Avis aux nostalgiques, la mode est un éternel recommencement…
On la retrouve dans les rues, sur les podiums et les pages de magazine. La mode des nineties est de retour depuis quelques années, redonnant un second souffle à des marques streetwear et des articles emblématiques de cette époque. Couleurs fluos, chaussures à plateforme, dad shoes, banane… Qu’est-ce que la mode des années 90 et comment celle-ci a réussi à faire son come back presque trente ans après ? On vous dit tout, avec l’analyse de Romain Pottier, chargé de développement de l’enseigne Sergio Tacchini en France.
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Années 90, entre excentrisme et minimalisme
Le prince de Bel Air et Friends animent le petit écran, le RnB connaît son âge d’or, les vidéoclubs ont la cote et internet fait ses débuts. Le style est quant à lui un parfait mélange entre grunge et streetwear. Les survêtements deviennent un indispensable à compter dans sa garde-robe, les baskets se font épaisses et les bananes se portent autour de la taille de la jeunesse de l’époque. Les enseignes italiennes Fila, Kappa ou encore Sergio Tacchini règnent en maître sur le monde de la mode et rivalisent avec des marques anglaises et américaines comme Umbro,Champion, Adidas ou Nike. Nous sommes dans les années 90 et la mode a une place de choix dans le coeur des jeunes. Jeans taille-haute, coupe droite, bombers, logos surdimensionnés, sweats, t-shirts à messages, motifs hawaïens, chemises aux imprimés tartan ou animaliers… Le style des années 90 est difficilement définissable tant ses caractéristiques sont diverses.
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Notre survêtement inspire une certaine élégance à l’Italienne
Entre pratique du jogging et extravagance des baskets à plateformes portées par les icônes mode de l’époque, à savoir, entre autres les girls-bands comme les Spice Girls, la mode se veut libératrice et audacieuse. Loin des années 80, les vêtements de la décennie suivante sont moins structurés, plus simples et donc plus confortables. Aux pieds de Tupac avec le modèle 96 GL, Fila séduit aussi bien dans les cours de récréation que dans le monde du gangsta rap. L’enseigne Champion bénéficie quant à elle d’une publicité sans pareille en devenant l’équipementier de la NBA. L’Omni de Kappa se multiplie sur les manches et les pantalons de jogging que l’on porte fièrement. Les jeunes de quartier détournent et s’approprient les marques de tennis comme Lacoste ou Sergio Tacchini, Romain Pottier analyse : « Dès les années 90, notre marque a séduit le milieu urbain. IAM vont même jusqu’à chanter « survêtement Tacchini » dans l’une de leurs chansons phares. Ils expriment déjà la fierté de porter une marque tout en ne quittant pas le confort du survêtement et les codes de la rue. Notre survêtement est devenu emblématique des 90’s et inspire une certaine élégance à l’Italienne. ». Mais si ces marques sportswear ont connu un succès sans précédent durant les années 90, elles s’effondrent quelques années plus tard et font face à un désintéressement total de la part du public.
Un phoenix prêt à renaître de ses cendres
C’est quelques années plus tard et après un long passage à vide, dû à l’arrivée de nouvelles tendances, que ces marques streetwear font leur retour sur le devant de la scène. Dans un contexte de « nostalgie » général qui se manifeste à travers le cinéma, la musique ou encore les jeux vidéo, la mode suit le mouvement et mise sur un retour aux sources. Ce regard en arrière n’est pas une chose nouvelle, puisque la pop-culture influence son présent en s’inspirant du passé : Tarantino explique avoir emprunté les codes des séries western des années 1960 pour son film The Hateful Eight pendant que les groupes rocks des années 2000 puisaient alors dans la culture punk des années 70. Véritable recommencement, la mode suit également ce schéma circulaire.
Idéalisée et synonyme d’une époque considérée comme utopique, la mode se fait nostalgique de ces années 90. D’autant plus que les directeurs artistiques des marques sont des trentenaires, donc nés durant les années précédents ce nouveau millénaire. Une stratégie commerciale qui joue sur l’affect, véritable clin d’oeil à leur propre enfance à celle de leurs clients, les enseignes misent sur l’émotion et les souvenirs que ce type de collection rétro peuvent susciter chez le client.
Le rap est l’essence même de la marque Sergio Tacchini en France
Ce revival des années 90 concorde également aux envies et besoins de notre société actuelle. A l’ère du tout-jetable et dans un monde où l’on vit en accéléré, la mode mise sur des pièces streetwear confortables et indémodables. Enfin et pour la première fois dans l’histoire de la musique moderne, le hip-hop a détrôné le rock en devenant la musique la plus écoutée au monde. Or le monde hip-hop, né dans la rue, ramène sur le devant de la scène, le streetwear. Les rappeurs choisissent ces marques emblématiques des années 90 qui véhiculent une certaine idée d’authenticité et rappellent le style des plus grandes figures du mouvement révélées à cette même période. Romain Pottier nous explique : « Cette omniprésence de la musique urbaine dans notre société actuelle a été favorable au retour de marques streetwear emblématiques des années 90 comme Sergio Tacchini. Aujourd’hui, nous considérons cela comme une force et nous nous faisons un plaisir de collaborer avec des artistes comme IAM, NTM ou encore Koba La D avec qui nous avons organisé un showcase dans un magasin Citadium à Paris. Il est important pour nous de conserver ses liens avec la musique rap, qui est l’essence même de la marque Sergio Tacchini en France. » Un cocktail de facteurs qui constitue, au final, une aubaine pour ces enseignes des années 90. Elles connaissent depuis un second souffle.
Un nouvel âge d’or
Jogging rétro, bob, chaussettes apparentes, baggy, coupe oversized, peau de pêche, nylon et autres emblèmes des années 90 se retrouvent sur les catwalks des plus grands. Les directeurs artistiques de grandes maisons misent sur ces silhouettes vintages indémodables et les enseignes streetwear successfull des années 90 perçoivent alors ce retour aux sources comme un tremplin. Tête pensante de la maison Vetements, Demma Gvasalia a flairé la bonne idée en détournant le logo Champion en « V » de Vetements. Un piratage qui satisfera, finalement, l’intérêt financier des deux marques, puisque cela constituera un véritable coup de fouet pour Champion.
Sergio Tacchini joue sur deux tableaux générationnels
Fila, Kappa, Ellesse, Umbro, pour ne citer qu’elles, s’empressent de rééditer et réinterpréter des modèles emblématiques de leur âge d’or. Fila ira jusqu’à créer des lignes spécialement dédiées au vintage, comme Fila Vintage ou Black Line. En 2011, Ellesse crée, quant à elle, sa ligne « Héritage » en puisant dans son historique stylistique et s’associe deux ans plus tard aux géants Asos et Urban Outfitters, pour des collaborations qui ont fait bondir ses ventes. Les enseignes mainstream comme adidas signent le retour de la basket Stan Smith en 2014 et Nike, le modèle Cortez, popularisé par Tom Hanks dans le film Forest Gump. Du côté de l’enseigne Sergio Tacchini, Romain commente : « Aujourd’hui, notre marque se présente comme un pont intergénérationnel : les 35/40 nous connaissent depuis l’époque d’IAM et aujourd’hui nous veillons à séduire les plus jeunes en collaborant avec les artistes d’aujourd’hui. Depuis 5 ou 6 ans nous avons développé notre ligne « Archivio » qui réédite des articles emblématiques des années passées et qui nous permet de jouer sur ces deux tableaux générationnels. C’est une collection qui s’appuie sur des valeurs sûres et sur l’identité même de Sergio Tacchini. »
Très vite, tout ce qui est siglé 90’s devient culte. Les jeunes aiment le vieux, à tel point que fortes d’un franc succès, des marques streetwear comme Fila font leurs premiers pas sur les catwalks de la Fashion Week de Milan en 2018. De Balenciaga, à Tommy Hilfiger en passant par Schott ou Off-White, toutes les enseignes insufflent un air rétro à leur collection, et ça marche. La mode des années 90 est aujourd’hui plus tendance qu’elle ne l’a été à l’époque. Mais s’il est prudent de jeter un oeil dans le rétro, est-il judicieux d’en oublier la route devant soi ? Puiser à ce point dans le vintage peut donner la sensation d’un monde de la mode en panne d’inspiration. Reste donc à savoir quand nous pourrons identifier un réel futurisme dans la mode…