Autopsie d’un échec et les raisons d’y croire encore.
23 février 2009, une nouvelle ère plane sur le rap français, La Fouine sort son dernier opus « Mes Repères ». Après le succès de « Aller-Retour », tous les voyants sont au vert pour le rappeur. Cet album signe aussi une nouvelle étape dans la carrière de La Fouine qui a négocié un virage artistique avec une musique plus ouverte, sans renier ses origines street. Résultat, une avalanche de tubes martelés en radio et à tous les feux rouges : « Du Ferme », « Ça fait mal » ou encore « Hamdoulah Ça Va ». Personnage sympathique et apprécié, rien ne semble pouvoir stopper son ascension. 7 ans plus tard, La Fouine vient de sortir son 8ème album : « Nouveau Monde », mais l’enfant béni de Trappes vient de s’éclater dans les charts avec 5 000 ventes en première semaine. En 7 ans beaucoup d’eau a coulé sous les ponts pour l’auteur-compositeur-interprète-chroniqueur-acteur, entre clashs et incohérences.
La Fouine aurait dû être Soprano
Même si certains puristes vont voir leur poil s’hérisser, le parcours de Soprano est proche de la perfection. Après des années de carrière avec les Psy4 De La Rime, il a réussi à prendre un tournant mainstream et si sa musique peut diviser, l’image qu’il renvoie aux médias pour la « sous-culture » dont il est issu est exemplaire. Que ce soit chez Ruquier, Les Enfoirés ou chez Hanouna, il offre un visage souriant des jeunes de banlieues (on oublierait presque qu’il a 37 ans) sans pour autant jouer le « de service ». C’est tant pour sa musique que pour sa gentillesse que Soprano en est arrivé à cette place, qui aurait pu revenir à La Fouine.
Musicalement La Fouine a une réelle voix, un certain amour pour les guitares et aborde des thèmes grand public : l’envie de réussir, l’amour et la famille. Difficile de trouver un seul son de « Mes Repères » qui n’aurait pas l’approbation de toute la famille. Au-delà de sa musique, qui a comme tout le monde pris un coup de vieux après la tornade Wati B (qui elle plait moins aux médias généralistes, car moins « chanson française »), c’est le personnage La Fouine qui plait. Son premier passage chez Laurent Ruquier est une leçon de communication, malgré quelques clichés il a tout pour plaire à la ménagère : répartie, quelques références classiques à des artistes de la chanson française… La Fouine avait l’image du gendre idéal, un peu exotique, qui racontera des blagues à beau-papa et sortira la guitare le soir de Noël. Et là, y’a eu les clashs.
« Emile tu es vaincu… »
2 novembre 2012 sortait le banger « Paname Boss », la crème du rap parisien réunie sur un titre pour un festival d’égo-trip. Tout se passe comme prévu, comme dirait l’autre, mais une phrase fait scandale : « J’entends ce clash sur toi partout sur les ondes / Mais comme un appel à la mosquée : tu peux pas répondre ». Une pique à peine déguisée contre Booba, en pleine guerre avec Rohff, qui ne tardera pas à répondre, dans une auto-interview, « La Fouine ne doit pas oublier qu’il vient d’un concours Skyrock ». La Fouine rentre directement dans le clash avec une vidéo classique de 20 minutes et un magistral « Autopsie 5 ». Pourtant, contrairement à Rohff, son clash avec Booba est un non-sens. Si les fans de Rohff et de Booba n’ont jamais pu s’entendre et sont très différents, ceux de La Fouine sont pour beaucoup aussi fans de Booba. Or Booba a plus peur de La Fouine que de Rohff, car il reconnait le potentiel commercial de ce dernier : « La Fouine, je n’aime pas ce qu’il fait mais il est cent fois plus fort que Rohff. D’ailleurs, il suffit de regarder les chiffres pour s’en apercevoir. Les deux sont mauvais mais parfois La Fouine a de l’esprit, il a des punchlines. »
Si La Fouine, en jouant sur l’humour, a réussi à maitriser le début du clash, l’histoire du « casier judiciaire » a fortement terni son image. La fanbase de Booba est plus ancienne que celle de La Fouine, le public de La Fouine n’était pas suffisamment armé face aux ratpis du DUC (alors que les supporters de Rohff sont restés déterminés très longtemps). Mais l’erreur de La Fouine est surtout d’être parti dans la violence des clashs, en totale incohérence avec son public et sa musique ! Tous les médias se sont mis à parler de la violence des rappeurs et de leurs clashs, comment les parents pouvaient laisser leurs enfants aller aux concerts dans ces conditions ? Si Booba pouvait se permettre de s’acharner sur La Fouine, lui n’avait pas d’intérêt à s’enfoncer trop longtemps dans cette escalade de violence. Cette violence, en inadéquation avec son penchant 7 à 77 ans, est l’autre problème de La Fouine : il conserve l’aspect street et celui grand public de façon presque bipolaire.
Double discours ou double audition ?
Les clashs ont certes fait mal à La Fouine, mais ce n’est qu’une passade. Il avait largement les ressources nécessaires pour les surmonter, ce qui explique l’échec de « Nouveau Monde » c’est probablement son incapacité à choisir entre un côté street et mainstream. Ce qui pouvait passer pour une ouverture d’esprit au début est devenu un handicap majeur. À partir de « La Fouine VS Laouni », il a voulu s’adresser à tout le monde en réunissant les deux facettes. Une recette qui a marché une première fois (en partie car l’album a bénéficié de l’impact de « Mes Repères ») mais qu’il a poussé à l’excès. Sa sympathie est progressivement passée pour de l’hypocrisie, notamment dans l’épisode où il demande à ses potes de taper un mec en plein festival, pour ensuite se plaindre que le quartier le poursuit.
Après les clashs, il s’est jeté dans son côté « Laouni » comme il se plaît à dire, avec Team BS et des apparitions en télé. Il sera même recruté comme jury de Pop Star puis comme chroniqueur dans l’émission la plus populaire du poste : TPMP . Une sortie honorable après les clashs ? Que nenni, il décide de claquer la porte qu’il vient d’entrouvrir en enchainant sur un CDC4 dont il annonce la couleur dès (la très bonne) intro : « Ça fait du bien, CDC j’vais enfin pouvoir traiter leur mère / Bouche bien les oreilles de ta fille, j’t’ai dit ça c’est pas du Team BS ». Une bipolarité totale qui perd son public et qui s’est invitée jusqu’à son dernier album. Comment peut-on concrètement passer de « Sans ta voix » à « Argent Sale » sans se poser de question ?
La Fouine a raté le coche, il aurait dû aujourd’hui être le visage du rap français pour le grand public. Lorsque l’on compare sa prestation à ONPC d’aujourd’hui à la précédente, on ne peut que constater le gâchis. Tiraillé entre la street et le star-système, il veut plaire à tout le monde pour ne finalement plus plaire à personne. Mais attention à ne pas l’enterrer trop vite. En touchant le fond aujourd’hui il peut enfin rebondir et Laouni a beaucoup de ressources. Demain il devrait partir sur une musique à mi-chemin entre le rap et la chanson française. Sa sympathie et sa maitrise de la communication lui ont permis de se hisser jusqu’à la télévision et aux salles de cinéma. Finalement il possède peut-être la plus grosse exposition du rap français, qu’il en profite, il n’a plus rien à prouver dans le rap dur ! En prenant défintivement ce virage mainstream, il pourra atteindre un nouveau public, loin de celui qui aura connu les clashs ou lu cet article. À ce moment qui pourra le stopper ?