Quelque part entre Christian Audigier et Philipp Plein…
Ces deux, trois dernières années, pour peu que vous ayez regardé d’un œil distrait le moindre clip de rap ou fait nonchalamment défiler votre feed Instagram, vous êtes forcément tombé dessus.
NBA YoungBoy, A Boogie wit da Hoodie, Polo G, Pop Smoke, Gunna, Lil Baby… difficile de trouver un emcee de la nouvelle génération qui, ni ne porte, ni ne mentionne dans ses textes AMIRI, la marque de fringues dans laquelle il faut être vu lorsqu’on en a les moyens.
Inspirées par le style des rocks stars décadentes des années 80, ses pièces à l’esthétique au croisement du trash et de la haute couture (jeans serrés déchirés de haut en bas, t-shirts troués au fusil à pompe, boots décorées de bandanas…) ont en effet réussi à s’imposer comme de nouveaux standards de la mode urbaine.
Pas mal pour une marque débutée en 2014 dans le sous-sol d’un restaurant thaïlandais de Los Angeles par un type alors presque quarantenaire, Mike Amiri, un ancien étudiant en droit d’origine iranienne connu jusque-là pour sa contribution au hip hop coréen.
Rebelle mais pas trop
« À L.A. tu grandis en écoutant la musique des gens avec qui tu traînes. Moi je traînais un peu avec des skateurs, un peu avec des rockeurs, un peu avec des graffeurs. C’est comme ça que je me suis retrouvé à écouter du rap et du hard rock. »
Né le 6 septembre 1976 dans le très huppé Beverly Hills, Mike Amiri Pusa de son vrai nom passe ainsi son adolescence bercé par les groupes du coin, des gangsta rappeurs N.W.A. aux très flamboyants glam rockeurs Guns ‘N’ Roses et Mötley Crüe.
Fasciné par le style vestimentaire de ces derniers (si vous n’avez pas connu les 80’s, le clip ci-dessous de November Rain résume plutôt bien les choses), il personnalise son tout premier bout de tissu à 13 ans en découpant un t-shirt de la bande à Tommy Lee et Nikki Six pour le coller au dos de sa veste en jean.
Ces débuts prometteurs ne sont cependant guère encouragés par ses parents qui lui préfèrent un destin plus rangé d’avocat. Inscrit sans conviction dans l’une des meilleures facultés du pays, Mike Amiri valide gentiment ses semestres… puis s’envole pour la Corée du Sud !
Là-bas, sous le pseudonyme de Micki Eyes il intègre le groupe Drunken Tiger (« Le Tigre Bourré »), l’un des premiers groupes de rap de l’histoire du pays – et oui, c’est très correct.
« L’un de mes meilleurs amis était musicien. J’ai écrit des morceaux pour lui. Il se trouve qu’il est considéré comme l’un des fondateurs du mouvement K-pop/hip hop. Du coup sur Wikipédia je suis crédité comme l’un des pionniers du rap coréen. C’est bizarre, mais je suis heureux que cela fasse partie de ma vie. »
De retour en Californie dans le milieu des années 2000, bien que de son propre aveu « dénué d’une réelle expérience » dans le domaine, Mike Amiri propose ses services en tant que consultant auprès de petites marques de vêtements locales, un job qui lui rapporte certes beaucoup moins que celui d’avocat, mais qui lui permet de vivre de sa passion.
Autodidacte, il tisse ainsi petit à petit son réseau et aiguise ses connaissances en la matière, tandis qu’à ses heures perdues il customise pour le fun des vestes qu’il poste sur son compte Instagram.
Une chose en amenant une autre, séduits par son taff, certains des stylistes avec qui il collabore lui empruntent les vestes en question pour les faire porter à Steven Tyler d’Aerosmith et Usher.
« C’est à cet instant que j’ai réalisé que je pouvais faire bien plus que de créer des vêtements pour la scène, que je pouvais faire bien plus que de créer un look ou deux comme ça en passant. C’est à cet instant que j’ai compris que je pouvais imaginer mon monde. »
2014, l’année zéro
Ni une ni deux, Mike Amiri, 38 ans, embraye avec AMIRI, une marque qui ambitionne de capturer « l’esprit rock’n’roll de la côte ouest ».
Installé au sous-sol sans fenêtre du Toi sur Sunset Boulevard, un établissement qui mélange cuisine thaïlandaise et déco du Hollywood des années 60/70 (si, si), il débauche son premier collaborateur via une petite annonce.
« Un Russe du nom de Vad s’est alors pointé. Il se trouve qu’il avait bossé comme couturier pour un type qui à l’époque fournissait les vestes des stars du rock. Depuis ce jour, on ne s’est plus jamais quitté. »
Équipé d’une simple machine à coudre et de quelques patrons, le duo confectionne un par un les premiers jeans siglés AMIRI.
Une fois la première capsule terminée, Mike Amiri se rend chez Maxfield, l’une des boutiques les plus prestigieuses de Los Angeles, connue aussi bien pour abriter les designers les plus prometteurs que pour attirer les célébrités les plus hype du moment.
Et si vous vous demandez par quel tour de passe-passe ses pièces ont terminé dans les rayons de cette antichambre de la gloire, sachez qu’il a suffi d’un seul petit coup de fil.
« On pourrait penser qu’il faut un mot de passe ou connaître la bonne personne qui va vous présenter, mais en fait non. J’ai juste appelé et demandé à parler à un acheteur. On m’a demandé de venir, et c’est tout. »
Fort de cette rampe de lancement, AMIRI diversifie très rapidement sa gamme (footwear, lunettes, collection femme en 2017…), multiplie ses points de ventes, et voit son chiffre d’affaires croître à la vitesse de l’éclair pour atteindre, après quatre petites années d’activité seulement, les quelque 40 millions de dollars en 2018 !
[Que l’on aime ou que l’on trouve cela assez ringard avant l’heure, c’est un autre débat…]
A Boogie wit da Hoodie
« Si Justin Bieber possède 20 paires de jeans AMIRI, c’est parce qu’il a dépensé 20 000$ »
Parmi les raisons qui expliquent ce succès, voir acteurs, chanteurs, mannequins et sportifs parader dans ses denims destroy, ses flanelles usées et ses motifs léopard joue a priori pour beaucoup.
Sauf que pas tant que ça, AMIRI n’étant pas sur ce point Von Dutch.
« Quand une marque offre ses produits à des célébrités, je me demande toujours ce qu’elle a de si spéciale pour être bradée de la sorte ? Aujourd’hui les jeunes marques accordent trop d’importance à ça ou à être vues sur les réseaux sociaux. Non pas que ça n’ait pas son utilité, mais que se passe-t-il quand telle ou telle personne arrête de la porter ? Moi je veux avant tout faire des vêtements dans lesquels les gens se sentent bien. »
Idem pour ce qui est du marketing de la mode. Avare en interviews, Mike Amiri ni n’investit dans des budgets promo démentiels, ni ne drague hypebeasts, blogueurs et autres influenceurs.
Non, en réalité AMIRI mise essentiellement sur une carte : celle de l’identité.
Bien évidemment dans un monde de la mode où tout se recycle en permanence, Mike Amiri n’a fondamentalement rien créer de vraiment nouveau, et il est assez facile de moquer ses inspirations très proches du Yves Saint-Laurent période Hedi Slimane, une pointe du Balmain d’Olivier Roustang en plus, mais toujours est-il que ses sapes se reconnaissent au premier coup d’œil.
« Une tenue dit qui vous êtes sans dire un mot. Les gens connectent aux vêtements qui reflètent qui ils sont. Les musiciens, les rockeurs, les athlètes… ils savent qui ils sont. Ils ont cette confiance, ce cool qui émane d’eux. »
Made in America
Outre le côté rebelle par procuration, AMIRI met en avant la qualité de ses produits, avec un argument de taille à la clef : celui du fait maison.
Si les jeans, boots et vestes AMIRI coûtent près d’un Smic c’est en effet en grande partie à cause de leur processus de fabrication. Exclusivement basé dans la région de Los Angeles, il prend entre plusieurs semaines à trois mois selon les modèles – les jeans par exemple suivent 16 étapes différentes d’assemblages afin d’obtenir cette usure si particulière, dont un lavage au silicone pour que l’effet stretch soit maximal.
Ou comme aime à le répéter le maître des lieux : « Est-ce la manière de gagner le plus d’argent ? Clairement non. Est-ce la façon d’obtenir le meilleur résultat possible ? Oui. Nous sommes uniques, personne ne peut nous copier. La qualité passe avant les bénéfices. »
À l’heure où la pandémie et le réchauffement climatique interrogent certains dogmes de la globalisation, AMIRI aurait-il trouvé la martingale ?
À LIRE AUSSI
Mais comment Philipp Plein est-il devenu l'empereur du mauvais goût ?