Retour sur une ascension fulgurante : celle du label numéro 1 sur le streetwear en France.
Marque emblématique de ces dernières années, Tealer est née au coeur de la Capitale et devient aujourd’hui la première marque de streetwear français à être distribuée aux Etats-Unis. Une success story incomparable, que Booska-P a cherché à comprendre en partant à la rencontre d’Alex et Jeff, fondateurs de la célèbre enseigne.
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Un concept jamais vu dans l’hexagone
Fondée en 2012 par Jeff et Alex, deux amis de longue date, la désormais célèbre enseigne est née au coeur du Sentier, dans le 2ème arrondissement de Paris. Le concept est alors simple et inédit : vendre des T-shirts et goodies pour les fumeurs à la manière des dealers avec l’herbe. Au départ, Jeff se déplaçait à vélo pour aller livrer les produits : « Ce côté dealer de t-shirts c’était un peu ce délire de consommable où tu rachètes ta dose pour être à la mode. Au tout début de Tealer, pour un coup de com’, on avait distribué des T-shirts dans la rue, c’était notre première opération et on avait fait des prints qui s’effaçaient au lavage. C’était offert et si tu kiffais le T-shirt, t’étais obligé de revenir en imprimer un autre. C’était vraiment dans cet esprit de consommation quoi. On a passé notre première année à donner 20% de tout ce qu’on fabriquait. C’est un vrai travail de fond. »
Les deux amis décident ensuite d’ouvrir leur première boutique parisienne dans la foulée. Au début, la marque était donc principalement portée par des lycéens et des adolescents, avant de toucher un panel de clients beaucoup plus large. D’ailleurs, à cette époque, les créateurs voyaient leur réussite comme une sorte de buzz éphémère, qui passerait avec le temps. Pourtant, aujourd’hui, Tealer est devenue la marque numéro 1 sur le streetwear en France, et peut bénéficier d’une popularité grandissante. Quand on demande à ses fondateurs comment ont-ils vécu cette ascension en interne, la réponse est significative de la montée en puissance du label :
« On n’était pas prêts à un tel succès au début, il faut apprendre à se structurer et à faire les bons choix. C’est ce qu’on a fait assez rapidement. Du coup on avait les épaules pour assurer le taff qui nous est tombé dessus, on a vite mis une équipe en place pour assumer la charge de travail. » Le site en ligne est ensuite apparu en 2013, soit un an après la création du label, et la demande n’a fait que grandir. Jeff explique : « Quand on a lancé le site en ligne, les premiers jours on avait déjà des centaines de commandes. On n’était pas prêts à imprimer toutes ces commandes, comme on fait tout à l’unité avec qu’une seule machine. Moi j’étais à la machine et Alex s’est empressé d’aller à droite à gauche pour acheter une deuxième machine ».
Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de fumer toute la journée
Il y a tout de même un moment où l’on se demande si l’association de la marque avec les fumeurs de weed ne peut pas la ralentir. En effet, depuis ses débuts, Tealer attache un goût tout particulier aux accessoires pour fumeurs et autres références, comme les t-shirts vendus initialement dans des pochons. Même si l’enseigne ne déplore aucune répression par rapport à ça, la direction artistique a dû changer pour s’ouvrir à des produits plus qualitatifs et spécialisés : « On a vachement évolué de la weedwear au streetwear, même si on garde cet ADN dans la marque. On oublie pas d’où on vient mais on regarde vers l’avant. C’est plus notre cheval de bataille, on veut être considérés comme une vraie marque de streetwear. Ca évolue aussi avec le fait que la marque a 6 ans, à cette époque on était enfumés toute la journée… On avait moins de responsabilités, on pouvait se permettre de fumer toute la journée. Aujourd’hui physiquement c’est pas possible, et puis même tu vas pas t’adresser à ton équipe complétement déchiré et demander des comptes à lui ou à lui…«
Tealer : une marque en perpetuelle évolution
Le site en ligne est aujourd’hui bien installé et les collections affluent sans difficulté. La marque n’a pourtant pas toujours été préparée à une telle demande, et a du renforcer ses équipements afin de pouvoir satisfaire une clientèle française toujours en demande. Parce que Tealer s’étend désormais sur tout l’hexagone et ne se limite plus qu’à une clientèle de proximité : « On est équipés maintenant, mais on continue toujours d’acheter de nouvelles machines pour être à la pointe des dernières technologies sur l’impression. Ce sont d’autres défis qui s’ouvrent, avant on faisait tout nous-mêmes, sur notre petit stand, aujourd’hui on passe par des agences qui s’occupent de pleins de choses pour nous« .
Attachés à leurs fonctions au sein de Tealer, les deux patrons ne sont à l’heure actuelle pas encore prêts à déléguer, même s’ils sont bien obligés de faire des concessions. Garder l’ADN de la marque et son âme du début n’est pas toujours simple quand on laisse les rênes à de nouvelles personnes, et les deux amis le savent bien : « On est tellement accrochés à notre esprit de marque et à notre façon de faire les choses que c’est difficile de déléguer. On a demandé aux agences (de presse, de communication, ndlr) de grandir dans l’image, d’avoir des matériaux nobles, et des choses qu’on savait pas faire tous seuls en fait. Donc là on commence à déléguer un petit peu plus notre travail, pour nous se concentrer sur la partie produit et commercial et avancer plus vite. Sinon tout faire en interne ça demande trop de métier, et gérer un panel de 15/20 métiers différents ça commence à être difficile« .
Très à cheval sur cette idée de fonctionner entre potes, l’équipe s’est initialement composée de cinq personnes, tous proches des deux patrons, avant de s’ouvrir à de nouvelles recrues, pour arriver à une quinzaine d’employés. Un chiffre qui continue d’évoluer, d’autant plus maintenant que Jeff et Alex savent ce dont ils ont besoin : « Si on venait nous voir au début, on savait pas vraiment de quoi on avait besoin c’était ‘vas-y viens, on verra le taff dont on a besoin’. Aujourd’hui, c’est un peu plus carré, on sait les métiers qu’il nous faut. On a des responsables de production, des responsables web, toutes sortes de professions.« La proximité et la réactivité restent également des points primordiaux pour Tealer, malgré le fait que la marque continue de s’élargir et de s’ouvrir à de nouveaux horizons : « Même si on grossit, on essaie de garder cette même réactivité du début et je pense que c’est important, on perd pas ça de vue et c’est ce qui fait qu’on parle beaucoup aux gens. »
Pour l’instant, rester dans Paris reste donc une priorité, et cela est dû au fait qu’ils ne peuvent se permettre de confier l’image de la marque à quelqu’un n’étant pas assez imprégné par Tealer. Explications d’Alex : « On n’est pas prêts à ouvrir partout en France parce que, d’une part, ça nous demande encore plus d’organisation. D’autre part, il faudrait encore plus de gens et on a du mal à s’imaginer d’avoir des personnes capables de nous représenter dans différentes boutiques, autres que les gens qu’on a formé ici sur place, qui ont le vrai esprit de ce qu’on fait. » Des boutiques éphémères ont pourtant vu le jour en Europe, notamment à Londres.
Initialement ouvert pour trois mois, le pop-up s’est finalement prolongé pour une durée de 9 mois, et était évidemment tenu par un membre de l’équipe envoyé sur place. Une façon de faire singulière, qui s’explique par la passion : « On a une manière de fonctionner assez particulière, c’est beaucoup au jour le jour. On fait des réunions parfois deux, trois fois par jour ou peut-être on va changer d’avis sur ce qu’on avait dit juste avant. C’est vraiment viscéral. On sait où on veut aller, mais de quelle manière… Ca change tous les jours. (rires) »
On enchaîne pas mal de collaborations importantes cette année avec des marques internationales
En ce qui concerne les collaborations, la marque est très sélective et ne se force jamais : « Il faut qu’il y ait une histoire simple et claire derrière la collaboration, et qu’on soit en accord avec l’image que renvoie la marque avec qui on collabore. Tous les artistes avec qui on a collaboré aujourd’hui, ce sont des gens qui nous correspondent, avec qui on s’entend. S’il y a du feeling on peut partir sur quelque chose. On veut pas s’embourber avec des gens qui sont là pour l’argent parce que les collab’ sont pas faites pour l’argent, mais pour l’image. On ne veut pas être la poule aux oeufs d’or pour certains… Rester cohérent, c’est primordial, sinon tu peux faire n’importe quoi et te perdre ».
Récemment, la marque a notamment collaboré avec G-Shock afin de sortir une montre imaginée par l’équipe de Tealer. Une collaboration inédite qui apporte donc un plus à l’enseigne française, elle qui ne fabrique pas de montres : « On enchaîne pas mal de collaborations importantes cette année avec des marques internationales. Pour G-Shock par exemple c’est un produit que l’on ne peut pas faire de notre côté, donc ça nous amène une valeur ajoutée. » Et pour ce qui est du monde du luxe, la marque se considère comme étant encore trop jeune pour pouvoir recevoir des propositions de grandes maisons, mais n’en reste pas moins ouvertes.
Un stand chez Citadium entre Nike SB et FILA
La renommée de Tealer se fait également grâce au rapport qualité/prix de ses produits. Une qualité qu’ils considèrent comme essentielle : « Faire des bons produits, c’est la base de tout. On fabrique aujourd’hui dans plusieurs usines. On a commencé en France avec les T-shirts, après on a eu besoin d’évoluer on est partis sur le Portugal. Il y a des limites de produits donc ensuite on est allés ailleurs comme en Turquie, en Inde ou en Chine pour les goodies. On perd beaucoup de temps à chercher toujours une qualité supérieure, on aurait pu choisir de prendre des raccourcis mais on l’a pas fait car on est toujours à cheval sur la qualité. »
Des usines triées sur le volet et un paiement toujours immédiat, qui demande à la marque de posséder assez de ressources pour pouvoir avancer la marchandise avant qu’elle ne soit vendue : « On a un système qui est différent des autres marques, qui font deux collections par an, en deux drops. Elles présentent leurs catalogues et font des pré-commandes pour livrer ensuite. Nous on dessine, on sait ce qu’on veut faire, on paye, on reçoit notre marchandise et après on la vend à ceux qui la veulent. C’est un système qui nous demande d’être solides et d’avoir de la trésorerie. »
On garde jamais rien, tout se vend
En terme de quantité, cela peut aller jusqu’à plusieurs milliers de pièces par mois, en gardant toujours des éditions limitées afin de conserver une certaine exclusivité et que l’on ne croise pas les mêmes hoodies à tous les coins de rue : « On a un rythme de sortie assez soutenu, donc si t’as loupé celui-là, bah t’auras peut-être l’autre. Sur un mois de juin par exemple, on lance à peu près 6 000 pièces de la collection, sachant que le print reste ce qui se vend le plus chez nous… Sur la collection, on n’est pas sur des productions énormes comme on peut l’être sur le print parce qu’on a cette volonté de garder le produit exclusif. Dans tous les cas, on garde jamais rien, tout se vend. »
Depuis trois semaines, Tealer possède son propre stand chez Citadium, célèbre boutique parisienne en charge de nombreuses marques telles que Stüssy, Nike, Vans, adidas, Puma et bien d’autres : « C’est une grosse responsabilité d’ouvrir un stand parce que ça demande vraiment une organisation et on ne peut pas faire ce qu’on veut. On avait peur par exemple de pas assurer ce travail de la bonne manière, en réalité c’est tout simple et ça nous fait grandir. C’est le premier corner qu’on a ouvert il y en aura sûrement d’autres. » Situé entre Nike SB, Carhatt et FILA, le stand est largement mis en avant par le distributeur, et a été tenu par Alex et Jeff sur les trois premiers jours de son ouverture. Une volonté pour eux, qui souhaitent vivre cette évolution fulgurante de l’intérieur. Côté clientèle, on retrouve principalement des asiatiques, intrigués par cette marque qu’ils ne connaissent pas. Le stand marche bien et les réassorts ont déjà été nombreux depuis son ouverture…
D’ailleurs, en ce qui concerne la clientèle, Tealer garde ses fidèles adeptes du début, en voyant tout de même une évolution grâce à leur élargissement de gammes : « Quand on a commencé, il y a 6 ans, on avait un public de 18-20 ans qui ont aujourd’hui 25-26 ans, qui ont des petits frères de 18 ans qui, eux, en ont de 15 ans… Du coup, on touche un panel de 15-30 ans assez large et on axe comme ça. On a du t-shirt print qui est plus fun et fait pour les jeunes, et après quand tu vieillis, tu prends des choses un peu plus sobres, un peu plus techniques. C’est le travail qu’on fait depuis plus d’un an aujourd’hui pour arriver d’ici une année sur une vraie gamme de produits complète. »
Tealer chez le plus gros distributeur mondial
En six années d’existence, Tealer connaît bien le réseau français, et sait dans quels secteurs elle peut s’épanouir pour trouver sa clientèle. Vendue dans un réseau d’une centaine de skateshops en France, il est temps pour elle de s’exporter à l’étranger, comme en Belgique, en Allemagne et même en Espagne. Ce n’est pas tout puisqu’il y a quelques semaines, la marque a également élargi son secteur d’activité jusqu’aux Etats-Unis, auprès du plus gros distributeur de streetwear mondial : Zumiez.
La chaîne s’étend sur toute la superficie des Etats-Unis, avec environ 600 boutiques réparties dans tout le pays. Tealer se retrouve donc vendue au milieu de tous les géants Américains. Pas facile de se faire sa place, surtout face à un public américain ayant déjà suffisamment de choix en terme de streetwear. Pour autant, Tealer ne semble pas y rencontrer de difficultés, bien au contraire : « Ca se passe bien, on est sur la deuxième commande là. Les ventes se passent très bien, et on s’est même dit ‘pour se faire accepter, on va faire des trucs un peu plus orientés américains’, on nous a répondu ‘non surtout pas continuez ce que vous faites, ça cartonne, gardez votre ADN, c’est ce qu’on recherche chez vous’. On a quand même le plus gros client mondial et on est les seuls en France en terme de streetwear. On est très fiers d’être arrivés à ce niveau là. » Tealer est donc passée d’une distribution dans 60 magasins au début, jusqu’à 120 aujourd’hui, allant jusqu’au Canada et comptant même s’exporter jusqu’à l’Australie.
Des ventes qui se déroulent pour le mieux, puisque Tealer fournit jusqu’à 15 000 pièces par commande à Zumiez, prouvant l’engouement certain qu’elle reçoit outre-Atlantique : « On parle toujours des autres marques en disant ‘les grands’, mais si on prend l’ensemble du streetwear français, on fait partie des grands aujourd’hui. Mais pour nous on est au début de ce qu’on doit faire et de nos ambitions. »
Et si, comme Jeff et Alex, vous souhaitez vivre la même success story, suivez donc leurs conseils :
« Il faut surtout croire en son projet, parce qu’au début avec Alex quand on a lancé Tealer, y’a pleins de gens qui nous ont dit ‘c’est super’ et d’autres ‘c’est n’importe quoi votre truc’, et le fait de pas lâcher l’affaire fait que le résultat est là. On nous a donné 1 000 raisons d’arrêter et de pas faire ce qu’on avait envie de faire et au final voilà, on est là. L’important c’est aussi les potes, quelqu’un qui est capable de te dire quand tu fais de la merde. Et faut pas hésiter à donner, on a passé notre première année à donner, 20% de tout ce qu’on fabriquait, c’est pas en restant dans ton coin avec ton stock de 100 t-shirts en espérant des ventes sur internet que ça va prendre, c’est un vrai travail de fond. Créer un groupe, un noyau dur, une ambiance, pour avoir un début de rayonnement en fait. »