De Damso à Roméo Elvis en passant par Caballero & JeanJass, focus sur la scène rap belge en 2017.
À part quelques excursions fulgurantes, nos voisins Wallons ont souvent été boudés par la scène rap française. Au début des années 2010’s, quelques groupes évoluant dans le même créneau que L’Entourage et consorts font une percée timide dans la capitale française. A l’époque, les noms de Caballero, La Smala ou encore L’or du commun résonnent aux côtés de ceux comme Nekfeu, Alpha Wann et Lomepal. Cette vague du revival boom-bap se forgera un public solide et acquis à sa cause, s’appuyant sur une technique accrue et un respect des anciens prononcé. Cependant, aucun succès commercial n’est à signaler pendant cette période. L’exercice du freestyle et de l’egotrip prenant le pas sur la construction de morceaux et la création de longs formats.
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Il faudra attendre le mois de mai 2015 et la sortie de « H24 » de Hamza pour que le buzz belge se remette en place. Faisant suite à « Gotham City Vol.1 » avec le Kilogrammes Gang puis « Recto Verso » en solo, « H24 », considéré par beaucoup comme son premier projet, pose les bases d’une trap mélodique, bourrée de gimmicks, mais surtout emplie de spontanéité. À la fin de cette même année, Booba sort « Nero Nemesis », album sur lequel Damso fait une apparition remarquée grâce à son couplet sur le morceau « Pinocchio ». Caballero & JeanJass concrétisent la mise en place de leur duo avec « Double Hélice » en avril 2016 quand Shay accumule les millions de vues sur YouTube avec son album « Jolie Garce ». La Belgique prend d’assaut le rap français et le terme de « rap francophone » fait son apparition.
Les têtes d’affiche
Avec la sortie d’« Ipséité », son deuxième album, Damso s’est affirmé comme le fer de lance de cette génération du rap belge. Maintenant disque de platine, son album continue de battre de nombreux records dont celui du nombre de streams en 1 mois. Le rappeur/producteur a usé d’une stratégie peu commune pour la promotion de son album. En effet, en l’espace d’une journée, il a dévoilé non seulement son album mais également deux clips, « J Respect R » et « Nwaar Is The New Black ». Seulement deux visuels, sans les annoncer au préalable, laissant son public au dépourvu. Le leak quelques temps après de « J’suis dans l’tieks » questionne un peu plus sur la volonté du rappeur à faire fuiter ses morceaux lui-même, une nouvelle stratégie promo ?
Damso s’est affirmé comme le fer de lance de cette génération du rap belge.
Paradoxalement, alors qu’il enclenchait la machine deux ans plus tôt, Hamza est un de ceux qui s’est fait le plus rare en 2017. Son dernier projet arrivait pour les fêtes de noël, le bien nommé « Santa Sauce ». En parallèle, il proposait un titre inédit pour la Villa Schweppes intitulé « Projets ». Depuis, le jeune H se fait discret lorsqu’il s’agit de poser en solo. On remarque par contre qu’il s’affiche dans plusieurs featuring cette année, et pas des moindres. Le premier aux côtés de ses compatriotes Caballero et Isha pour le très efficace « Coloris » en début d’année. Plus récemment, on le retrouve sur le nouvel album de Disiz sur le titre « Marquises », un titre aux accents caribéens auxquels il nous avait habitué depuis son EP « New Casanova ».
Du côté de Caballero & JeanJass, ils font suite au premier volet de leur collaboration en sortant « Double Hélice 2 » il y a quelques semaines. Ce puissant buddy album, dans la lignée du premier, a été mis en images à quatre reprises, la plus récente étant avec la sortie de leur clip « TMTC ». En bons entrepreneurs, ils montent en début d’année le Studio Planet, en plein coeur de Bruxelles, qui deviendra leur atelier de création au sein de la web-série « High & Fines Herbes » démarrée au mois d’avril 2017 sur YouTube. Dans ces épisodes, ils explorent les effets de l’hydroponie via différents modes de consommation, fidèles à leurs personnages et à leur mode de vie.
Un projet à la frontière des genres, ni trop moderne, ni trop daté
L’auteur du bien nommé « Bruxelles arrive » continue sa percée en terre française. Accompagné de son producteur Le Motel, Roméo Elvis sort le deuxième volume de sa série « Morale » au cours du mois de mars. Un projet à la frontière des genres, ni trop moderne, ni trop daté, qui confirme les ambitions du natif de Uccle. Plus récemment, il sort le clip de « Agora », un titre egotrip dans lequel il simule la montée en puissance d’un de ses concerts. Pas de grands mouvements de caméra, pas de cut multiples, les plans sont droits et esthétiques, et l’univers est singulier. Un bon moyen de faire continuer à vivre son projet alors qu’il s’apprête à démarrer sa tournée en Belgique.
L’or du commun a fait ses classes à l’heure du grand retour du boom bap au début des années 2010. À coups de multisyllabiques, le groupe s’est forgé une réputation solide grâce à 3 projets dont le dernier en date, « Zeppelin », sortait au mois de mai 2017. Un projet 9 titres sur lequel ils s’affranchissent des étiquettes qu’on aimait leur coller, notamment grâce à des morceaux plus actuels, parfois teintés de funk, parfois plus spatiaux, aériens. Le seul featuring est logiquement crédité au nom de Roméo Elvis qui vient donner de la force à ceux qui lui en ont apporté. Après le clip de « Léon », c’est celui de « 1000 » qu’ils dévoilent à la fin du mois de mai, un visuel ensoleillé mêlé à des paroles introspectives pour un titre bien représentatif du projet.
Pour autant, le morceau est une franche réussite et démontre l’ouverture significative dont les 6 membres du groupe peuvent faire preuve.
Le mois de mai a aussi été un moment clef pour La Smala. Avec le clip de « On avance seul », ils prennent leur public à contre pied, jouant sur des sonorités plus actuelles et une utilisation de l’autotune surprenante venant de leur part. Pour autant, le morceau est une franche réussite et démontre l’ouverture significative dont les 6 membres du groupe peuvent faire preuve. En parallèle, Senamo s’émancipe du groupe en proposant « Rose & Bleu » puis « Laissez-moi », ses deux derniers clips, eux aussi dans une esthétique plus actuelle et marquant le début d’une série de titres en solo. Ces deux morceaux phares sont le reflet d’un cap artistique qui, à défaut de réunir leur public, témoigne d’une évolution réfléchie et d’un regard tourné vers l’avenir.
La partie immergée de l’iceberg
S’il y en a un moins exposé sur lequel on miserait volontiers, c’est Krisy. Avec son EP « Paradis d’Amour » sorti le 14 février dernier, le Jeune Julio frappe un grand coup dans les coeurs, confirmant tout le bien que l’on pensait de lui depuis la sortie de « Menthe à l’eau », son premier EP. En plus de ses qualités de rappeurs, il officie également sous le aka De la Fuentes, qui n’est autre que son nom lorsqu’il est derrière les machines. Producteur de « Paris c’est loin » et ingénieur du son pour le projet « Batterie Faible », il participe grandement à l’explosion de Damso au cours de l’année 2016. A l’instar de ce dernier, il est un nouvel exemple de la dextérité belge : des touche-à-tout qui préfèrent évoluer dans la débrouillardise plutôt que d’attendre les bras croisés.
ingénieur du son pour le projet « Batterie Faible », il participe grandement à l’explosion de Damso au cours de l’année 2016
Slim Lessio est le dernier arrivé mais sûrement pas le moins intéressant. Repéré par Street Fabolous et DJ Kore, le jeune poulain des écuries Trez Records et A.W.A prouve un peu plus ses qualités à chaque nouveau clip, « Des Miens » étant le dernier exemple. Il crée petit à petit son identité sonore grâce à des productions très efficaces de Ponko et des ambiances qui rappellent étrangement Atlanta. Sa gestuelle maitrisée se marie avec ses flows innovants et une utilisation de l’autotune au service de sa voix. Avec ce cocktail coloré, difficile de ne pas mettre une pièce sur Slim Lessio pour la suite.
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Isha, ou celui que l’on a pas vu venir. Anciennement Psmaker, le belge revient fin avril 2017 avec « La vie augmente » faisant suite près de 10 ans plus tard à son premier projet « Vas-y chante ». Avec un style très américain, rêvant de frigo US et de baskets de tous les coloris, il amène au rap belge son phrasé de la rue avec une sorte de sagesse qui force le respect. Il distille ses clips petit à petit, le dernier en date étant « S.O.A.B », une abréviation américaine qu’il utilise de manière imagée pour battre sa concurrence, on vous laisse faire vos recherches…
Analyse du phénomène
Avec ce tour d’horizon des rappeurs belges qui commencent à émerger, on est en droit de se poser deux questions : Pourquoi le rap belge marche-t-il plus aujourd’hui qu’autrefois ? Et qu’on-t-ils de plus ou de différent par rapport aux rappeurs français ?
La première réponse que l’on peut apporter justifie aussi bien leur émergence soudaine que leur absence pendant de nombreuses années. La situation géographique fait que plus de 250km séparent Bruxelles de Paris. Si Marseille a su tirer son épingle du jeu dès l’arrivée du rap en France, c’est parce que la ville a pu compter sur des grosses têtes comme IAM. À l’inverse, Bruxelles et la Belgique n’ont pas eu d’atouts assez puissants pour s’importer en France (Starflam et Benny B, on vous voit) à cette époque là. C’est donc avec l’avènement d’internet et l’ère de la communication direct-to-fan que les premières véritables percées belges ont pu voir le jour.
il ne manque plus que le talent pour transformer l’essai
Il faut également préciser que pendant de nombreuses années, le rap français se regardait le nombril et peinait à lever la tête lorsqu’il s’agissait d’aller jeter une oreille plus loin que sa capitale. Au sortir des années 2000, dirigées par un rap estampillé de rue, la génération de L’Entourage ramène un vent frais sur le rap français en revendiquant des valeurs plus hip hop. Sans rentrer dans la démagogie, ils participent au partage et à l’ouverture de cette culture et c’est très naturellement que de nombreux artistes belges se retrouvent dans leur démarche et commencent à déferler sur la capitale.
Maintenant que la France a ouvert son champ de vision, il ne manque plus que le talent pour transformer l’essai. Bien que ce ne soit pas propre à la Belgique en particulier, la double casquette de producteur et rappeur est ce qui caractérise les artistes sortis du lot ces derniers temps. On peut l’attribuer à Damso, Hamza, JeanJass ou encore Krisy, parmi ceux que l’on a cité précédemment. À cela s’ajoute les qualités d’ingénieurs du son de certains, leur permettant de maîtriser l’ensemble des étapes de production de leur musique. Ces couteaux suisse ont donc une vision d’ensemble de leur produit artistique ce qui leur permet de tenter davantage de choses et de livrer des projets cohérents et singuliers.
La singularité est également une des réponses à apporter à l’interrogation. La situation géographique faisant autant office de frein que de passoire, chacun des rappeurs qui réussit à s’importer en France le doit souvent à son originalité et sa singularité. Que ce soit la trap mélodique et décomplexée de Hamza, les lyrics et le sens de la formule de Damso, ou la technique et l’américanité de Caballero & JeanJass. Les univers sont tous authentiques et cela ne trompe pas. Le mélange des genres n’est plus un problème, l’autotune et le chant sont monnaie courante, tous les feux sont au vert et les frontières explosent.
Les rappeurs de demain
Impossible d’être exhaustif lorsqu’il s’agit de référencer les rappeurs belges du moment et de demain. Si plusieurs d’entre eux ont maintenant un statut reconnu, certains jeunes rappeurs commencent eux à émerger. C’est le cas de Lord Gasmique du collectif Bruksel’r, dernièrement à l’affiche de la série de freestyle Grünt qui faisait la part belle aux rappeurs belges de Bruxelles et d’ailleurs. Également dans le viseur, le jeune groupe 9ZERO qui sortait récemment la deuxième partie de leur série de morceaux « 90° ». On peut aussi citer Nixon qui dévoilait il y a quelques semaines le clip de « Demain » produit par Ponko. Vous l’aurez compris, comme en France, ce ne sont pas les bons rappeurs qui manquent au sein du plat pays, encore faut-il y prêter attention. On ne peut que vous conseiller d’aller y jeter un oeil, ou une oreille…