Rencontre avec un mec de rue qui sait rapper, quelques heures avant la sortie de l’album « Rescapé ».
Avec un album, certains artistes sacrent une tendance. Soso Maness, a lui préféré évoquer sa vie avec style. Un chemin sinueux, fait de débuts en compagnie du groupe Intouchable à 11 ans, jusqu’à des collaborations avec Jul ou L’Algerino… Un tableau qui paraît idyllique si on le regarde que sous cet angle. Car l’enfant de Fond Vert dans les quartiers Nord de Marseille a grandi entre galères, vente de stupéfiants et séjours en cabane. Mais des Beaumettes aux plages de Miami, le bonhomme est toujours resté lui-même. Sans surprise, c’est dans la même veine qu’il débarque avec Rescapé, son premier album. Un opus au nom tout trouvé… Rencontre.
On te retrouve aujourd’hui à Paris. Tu as une histoire particulière avec l’Ile-de-France. Soso Maness, c’est le premier sudiste qui va clipper à La Grande Borne. Il y eu aussi tes débuts à 11 ans aux côtés de la Mafia K’1 Fry.
Soso Maness : J’ai beaucoup de contacts dans le 91. C’est mon point de chute quand je viens ici, Grigny, Grigny 2. Je crois que j’ai été le premier mec qui n’était pas du 91 à clipper chez eux, car ils sont assez sectaires. C’est pour ça que je les kiff à la Grande Borne ! A Marseille je représente Fond Vert et à Paris je représente Grigny. J’ai des amis là-bas, on est très bien accueilli à chaque fois. Ce sont des connaissances qui n’ont rien à voir avec la musique, ce sont parfois des connexions bres-som. J’ai également des attaches avec le 94, dues à mon histoire avec la Mafia K’1 Fry. Très tôt, avec Intouchable, j’ai pu poser. Mais c’est difficile pour moi d’en parler aujourd’hui, car j’étais très jeune, j’avais 11 ans. J’ai des flashs des artistes du collectif en studio. Les gens m’en parlent encore aujourd’hui… J’ai un parcours bizarre. Même si je débarque aujourd’hui avec un album, je ne suis pas vraiment nouveau.
En un sens, le rap est comme le fil rouge de ta vie ?
Soso Maness : Quand je reviens après quelques histoires, je reviens avec Jul qui est presque inconnu à l’époque. Ce n’était pas encore l’OVNI, mais ça montre que c’est toujours le rap qui m’a mis sur les bons rails, comme avec la Mafia K’1 Fry. Moi, je suis un passionné. Je respecte trop les anciens, ce qu’ils ont fait pour notre musique. J’ai une culture musicale variée, mais je suis à fond sur le Hip-Hop. J’ai l’impression que ça m’a sauvé la vie, c’est fou. Le Rap m’a vraiment sauvé la vie.
Le rap, c’est aussi ce qui t’a permis de voir autre chose. Par exemple, quand tu dis que l’école de Fond Vert a niqué ta vie, tu parles du cloisonnement des quartiers ?
Soso Maness :C’est terrible que cette école existe encore. J’ai l’impression qu’on te met sur des rails et que ta destinée est déjà décidée. Le four est à 200 mètres de cette école. Quand t’es petit, c’est malheureux, mais tu prends exemple sur ceux qui roulent dans de belles voitures, sans penser aux risques pris, à la prison, à la mort, etc. Les alimentations, les boulangeries, tout ça est concentré au même endroit pour que tu ne bouges jamais de ton quartier, pour que tu y restes. C’est pour ça que j’ai cherché très tôt à voyager, à m’ouvrir… On a des trucs de fous qui peuvent t’ouvrir l’esprit juste à côté, comme la Corse, l’Italie ou l’Espagne. Les quartiers Nord, ça te cloisonne. Dans ma période de bordélique, je me suis rendu compte que pendant six mois, je n’étais jamais sorti de Fond Vert. C’est fou, tu te retrouves vite bloqué. Les Etats-Unis, les pays de l’Est, j’ai cherché à tout faire.
Cela t’a d’ailleurs servi pour les clips.
Soso Maness : Oui, mon deuxième solo, je l’ai fait en Bulgarie. La caricature dans les clips, ça existe. Dans un clip estampillé quartiers Nord, qu’est-ce qu’on veut ? Des cross, des mecs aux cheveux longs et du shit. Mais je me dis qu’on vaut mieux que ça. Je veux qu’un petit se dise que Soso est allé à Budapest, à Miami, etc. Une fois qu’ils me demandent comment c’est, je leur conseille de travailler de mettre de côté pour voyager. Attention, j’aime mon quartier, je suis Fondverien nationaliste. Mais s’ouvrir intellectuellement, ça te permet de t’ouvrir musicalement. J’ai découvert le rock des années 60, 70, 80, je suis comme un fou. Je kiffe des trucs comme Supertramp ou R.E.M, et je pense que tu peux le ressentir dans ma musique.
Il y a notamment l’interlude qui rappelle Renaud !
Soso Maness : J’ai pris un risque (rires) ! Mais ça raconte une vraie histoire. J’ai vu un mec qui était au top se faire flinguer par une meuf. En étant un grand fan de Renaud et de son titre Manu, je l’ai donc fait à ma sauce, en mode 2019. J’ai rajouté des éléments qu’on connaît tous comme Snapchat pour qu’on puisse s’identifier. J’ai énormément de potes de Paris qui kiffent ce son. On roule en voiture et ils me disent « Soso remet-le ». Je pense que c’est une question de sensibilité.
On a l’impression qu’il n’y a pas de séparation entre ton vécu et ta musique.
Soso Maness : C’est une immersion totale dans ma vie. C’est pour ça qu’il y a des auditeurs qui se reconnaissent dans mes sons. Il y a des artistes que je respecte énormément, qui ont une vision de la rue très cinématographique. C’est très bien fait, mais c’est à l’opposé de ma vision de la rue. Marseille, les quartiers Nord… Ce sont les ténèbres. Cela me fait énormément de mal de vivre ça, c’est terrible ce qui nous arrive, terrible. Je suis contre, mais je peux rien y faire. J’ai été mêlé à ça et j’ai failli mourir, mais c’est une partie de nos vies. J’espère que ça va s’arrêter.
Dans tes sons, tu livres un constat de la réalité de Marseille et de ses quartiers.
Soso Maness : Je suis très pessimiste sur l’état de ma ville. Il faut dire aux petits de faire de l’argent convenablement et de mettre de côté. Le problème maintenant, c’est qu’ils grandissent là-dedans, dans la guerre. Tu fais face à une autre analyse de la situation. Pour eux, la violence, c’est quelque chose de normal, comme à Chicago. On n’en parle même plus dans La Provence, mais c’est le bordel tous les jours. J’ai perdu une trentaine d’amis dans la guerre des gangs, c’est terrible.
Face à tout ça, on se sent comment au moment de sortir son premier album ?
Soso Maness : Je ne te cache pas que je suis très content de le sortir. C’est la première fois de ma vie que j’arrive au bout de quelque chose. Enfin, c’est un aboutissement, j’ai le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Avant, j’ouvrais des business et je n’étais pas concentré. Là, je suis content de l’album, je pense que je ramène un délire différent, même si la scène de Marseille est très intéressante. Je pense que les gens vont apprécier ce premier projet, c’est ma carte de visite. Je compte attaquer le deuxième et pouvoir regarder les grands dans les yeux. Là, c’est comme au football, je joue la montée. Je sais que je ne vais pas péter le score d’entrée de jeu. Mais je veux que les gens se disent que Soso Maness est là, qu’il a fait un projet intéressant, avec des featurings sérieux, le tout sur un squelette de Ladjoint Skenawin. Je suis prêt pour la guerre !
Tu peux nous en dire plus sur les featurings ?
Soso Maness : Hooss, c’est quelqu’un que je connais depuis longtemps. On s’est rencontré avant la musique. Je l’apprécie beaucoup. L’Algerino, je vais te dire un truc incroyable, mais c’était mon surveillant au collège ! On est resté en contact pendant pas mal de temps, on a une relation de neveu à tonton. On s’appelle souvent, on s’engueule souvent aussi (rires). C’est le seul artiste avec lequel je suis dans l’affect. Moi, je suis plus en mode pro avec les artistes, car l’affect c’est souvent le point de départ des clashs. Je l’écoute énormément. Avec Fianso, cela a eu lieu grâce à Ladjoint qui a notamment produit Mon P’tit Loup, Toka, etc. Cela m’a fait plaisir que quelqu’un d’aussi costaud accepte un feat avec moi. C’est quelqu’un de très très fort. Pour moi dans le rap, Sofiane est comme un grossiste d’Espagne (rires) !
Sofiane qui, comme toi, n’a pas eu un parcours linéaire.
Soso Maness : Quand tu te trouves musicalement, t’as gagné. Cela peut durer dix ans, mais dès que tu y arrives, t’es dans le vrai. Alonzo, quand il envoie la purée, c’est un truc de fou, Fianso et Lefa aussi. Moi, j’ai essayé de faire de la zumba, je me suis cassé les dents. Limite, les gens m’insultaient (rires) ! Cette musique, ce n’était pas moi, heureusement que je n’ai pas testé ça en projet ! Mais essayer de nouvelles choses, prendre la température sur YouTube, ça peut servir. Au final, quand je fais Mal Luné, tu te retrouves avec un truc plus ouvert. Puis tu ne kickes plus aujourd’hui sur tout un album, il faut des moments plus calmes. Il faut essayer de raconter une histoire finalement.
« Rescapé », c’est ta propre histoire.
Soso Maness : Les gens savent qui je suis. Je ne suis pas Pablo Escobar non plus, j’ai essayé d’être loyal et droit pendant toute ma vie. Je marche tout seul à Marseille, ça se passe très bien pour moi. Mon parcours a été très tumultueux, c’est tout. C’est fou, mais si j’en suis là aujourd’hui, c’est peut-être grâce à la vente de drogues. C’est horrible, mais les sessions de studio, à 40 euros de l’heure, comment tu les payes lorsque tu as 18 ans ? Comment tu fais ? J’ai investi, j’ai fait mes trucs, je suis allé clipper à Miami et une fois rentré je me suis retrouvé en prison.
Aujourd’hui, la justice t’en veut encore.
Soso Maness : C’est ma vie, cela me fait plus rire qu’autre chose, car je prends les choses comme elle viennent. Je ne peux pas m’en plaindre, j’ai des amis qui sont six-pieds sous terre et d’autres qui sont derrière les barreaux pour 30 ans. Que ce soit dehors, ou même condamné à plusieurs mois en prison, comme je peux me plaindre ? Je me plains de l’insalubrité dans les quartiers et dans les prisons, mais moi, je ne peux pas me plaindre de ma vie. Je fais de la musique, j’ai le sourire. J’ai l’impression que ce n’est même pas possible, qu’un jour, quelqu’un va venir me chercher pour me dire qu’on s’est trompé de cible, qu’une autre personne va me remplacer (rires).
Au final, quand tu dis « Dans ce rap, je suis comme Rimbaud », ça colle.
Soso Maness : Déjà, les jeunes connaissent peu, ils peuvent se renseigner, aller chercher qui est Arthur Rimbaud. Moi je suis un poète de la rue, un poète de notre époque. Quand Picasso peint Guernica, c’est une attaque contre le franquisme, c’est quelque chose d’assez dark. Il faut se dire qu’aujourd’hui, on est dans une période assez dark aussi, on est là pour le constater… Rendez-vous ce Vendredi 22 mars pour découvrir tout ça !