Elle a plus de surnoms qu’un rappeur du Wu-Tang, des faux-airs de Marlon Brando et a lancé la carrière de Pablo Escobar… Portrait de la « reine de la coca » qui s’est imposée au sommet du trafic de drogue en faisant couler le sang comme jamais. Oubliez Scarface et Miami Vice, la réalité dépasse ici en tous points la fiction.
Le 3 septembre 2012 une vielle dame de 69 ans est abattue de deux balles dans la tête par des tueurs gages à moto alors qu’elle sortait d’une boucherie du quartier résidentiel de Medellín. Dans cette enclave de la cité colombienne où les plus riches et les aisés vivent en communauté fermée sous la protection permanente d’hommes armés, la stupeur est totale.
Qui peut donc bien être cette femme ventripotente aux allures de grand-mère lambda ? Revenue vivre depuis 2004 dans son pays natal, cette fervente chrétienne n’est autre que Griselda Blanco, plus connue sous le sobriquet de La Madrina (ou ‘The Godmother’, une référence directe au film Le Parrain), l’une des narcotrafiquantes les plus prospères et les plus dangereuses de son époque.
Sous son impulsion le Miami des années 70/80 s’est furieusement mis à ressembler au Chicago d’Al Capone. La cocaïne désormais consommée en masse a remplacé l’alcool et génère des sommes colossales. 70% de la poudre blanche qui entre aux États-Unis passe par la Floride, ce qui a pour conséquence d’aiguiser les appétits.
Et si vous vous demandez comment une femme haute d’un mètre cinquante à peine a pu s’asseoir sur le trône du business le plus risqué de la planète, la réponse est simple : en faisant tuer quiconque ose croiser son chemin. Sous le règne de Griselda Blanco, le taux d’homicide à Miami a triplé !
Suspectée par les autorités locales d’avoir commandité plus de 200 meurtres, elle n’hésite pas à faire abattre ses adversaires (ou ses amis) en pleine journée dans des centres commerciaux bondés. Les morgues viennent ainsi à manquer d’espaces réfrigérants et se voient dans l’obligation de louer des camions frigorifiques à… Burger King.
Et pour ce faire elle dispose d’une équipe d’hommes de mains aussi dévoués que cruels, au rang desquels Jorge ‘Rivi’ Ayala, dont l’un des faits de gloire a été de tuer 11 personnes en moins de 24 heures, ou Miguel Pérez qui lui tentera un jour de finir à la baïonnette (!) un chef de gang rival au beau milieu de l’aéroport de Miami.
La célèbre couverture du Time (mentionnée dans Scarface) qui alerta le grand public sur la dérive de l’état de Floride
« Nous n’avons aucune idée ici du nombre de meurtres qu’elle a autorisé en Colombie » a confié le procureur Stephen Schlessinger chargé de poursuites à son égard. « Elle assassinait des gens sur un claquement de doigts. Elle tuait quiconque lui déplaisait, pour une dette, pour un problème sur une cargaison, ou si elle n’aimait pas la façon dont on la regardait ».
Amis, femmes, enfants, personne n’échappe à sa folie meurtrière… pas même ses maris. De là vient un autre de ses surnoms macabres : la Veuve Noire (‘Black Widow’). Mariée à trois reprises, Blanco (qui affichait par ailleurs ouvertement sa bisexualité) va en effet faire disparaitre chacun de ses conjoints.
- Le premier sera Carlos ‘Cejas’ Trujillo un passeur de clandestins dont elle a eu trois enfants (Dixon, Uber et Osvaldo) et qui passera l’arme à gauche pour une question de business.
- Émigrée à New York au début des années 70 avec son deuxième mari, Alberto Bravo, elle monte avec lui un trafic de marijuana qui tournera court puisqu’elle lui réglera son compte en face à face sur un parking. Six gardes du corps trouveront la mort au cours de la confrontation.
- Le troisième chanceux sera Dario Sepulveda qui a eu la mauvaise idée de kidnapper son quatrième enfant prénommé Michael Corleone (ça ne s’invente pas) pour l’élever loin de sa mère en Colombie. En 1983 alors qu’il circule en voiture avec son fils, il est arrêté par de faux policiers qui l’exécutent devant ses yeux.
Alors bien sûr La Madrina n’est pas votre sociopathe ordinaire. La légende veut que celle née pendant les heures sombres de la Violencia ait commis son premier meurtre à l’âge de onze ans (un jeune garçon dont les parents auraient refusé de payer la rançon) avant de s’adonner dès l’adolescence à la prostitution et la contrebande.
Pionnière dans le trafic de cocaïne colombien des années 70, Blanco est inculpée à New York en compagnie de 30 de ses subordonnés en avril 1975 dans ce qui constitue à l’époque la plus grosse affaire de trafic de cocaïne jamais mise à jour (150 kilos saisis). Pour échapper à une peine de prison de 15 ans (le maximum à l’époque pour trafic de drogue), elle se rapatrie en Colombie avant de revenir clandestinement à Miami quelques années plus tard.
En mèche avec le Cartel de Medellín (c’est elle qui mettra le pied à l’étrier à son ami d’enfance Pablo Escobar), elle réussit à introduire jusqu’à 1 500 kilos de yayo par mois sur le sol US, notamment via son usine de sous-vêtements en Colombie qui fabriquait des soutien-gorges dotés de compartiments secrets pour les « mules ». À 40 ans passés elle pèse ainsi 80 millions par mois – certaines sources estiment qu’elle a accumulé jusqu’à deux milliards de dollars en cash…
Reste que cette success sory va se heurter aux dures lois du karma. À force d’empiler les cadavres, on finit irrémédiablement par se faire des ennemis tenaces. Et parmi eux les frères Ochao qui n’ont guère apprécié que Blanco se débarrasse d’une de leur nièce pour couvrir un défaut de paiement. Devenue la cible des membres fondateurs du Cartel, elle doit se réfugier en urgence à Los Angeles pour fuir ce que les médias ont appelé à l’époque la « Cocaine Wars ».
Elle finit par se faire arrêter chez elle après une décennie de cavale par Bob Palumbo, un agent des stups floridien qui la poursuivait depuis tout ce temps et qui comme il se l’était promis lui fit une bise sur la joue après lui avoir passé les menottes. Elle n’en continuera pas moins de mener son trafic depuis la prison.
Charles Cosby & Griselda
Il s’en est d’ailleurs failli de peu pour que son nouvel associé et amant, Charles Cosby, ne devienne sa quatrième victime. Cet ancien dealer de rue qui l’a rencontré derrière les barreaux en lui envoyant une « lettre de fan » prend tout de même une balle dans le bras quand La Madrina découvre qu’il lui fait des infidélités avec une « white bitch ».
Dans le même temps, le parquet de Floride fait son possible pour l’envoyer dans le couloir de la mort. Le procureur réussit à l’extrader en Floride pour l’inculper de trois meurtres, les seuls pour lesquels elle sera jamais condamnée.
- Alfredo et Grizel Lorenzo, un couple de trafiquants qui n’aurait pas honoré une dette de 250 000 dollars pour la livraison de 5 kilos de cocaïne. Ils furent assassinés dans leur maison de Floride alors que leurs trois enfants regardaient la télévision dans la pièce d’à côté.
- Le meurtre d’un enfant de 2 ans, Johnny Castro, victime collatérale d’une tentative de drive-by qui visait la voiture de son père, Jesus ‘Chucho’ Castro. Cet ancien homme de main de La Madrina aurait eu le malheur de mettre un coup de pied au derrière de son petit Michael Corleone. « Au début ça la rendu dingue que nous ayons manqué le père », révéla Ayala (entretemps devenu mouchard pour éviter la chaise électrique), « mais lorsqu’elle a appris que nous avion tué son fils, elle sourît, puis nous dît, que Castro et elle étaient quittes ».
L’affaire pourtant bien avancée finit pourtant par capoter. La faute au principal témoin, Rivi Ayala, qui a engagé des relations sexuelles par téléphone avec des secrétaires du bureau du procureur et à Cosby qui a lui couché avec l’une entre elles quelques mois auparavant. Le scandale est tel que trois employées sont renvoyées et que le procureur doit démissionner.
Michael Corleone (qui finira par tomber lui aussi pour trafic de cocaïne en 2014), Griselda & Rivi Ayala.
La juge Katherine Fernandez Rundle accepte alors de négocier un plaider-coupable avec la Godmother. En 1998 elle est condamnée à trois peines de 20 ans non cumulables dont elle n’a servi que le tiers en raison de la législation en vigueur au moment des faits. Et voilà comment en 2004, Grisleda Blanco se retrouve libre comme l’air – et n’eut pas à mettre à exécution son plan d’évasion rocambolesque visant à faire enlever le fils de John F. Kennedy pour l’échanger contre sa propre libération…
À sa sortie de cellule, le Cartel n’est plus depuis la mort d’Escobar et deux de ses fils qui l’assistaient jadis dans ses activités ont été assassinés. Murée dans son silence, refusant la moindre interview, elle mène une existence paisible jusqu’à ce jour funeste de septembre 2012.
« Nous étions tous surpris qu’elle n’ait pas été tuée plus tôt, elle s’était fait beaucoup d’ennemis », a déclaré un ancien membre de la police judiciaire de Miami, « quand vous tuez ou blessez tant de gens comme elle l’a fait, ça n’est plus qu’une question de temps avant qu’ils vous retrouvent et règlent leurs comptes ».
Ironiquement le mode opératoire du contrat, l’exécution à moto, avait été inventé par La Madrina durant ses folles années… « Live by the gun, die by the gun »
Sa toute dernière photo publique, le 13 mai 2007.