusion, il règle ses comptes avec l’ensemble du game, n’épargnant pas la trap. « Dans c’rap le flow d’Migos se transmet comme la MST ».
Dans c’rap le flow d’Migos se transmet comme la MST
Au-delà du genre qu’il affectionne, c’est surtout les rappeurs qui le salissent qu’il dénonce. Un constat partagé par beaucoup, fustigeant la pseudo-facilité d’un genre qui a mis en lumière des rappeurs à la technicité médiocre. Mais, la plus belle dénonciation de la trap nous vient de Vald, le rappeur déjanté à qui l’on doit l’EP NQNT et qui risque fortement de rencontrer le succès dans les prochains mois. L’annonce de la sortie de son nouvel EP se fait à travers une « parodie » complète de la trap intitulée « Bonjour ». Le clip, qui atteint un million de vues en un mois (plus gros score du rappeur), se joue de la gestuelle des rappeurs en utilisant la langue des signes pour illustrer les paroles. Des paroles et une histoire rivalisant en répétition et simplicité. Le morceau a fait grand bruit tout en créant l’incompréhension. Quelques jours plus tard, une lettre ouverte sera publiée sur Facebook signant la fin de la trap avec un laconique : que le trap français repose en paix. Dont un seul extrait suffit à enterrer le genre : « Mais un être doué de raison ne saurait tolérer tant de répétition et de nivellement. Je ne peux plus bouffer ce que tu me prépares. Je n’ai plus de question préférée. C’est fini la belle vie. Mon coeur n’est plus rythmé par les pompes et les tractions ».
La trap mais après ?
La trap frétille, la trap passionne, la trap enrage, la trap agace mais la trap vacille. Même ses plus gros performeurs prophétisent sa fins, l’efforçant de rappeler en interview qu’ils ne sont pas nés avec ce genre et qu’il réussiront à lui survivre. Le genre va probablement continuer à survivre quelques années, pour ensuite s’amenuiser et totalement s’éteindre. Rien ne laisse prédire qu’il s’éteindra à jamais : en 2027, un collectif de jeunes rappeurs pourrait créer un groupe appelé 2015 et qui rendrait hommage au code de la trap…