L’album « Cyborg » a cartonné les charts, un destin très différent sans la surprise ?
Un titre volontairement provocateur pour revenir sur un énorme contrepied réalisé par Nekfeu, le prince du rap français (sacré en San Goku dans notre dossier, Le Rap Français c’est DBZ). Depuis la sortie de Feu en juin 2015, Nekfeu est devenu une icône au succès phénoménal, explosant les frontières. Un statut qui rend compliqué chaque « retour », les feux de la critique pouvant brûler ses ailes. En décidant de sortir par surprise son album « Cyborg », il a livré un projet aux airs de rap conscient, rien à foutre de rien.
Ken, sous le feu des projecteurs
Même si Nekfeu est connu depuis des années des auditeurs de rap, pas forcément undergroud (grâce à 1995, Rap Contenders, L’Entourage), il a réellement explosé avec la sortie de Feu. Son premier album solo a été un raz-de-marée. Plébiscité par le public (Feu certifié disque de platine) et la critique (un consensus s’est formé autour de Nekfeu, le rappeur prodige qui n’oublie pas son crew et qui défend ses idées « Libérez Moussa et prenez Marine Le Pen »). En un an, il a atteint un niveau de popularité monstre.
Grâce à des succès populaires, tel que « Ma Dope » ou « On Verra », il est devenu la coqueluche des médias. Beau, intelligent, amateur de lettres et sympathique il représente le gendre idéal pour le grand public (au point que Monsieur Moix le trouve trop lisse. On le retrouve aujourd’hui à partager l’affiche avec Catherine Deneuve, signer la BO de Five ou de Creed. Depuis la sortie de la réédition de Feu en décembre 2015, Nekfeu n’a pas livré un seul morceau solo, il s’est contenté de collaborations (y compris avec son groupe le S-Crew, qui ont connu un énorme succès avec des morceaux très grand public).
Tous ces projets n’étaient qu’une transition avant de répondre à la vraie interrogation du public : le prochain projet solo de Nekfeu. Comment réussir le tour de force de ne pas décevoir un public qui s’est considérablement élargit ? Comment faire face à une attente si énorme, concilier succès populaire et son ADN rap si fort, un temps masqué par d’énormes succès populaires ? Comment ne pas devoir se retirer comme a pu le faire Stromae après le succès de son dernier album ? Sa réponse, Cyborg.
Cyborg, un album sans single
Chaque producteur connaît le schéma traditionnel de sortie d’album. On choisit une direction artistique que l’on va présenter au public en lançant des signaux. Le choix de ces signaux est primordial, il va offrir une couleur au projet (qui peut être très différente du résultat final). Mais ces signaux sont scrutés par tous, pas seulement la fanbase de l’artiste, il faut réussir à plaire à tout le monde. Ce monde, avec la popularité de Nekfeu, est extrêmement divers. Il est presque impossible de tous les accorder sur un seul signal (quel titre pourrait à la fois contenter les fans de la première heure, qui parle constamment du Nekfeu à l’ancienne, et les derniers arrivants l’ayant croisé en Festival). Revenir avec un single rap, alors que tout le monde vous regarde, est risqué (c’est pas pour rien que la punchline « Hey barbie, viens pas danser si tu veux pas cer-su un blanc » est cachée sur une mixtape de Gradur et pas sur un album de Nek). La solution : zapper les signaux, zapper la promo, zapper l’avis du grand public et livrer sa came directement.
Une livraison par Nekfeu et ses potes, vaut toutes les promos médias du moment. Le décor : un Bercy plein à craquer. Le produit : un album inédit de 14 titres, disponible en streaming et en téléchargement au même moment. Le moyen : une annonce pendant le concert diffusé en live sur Facebook. Le résultat : 42 391 ventes en première semaine, sans physique, un exploit ! Nique les codes, Nekfeu a laissé parler sa musique, le tout avec la hype que peut provoquer une telle surprise. Un a priori positif, accentué par l’envie d’en être et sublimé par un album solide qui finalement de mainstrem n’en a que le succès.
Finalement, livré face à soi-même, on écoute les confidences de l’artiste (qui parle sans complexe de son psy), se fiant qu’à son ressenti loin des vues YouTube, des Top commentaires, des interviews totalement superficiels à heures de grande écoute. Un album de rap de vie, presque de rap conscient, dans lequel Nekfeu n’hésite pas à livrer ses propres combats et à faire danser son public sur « Dans la mère à Sarko, dans la mère à Netanyahu ». La popularité médiatique lui a permis de se passer de ces mêmes médias. « Et si tu kiffes pas renoi t’écoutes pas et puis c’est tout. »
Sur une idée originale d’Amad.