Des fois le rap c’est comme le cinéma…
Du Tical 2000: Judgement Day de Method Man qui a initié le mouvement en 1998 au récent Port of Miami 2 de Rick Ross, le rap US compile un nombre incalculable de suites d’albums.
Il est vrai que sur le papier l’idée de capitaliser sur un exploit passé ne présente que des avantages (effet d’annonce, effet d’association, couverture médiatique à moindre frais…), et ce d’autant plus que le public a souvent tendance à renvoyer les artistes à l’image de leurs débuts.
Dans les faits c’est cependant un brin plus compliqué : entre la suite qui sert de vulgaire attrape cash, la suite qui sort du chapeau ou la suite qui pique du nez question quali, l’original n’est que très rarement égalé.
Du coup, un peu comme sur grand écran, on trouve avec ce genre de projets à boire et à manger. La preuve avec les dix suites présentées ci-dessous qui chacune à leur manière illustre les spécificités de l’exercice.
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« Stillmatic », la suite qui revigore une carrière
Touché par la grâce avec Illmatic en 1994, Nas connaît ensuite toutes les peines du monde à maintenir le cap.
Tiraillé entre une imagerie gangsta/bling-bling qui ne lui va guère et le désir de renouveler son exploit, il dilue son talent dans des projets qui frôlent l’indigeste – l’aventure The Firm, ses troisième et quatrième opus I Am… et Nastradamus.
Considéré comme perdu pour la cause (à commencer par Jay Z qui pointe du doigt la faiblesse de sa discographie), Esco finit par retrouver le feu sacré en 2001 avec Stillmatic.
Si du titre à la pochette, nombreux se sentent fébriles avant même la première écoute, la qualité du disque met ensuite tout le monde d’accord.
Certes, Nas ne rivalise pas de près ou de loin avec son chef d’œuvre, mais il décroche là son maintien en première division, et ce, d’autant plus que pour son essai suivant God’s Son (2002) il monte encore le niveau d’un cran.
Notez également que 17 ans après sa compilation de chutes de studio The Lost Tapes, il vient de sortir The Lost Tapes 2, non sans avoir annoncé dans la foulée l’arrivée d’un volume 3 et d’un volume 4.
« The Marshall Mathers LP 2 », la suite qui n’aurait jamais dû sortir
Treize ans après le raz-de-marée Marshall Mathers LP et sa trentaine de millions d’exemplaires vendus de par le monde, le Eminem de 2013 ne partage plus forcément grand-chose en commun avec le personnage de ses débuts.
Reste qu’après avoir admis en 2010 lors de la campagne de promotion de Recovery « s’être calmé », peu de temps près être retourné en studio, il annonce que son huitième solo fera suite à son magnum opus, les premiers titres enregistrés lui rappelant fortement l’état d’esprit de ses débuts.
Sauf qu’au final, c’est peu dire que le compte n’y est pas.
Déjà, parce que Dr. Dre est étonnamment complétement absent à la production (genre imaginez un Arme Fatale sans Danny Glover ou un Friday sans Chris Tucker), mais aussi et surtout parce qu’Em échoue à trouver le bon équilibre entre nostalgie et modernité.
Résultat, tantôt il tombe dans la parodie de lui-même (Rap God et son flow d’hélicoptère au décollage), tantôt il tente grossièrement de se raccrocher au wagon du maintsream (le duo Monster avec Rihanna).
Qui a dit qu’il était un meilleur rappeur quand il était méchant, vulgaire et shooté ?
« Tha Carter II », la suite qui surpasse l’original
Roi de la suite et de la suite de suite (cf. les séries des Sorry 4 the Wait, I Am Not a Human Being et autres Dedication), pour son cinquième album Lil Wayne ne s’est absolument pas contenté de faire mieux que son premier Carter sorti l’année précédente : il s’est imposé ici comme l’un des rappeurs les plus en vue de sa décennie.
En pleine maîtrise de ses moyens, 22 pistes durant il fait étalage d’une virtuosité et d’un éclectisme dont personne ou presque ne l’avait soupçonné jusque-là.
Album préféré de ses fans (si, si CII est meilleur que CIII), il marque le début de la seconde partie de sa carrière ainsi que le point de départ de sa domination sans pareil sur ses pairs.
Point bonus : sans ce momentum, il est fort parier que la maison Cash Money à l’époque en forte perte de vitesse aurait fini par mettre la clef sous la porte.
Et oui sans Carter II, pas de Drake, pas de Nicki et pas de mode des tatouages à profusion sur le visage…
« More Fish », la suite qui tente d’exploiter un filon
Après un début de carrière en boulet de canon (Enter the Wu-Tang ! Only Built 4 Cuban Linx ! Ironman ! Supreme Clientele !), Ghostface Killah commence sérieusement à s’essouffler à l’entrée des années 2000.
Mais comme tous les champ’, le Wally Champ finit par retrouver la niaque avec Fishscale qui en 2006 provoque une belle unanimité que ce soit dans les rangs des nostalgiques et des néophytes.
Pas tombé de la dernière pluie, l’ami Dennis Coles tente alors de battre le fer tant qu’il est encore chaud avec More Fish qui sort moins de neuf petits mois après, et dont le titre indique on ne peut plus clairement la couleur.
Saut qu’après avoir rappé 24 pistes sur Fishscale, il ne lui en reste plus beaucoup sous le pied pour remplir un album. Pas grave, il en profite pour inviter ses potes du Theodore Unit (Trife Da God, Shawn Wigs, son fils aîné Sun God…), plus Amy Winehouse, pour boucher les trous.
Au final, cela donne sans surprise, comme souvent lorsque Ghostface penche de son mauvais côté, le genre de projet sitôt écouté sitôt oublié.
« Man on the Moon II: The Legend of Mr. Rager », la suite qui fait sens
Pur rejeton de Kanye West quand sort son premier Homme sur la lune en 2009, Kid Cudi accède à l’indépendance l’année d’après en prenant le parti de s’aventurer sans retenue sur les chemins de l’introspection.
« Plutôt que d’emmener l’auditeur à la découverte de mes rêves comme sur le premier volume, je l’ai cette fois-ci emmené dans ma réalité, pour le pire et pour le meilleur. »
Affres de la célébrité, drogues en tous genres et dépression sont ainsi au menu de cette Légende de Mr. Rager qui concilie désir de rupture et continuité.
Pas très joyeuse et très égocentrée, si elle n’a pas nécessairement convaincu dans les grandes largeurs, elle a permis à Cudder de s’affirmer comme un artiste à part entière.
Dix ans plus tard, elle constitue toujours le point pivot de sa discographie.
« The Blueprint 2, The Gift & The Curse », la suite qui force
Fort du succès commercial de son Vol. 2… Hard Knock Life de 1998 (qui pour l’anecdote via le morceau Coming of Age (Da Sequel) contenait une suite dans la suite) et encore fraichement auréolé du succès critique de son Blueprint de 2001, Jay Z n’a toutefois pas été des plus inspirés d’enchaîner avec ce double album de triste mémoire qui à l’exception de son titre n’a rien en commun avec son prédécesseur.
Trop de producteurs, trop de fillers, trop d’invités… nul besoin cependant de s’attarder outre-mesure sur ses faiblesses, le principal intéressé ayant lui-même admis à plusieurs reprises avoir un peu trop tiré sur la corde – en 2004 il sortira d’ailleurs Blueprint 2.1, une version amaigrie de la tracklist qui pour le coup s’écoute plutôt bien en dépit d’une cohésion sonore (la qualité principale du BP1…) passée à la trappe.
Toujours est-il que cela ne l’empêchera pas de remettre le couvert en 2009 avec un Blueprint 3, et que cela ne nous empêche pas d’espérer un très hypothétique Watch The Throne 2.
« The War Report 2: Report the War », la suite dont tout le monde se fout
Album de chevet des partisans « du rap c’était mieux avant » de l’âge d’or du hip-hop, The War Report (1997) de C-N-N est un pur classique du son newyorkais des années 90, et même un pur classique tout court.
Malheureusement après cette première démonstration de force, le duo va rapidement perdre de sa superbe, les solos respectifs de Capone et de Noreaga n’arrangeant rien à l’affaire.
Toujours est-il qu’après neuf longues années de silence, voit le jour en 2009 le très poussif Channel 10 que peu de gens ont écouté, et qu’encore moins de gens ont apprécié.
Déterminés à ne pas lâcher l’affaire, douze mois après les deux reporters du ghetto décident de capitaliser sur leur gloire passée avec TWR2RTW.
Pas de chance c’est encore raté. Pas totalement raté, mais typiquement le disque résume toute la difficulté de renouer avec la magie d’antan, que ce soit du point de vue artistique ou de l’intérêt suscité auprès du public.
Cf. dans le genre Do or Die 2 e AZ, Bacdafucup Part II des Onyx, The Art of War: World War III des Bone Thugs-N-Harmony, Blackout 2 de Method Man & Redman…
« 2001 », la suite qui n’en est pas vraiment une
Dépossédé de la marque Chronic à la suite de son départ mouvementé de chez Death Row Records, Dr. Dre se voit dans l’impossibilité d’intituler son essai suivant The Chronic 2 (A New World Odor: Papa’s got a Brand New Funk) comme il en avait initialement l’intention.
Pire, quand Suge Knight, qui a la rancune tenace, apprend à sa sortie de prison en 1999 que Dre s’est remis à bosser sur son second solo, il s’empresse d’essayer de lui couper l’herbe verte sous le pied en sortant Chronic 2000, un double album qui compile les chutes de studio des artistes passés et présents du Couloir de la Mort (Kurupt, Snoop, Danny Boy…).
Qu’à cela ne tienne, le bon docteur Young se contente alors d’orner la pochette de son bébé d’une feuille de marijuana, et tout le monde comprend bien de quoi il s’agit – aujourd’hui encore nombreux sont ceux qui continuent d’ailleurs d’appeler le disque Chronic 2001…
Et pour ce qui est du fond, tout comme son prédécesseur, 2001 a complétement redéfini les canons du rap notamment grâce à sa formule mélangeant habilement les boucles de piano les plus entêtantes aux lignes de batterie les plus dépouillées.
« The Hunger For More 2 », la suite qui manque sa cible
Promotionné comme un clone de 50 Cent en 2004 (le crack, les balles, les bicthes…), Lloyd Banks manque de peu de décrocher une double certification platine avec son premier essai The Hunger For More et ses singles calibrés pour les charts (On Fire, Karma…).
Deux ans plus tard, il se prend toutefois les pieds dans le tapis avec le très fade Rotten Apple, tandis que le G-Unit voit son heure de gloire gentiment arriver à sa fin.
Pâle copie de ce qu’il a été, en 2010 il décide de se reprendre en main avec HFM2.
Paradoxalement, bien que fondamentalement pas désagréable, l’album pêche principalement par son côté un peu trop plan-plan.
De ceux qui assimilent la qualité de la musique à la quantité de CD vendus, le Droopy de Jamaica Queens n’en mène alors pas large avec des chiffres en première semaine dix fois inférieurs à ceux réalisés sept ans plus tôt…
« Only Built 4 Cuban Linx… Pt. II », la suite qui tient toutes ses promesses
Troisième membre du Wu-Tang à se lancer en solo, Raekwon casse la baraque en 1995 avec son Only Built 4 Cuban Linx… qui donne ses lettres de noblesse au mafioso rap.
Dix ans plus tard, alors en nette baisse de régime après deux galettes douteuses (Immobilarity en 1999 et The Lex Diamond Story en 2003), c’est non sans provoquer un vent de scepticisme qu’il promet un OBFCL2 à la hauteur de l’original.
Très vite d’ailleurs, les craintes se confirment, entre vraie/fausse signature sur le label Aftermath de Dr. Dre, implication moindre de RZA et reports à tire larigot.
Reste que quand l’aussi promise que redoutée suite arrive enfin dans les bacs quatre plus tard, en 2009, Rae fait mieux que surprendre son monde.
Rebaptisé ‘Black Mozart’, entouré d’une dream team de producteurs (J.Dilla, Marley Marl, The Alchemist, Pete Rock, plus Dre, plus RZA) et de comparses que l’on avait pas connu aussi fougueux depuis les années 90 (Inspectah Deck en tête), le Chief accroche là sans contestation aucune un second classique à sa ceinture.
Une réussite totale donc, à tel point que si cet article avait été un classement, Cuban Linx 2 aurait occupé sans discussion la première place !
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