A l’occasion de la sortie du film Burn Out, focus sur ces riders qui ont pris d’assaut le bitume…
Crédits photos : Antoine Duchamp
Le 3 janvier prochain sort Burn Out, thriller axé sur l’histoire d’un jeune motard impliqué malgré lui dans un trafic, forcé de faire des go-fast. Le film s’appuie sur les liens de plus en plus étroits qu’entretiennent les riders avec le quotidien de la rue. Une relation qui va dans les deux sens : la street culture a depuis longtemps adopté cette nouvelle tendance.
Le rendez-vous est pris dans la zone industrielle de Bonneuil, commune du Val-de-Marne. Si l’endroit est tranquille, presque désert, les membres du Dirty Riderz Crew arrivent peu à peu, chacun transporte plusieurs motos dans une camionnette. « C’est une histoire de goût, mais le plus fréquent, c’est le 125 YZ, Yamaha, c’est facile à entretenir en plus », précise Pack, leader du crew.
Unis par une même passion
A l’arrivée ils sont une quinzaine, et chacun commence à enfourcher sa bécane pour multiplier les figures : sans les mains, un genou sur la selle, et les innombrables roues arrière. Ici, entre deux usines et un entrepôt, ils ne dérangent personne et ne sont pas non plus dérangés par des passages de voiture. Même les « blessés » de l’équipe ont tenu à faire le déplacement : deux d’entre eux sont en béquille, un autre traîne un peu la patte, mais ça ne les empêchera pas de tâter du guidon comme tout le monde. Tous sont rassemblés par cette même passion et ont clairement des sourires de gosse comblés à chaque passage.
L’important, c’est le style !
« La base du truc, c’est placer un max de figures, souligne Pack. Les combos priment. Au début tu lâches les mains, puis tu vas plus loin, certains se mettent debout sur la selle. L’objectif c’est d’enchaîner les combos de manière naturelle. Le but, c’est que toi qui regardes tu te rendes presque plus compte qu’en réalité le mec est en train de faire des trucs techniques tellement c’est fluide. L’important, c’est le style. »
Bike Life et Street Life même combat
Depuis maintenant de nombreuses années, la ride en général et la moto en particulier sont devenues indissociables de la street culture, pratiquement au même titre que la danse, le graff ou d’autres disciplines plus traditionnelles issues du hip hop. Et quand on dit « pratiquement », c’est pour être poli ; aujourd’hui vous avez bien plus de chances de voir un quad ou une moto dans un clip de rap qu’un passage de breakeur, qu’on le veuille ou non. Si l’on a tous en mémoire des clips américains avec notamment les vidéos de l’écurie Ruff Ryders, le phénomène n’a pas tardé à s’exporter en France après quelque temps.
Bien avant de faire son entrée triomphale à Bercy juché sur un scooter qu’il monte en I, Jul s’est fait connaître avec son tout premier tube Sors le cross volé; depuis les clips Pour Ceux (Mafia K’1fry) et 93 Hardcore (Tandem), l’intégralité des vidéos qui veulent accentuer le côté rue ne peuvent plus se passer d’au moins plusieurs deux-roues qui se donnent en spectacle, pas seulement à l’arrière-plan, mais parfois bien frontalement, juste devant la caméra. « On a fait du clip à mort, des apparitions dans des vidéos de Hayce Lemsi, Sadek, entre autres, se souvient Pack. Vu qu’on fait partie des rares à être un groupe structuré, le nom circule vite et on nous appelle souvent. On a aussi fait beaucoup d’émissions, TF1, M6… Un mec dans la vidéo qui veut des belles images, il va souvent penser à des riders. J’ai vu le trailer de Burn Out, ça ne m’étonne pas, c’était qu’une question de temps avant que le cinéma s’intéresse à la bécane. Nous on a d’ailleurs fait un court-métrage, Au loin Baltimore, qui a fait le tour du monde en festivals. Ils ont kiffé le côté visuel et le message véhiculé. »
C’est une décharge d’adrénaline de ouf
Il faut dire que même dans les lyrics des morceaux voire dans les titres, les références sont innombrables depuis les années 2000. Logique : la nouvelle génération de riders est souvent issue des quartiers, bercée par le rap, bref les étoiles étaient alignées. C’est en tout cas comme ça que Pack voit les choses. Pour ce bonhomme de 35 ans originaire de Choisy-le-Roi « Au début, tu commences, t’es en bas de ta cité, tu fais des lignes droites. Puis tu te rends compte que t’aimes de plus en plus faire des roues. Tu rencontres d’autres excités qui lâchent les mains, tu les suis, et après t’atteins un niveau de sensation dont tu peux plus te passer, plus rien n’est pareil qu’avant et tu peux te retrouver sur la A86 sans casque. Je ne peux même pas expliquer les sensations avec des mots, il faut le vivre. C’est une décharge d’adrénaline de ouf. C’est aussi pour ça que tu t’arrêtes pas spécialement de faire des figures quand tu vois la police, presque pour la beauté du geste. C’est seulement à la fin que tu te dis bon ok, maintenant comment je vais me barrer ? (rires) Et ça repart en sens inverse, etc. Des fois ça passe pas, ici on s’est déjà tous fait péter, tribunal etc. Comme les blessures, ça va avec ! »
De plus en plus d’amateurs de bécanes
En effet, les accidents légers sont malheureusement une petite routine, mais lui et ses potes estiment que cela fait partie du jeu, pour le meilleur et pour le pire. « C’est souvent des brûlures dues à des glissades, vu qu’on ne roule pas vite : entre 30 et 50 maximum. C’est vrai que ça fait partie du truc : moi l’année dernière, je n’ai pas roulé pendant 1 an parce que je me suis fait opérer de l’épaule. Le mec qui te dit qu’il est jamais tombé, je ne le crois pas sincèrement. » C’est aussi pour ça que de plus en plus, les riders cherchent malgré tout à jouer la carte de la prudence, à leur petit niveau. Pour leur propre sécurité, mais aussi pour l’image qu’ils pourraient renvoyer. « L’image est en train de changer. On essaie de ne pas faire chier les gens, on tourne surtout dans des zones isolées, pas dans la rue, c’est vrai que c’est une nuisance à cause du bruit, faut reconnaître. Nous, on démarre et on fait un grand tour, on ne reste pas au même endroit sauf quand on revient récupérer les camions au départ. Les zones industrielles, c’est l’idéal. Mais tant que ce ne sera pas cadré, structuré, le côté street restera. Je suis un peu plus conscient que des plus jeunes. J’ai pas mal de followers sur Insta, je ne veux pas que les petits se disent que c’est cool de rouler sans casque quand tu fais des figures, tu vois ce que je veux dire ? Je n’oblige personne à en porter dans le groupe parce que je ne suis pas un gendarme, mais on essaie. »
aux States, la bike life a effacé des problèmes de communautarisme
Il est vrai que les réseaux sociaux ont tout changé. Si l’on cumule toutes les pages Instagram des membres de l’équipe, on se retrouve avec plusieurs centaines de milliers de followers. C’est aussi ce qui a permis à cette culture de se développer et de trouver de nouveaux amateurs. « En 2006, moins de gens pratiquaient et pour voir quelqu’un c’était compliqué. Les réseaux sociaux apportent de l’exposition et élèvent le niveau, parce que la 1ère réaction que tu as en voyant un autre rider, c’est « si lui le fait, je dois essayer ». Et ça facilite les rencontres avec d’autres passionnés. Sur certains rassemblements, on est entre 600 et 800. » Le Dirty Riderz Crew ne s’est pas arrêté en si bon chemin, ils ont voyagé pour rencontrer d’autres fondus de bécane de l’autre côté de l’Atlantique. Parce que leur passion ne connaît évidemment pas de frontières. « On a fait USA, Espagne et Angleterre. Il y a une vraie communauté. La première fois aux Etats-Unis pour nous c’était y a 3 ans, et ça crée une envie chez d’autres, depuis d’autres français y ont été, des anglais aussi, etc. C’est notre Erasmus à nous (rires). C’est normal, quand t’es passionné, n’importe où dans le monde tu vas jouer. Et aux States, la bike life a beaucoup effacé des problèmes de communautarisme, entre Noirs et Blancs, mais aussi entre des villes. Les Américains nous ont expliqué que par exemple il y avait des gros soucis entre New York et Baltimore à une époque, et la moto a permis de lisser un peu tout ça. Parce qu’on est entre riders. Pareil pour nous, on est bien reçus là-bas alors qu’on est des petits français, en l’occurrence un rebeu et deux blancs pour ce voyage. »
Le manque de reconnaissance des bikers
Reste un gros point noir : la très mauvaise image dont souffre la discipline jusqu’à présent. La plupart du temps les autorités continuent de les voir comme des fous du guidon voire des dangers publics, y compris lorsqu’ils font l’effort systématique de se déplacer en groupe en zone industrielle particulièrement isolée. De ce côté-là, on est encore loin de l’Amérique. « J’ai tenté de contacter des mairies, des préfectures, constituer des dossiers de 34 pages, solutions clés en main, ça cadrerait beaucoup de monde, peut-être pas tous, mais des centaines de riders. A chaque fois ça reste sans réponse alors que ça leur demanderait juste une signature. Pourtant ça enlèverait la pression policière, etc. Mais ils sont que dans la répression. Ça sert à rien, tu peux détruire les véhicules, ça va amener juste des gens à acheter des motos volées ; ça va multiplier des courses-poursuites et des risques inutiles pour tout le monde, etc. Depuis 4 ans plein de condés ont voulu nous arrêter, parfois ils viennent à 30, les contrôles durent 2h, on s’est déjà tapé carrément l’hélico pendant des maraudes… Je pense que les gens seraient furieux de savoir combien tout ça a coûté (bien qu’ils ne nous ont jamais arrêtés) alors qu’une petite partie de cet argent aurait pu servir à mettre en place des structures et des solutions qui arrangent tout le monde. A Baltimore ils leur ont fait un endroit, Cleveland pareil, ils ont investi deux millions de dollars pour un parc sans danger. L’autre souci en France, c’est qu’ils veulent diviser : on est moins fort chacun en bas de chez soi plutôt qu’à 800 regroupés, et ça tout le monde l’a compris. On a moins peur, mais franchement face à la police ça va, sauf quand ils nous tamponnent pour nous faire tomber, mais sinon faut bien que les gens sachent que les flics te suivent simplement. Ils ne te poursuivent plus. N’ayez pas peur, ils ne font que suivre, donc autant c’est pas la fête mais gardez ça en tête, parce que c’est idiot de paniquer pour rien et risquer un accident. »
La moto n’est pas du tout considérée en France
Serge Nuques, pilote de moto professionnel qui collectionne les trophées et évolue également dans le monde de l’audiovisuel en étant le Chevalier de l’émission Groland, a récemment été la « doublure moto » du héros du film Burn Out. Pour toutes les scènes de course-poursuites spectaculaires, c’est lui derrière le casque. Il voit d’un œil bienveillant cette école de la rue qui défraie un peu la chronique : « Moi ça ne me dérange pas du tout, au contraire ça crée un renouveau. C’est toujours bien d’avoir des jeunes qui arrivent. Ça se démocratise de façon différente par rapport à avant, mais c’est bien. » Son seul regret rejoint finalement celui de Pack : le manque de reconnaissance. Une absence de considération qui entraîne malheureusement une absence de structures et d’encadrement selon lui : « La moto n’est pas du tout considérée en France. En Espagne ou en Italie, dès qu’ils ont un champion ou quelqu’un d’un haut niveau, il passe en télé, etc. Ici, pas du tout, on est toujours bloqué par ce côté mauvaise réputation qui vient peut-être des blousons noirs, je ne sais pas… Médiatiquement on n’existe pas trop. Donc on manque complètement de structures. »
On a une notion de famille, ça rassemble les gens
Alors la ride est-elle condamnée à rester cantonnée à la rue et à subir pour toujours de la répression dans un dialogue de sourds qui n’en finit pas ? Rien n’est moins sûr. Notamment si l’on se dit qu’il s’agit juste d’un retard à rattraper sur l’outre-Atlantique. « Quand je voyage aux USA, c’est fou ce que je vois » affirme Pack, rêveur. « D’année en année il y a de plus en plus de monde, de plus en plus de niveau, de sponsors (et on parle de Monster Energy, Kawasaki, etc), bref ça commence à être pro. Ici, certes, c’est encore dans la rue pour le moment, mais ça va arriver. On a une notion de famille, ça rassemble les gens, au total on doit être 25-30 « officiels » dans le crew, le noyau dur on va dire. Au sens large on pourrait dire qu’on est une centaine. Ça vient de partout en Île-de-France, de Belfort, de Perpignan, de Papeete… Y’en a partout, petit à petit. Ils seront obligés de changer de mentalité tôt ou tard ».