De retour en Afrique, l’ancien espoir du rap français relève un challenge de taille…
Originaire d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, Franck Kacou quitte son pays natal pour le Kenya à la veille du coup d’état de 1999. Passionné de musique, il s’était épris du rap en 1994 en découvrant le premier album de Notorious B.I.G, Ready To Die. Au début des années 2000, il fera ses armes au sein du groupe The Franchise avant de plier bagages à nouveau, direction Bordeaux. Il y étudiera jusqu’à l’obtention de son master en finance internationale, sans jamais abandonner ses ambitions artistiques malgré l’opposition de sa famille. Baigné par les rythmes d’outre-Atlantique depuis sa jeunesse, il dévoile en 2009 une reprise de Tha Carter III de Lil Wayne en guise de premier véritable projet.
Celui qui commence déjà à se faire connaitre comme le plus américain des rappeurs français ira jusqu’à sortir en 2010 une mixtape entièrement enregistrée en anglais, Yes I Kent, incluant une collaboration avec Bishop Lamont. Entre les hauts et les bas d’une carrière mouvementée, Franck Kacou se voit offrir en 2016 un poste de directeur artistique au sein d’Universal Music Africa. Début 2020, il devient Administrateur Général de la major en charge de l’Afrique de l’Ouest. Une opportunité qui lui permettra de renouer avec la passion de sa jeunesse et d’initier le lancement du légendaire label Def Jam en Afrique francophone…
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Un avènement des scènes rap africaines ?
En Afrique, les activités d’Universal sont divisées en trois grands groupes de territoires : les pays anglophones, avec un siège en Afrique du Sud, les pays francophones, avec un siège à Abidjan et pilotés depuis Paris, et les pays d’Afrique du Nord, rattachés à la zone MENA (Middle East and North Africa) avec un siège à Dubaï et, depuis peu, des bureaux au Maroc. En mai 2020, Universal annonce le lancement, en Afrique subsaharienne, de Def Jam Africa. Un événement lourd de sens pour la scène rap locale, dans la mesure où la marque Def Jam a activement participé au développement commercial du genre aux États-Unis des années 1980, notamment au travers des succès de LL Cool J et des Beastie Boys. Franck Kacou confie : « Quand j’ai été nommé à la tête d’Universal Music en Afrique francophone, ça a été l’une de mes premières volontés d’y installer cette marque forte de l’histoire du hip-hop. Quand j’ai fait la demande en février, on m’a informé que le projet était déjà dans les tuyaux à l’échelle du continent ! C’est un très beau concours de circonstances, qui nous permettra notamment de travailler ensemble sur certaines sorties. Dans les faits, on est sous une coupelle globale, Def Jam Africa, qui regroupe une branche francophone et une branche anglophobe. On a des signatures et des fonctionnements qui sont indépendants, tout en gardant un objectif commun. »
Trois pays, trois artistes
Dès sa création, la branche francophone du nouveau poids lourd de l’urbain en Afrique annonce trois signatures : Suspect 95, Omzo Dollar et Tenor. « Ce sont des artistes qui ont l’ADN, tout simplement » confie Franck Kacou. « Tenor, c’est un rappeur instinctif comme on en fait rarement et qui est très à propos de la culture. Suspect, c’est un chirurgien. Techniquement et en termes de plume, il a vite su se démarquer. Omzo Dollar vient du Sénégal, la terre du hip-hop en Afrique francophone. Le wolof est une langue très musicale, et ceux qui le comprennent se rendent compte qu’il a une écriture très à part y compris dans le paysage local. » En Afrique francophone, Def Jam n’opère que dans trois pays : Côte d’Ivoire, Cameroun et Sénégal, symbolisés par ces trois premières signatures. Franck Kacou commente : « On le fait étape par étape, on a besoin d’équipes actives dans les territoires sur lesquels on a des projets aussi porteurs. Chaque pays d’Afrique francophone a sa mentalité, ses moeurs et ses stars. Il est difficile de promouvoir un rappeur Burkinabé depuis Abidjan sans avoir pleinement le contexte ! L’objectif final reste de s’implanter dans chacun de ces pays, d’aller de manière croissante vers des ouvertures de bureaux en Afrique. »
Des marchés prêts à accueillir l’explosion du streaming
Ce développement du maillage territorial de Def Jam Africa, Franck Kacou l’envisage à l’aune du développement d’un marché local du streaming et de la musique enregistrée. Pour l’ancienne gloire du rap français reconvertie dans la production, il n’est pas question de travailler ses artistes avec en seule perspective le marché français : « Notre objectif est de créer un marché local et que les artistes, localement, soient autosuffisants. Avec l’avènement du streaming, l’idée est même que nos marchés deviennent une opportunité pour les artistes français. Je n’ai pas envie de développer un marché dépendant d’un marché extérieur, on veut miser sur les richesses démographiques locales. Pour autant, si certains de nos artistes ont du succès à l’étranger, ce sera la preuve qu’on arrive à exporter nos musiques et nos talents qui en ont le potentiel. Mais ça ne doit pas être un fin en soi ou le seul symbole de réussite pour eux. » Pour atteindre cet objectif, l’Administrateur Général de la major sur les territoires francophones mise sur de nouveaux modèles, des structures de marché adaptées à une réalité très différente de celle des pays occidentaux. Entre temps, c’est le spectacle vivant, concerts et festivals, ainsi que les partenariats avec des marques qui demeurent les principales sources de revenus des professionnels de la musique. Une réalité déjà bien différente de celle du marché français confronté à la crise du disque jusqu’à la seconde moitié des années 2010, avec notamment des rapports beaucoup plus fusionnels entre artistes et marques. Des grandes enseignes internationales n’hésitent pas à faire de têtes d’affiches locales, y compris de rappeurs, leurs ambassadeurs auprès de la population.
« Nous sommes la culture ! »
En effet, et c’est une différence de taille avec la France, le rap n’a pas mauvaise publicité sur le continent africain. En se croisant avec des registres nationaux comme le coupé-décalé porté par feu DJ Arafat en Côte d’Ivoire, n’a pas tardé à gagner en popularité à tous les niveaux de la société. « C’est l’une des raisons qui m’a motivé à créer cette plateforme, le rap est totalement ancré dans les moeurs aujourd’hui. Les parents n’ont pas peur de laisser leurs enfants voir un concert de rap. Le genre a su inspirer d’autres styles, les artistes ont une vision et des discours plus adaptés au grand public. Le genre urbain ici a réussi à se démarquer, les gamins sont fiers de dire qu’ils n’écoutent que du local et ça ne pose de problèmes à personne. Aujourd’hui, si tu vas en club, tu devras regarder ta montre avant d’entendre des musiques qui viennent d’autre part que de chez nous ! » Pour souligner cette nouvelle place du rap et des musiques urbaines sur les scènes locales, Franck Kacou et Def Jam Africa adoptent le slogan « Nous sommes la culture ». Une manière de revendiquer ce brassage culturel qui commence à rayonner à l’international : « Ce que je veux chez Universal Music Africa et Def Jam Africa, c’est que les chefs de projets, les directeurs artistiques, les artistes et moi mêmes sentions qu’on porte un fardeau qui va au-delà des préoccupations au jour le jour. »