Une histoire de la musique arabe dans le rap américain et francophone…
Le 12 septembre dernier, un symbole a disparu, un artiste qui a marqué les premières générations d’immigrés et leurs enfants : Rachid Taha. Chanteur algérien ayant grandi et vécu en France, mondialement connu. Avec ses chansons aux influences algériennes, punk et rock, il se place comme pionnier d’une musique qui crée des ponts entre les différentes cultures. Son parcours a rencontré à plusieurs reprises le rap : la dernière fois, c’était lors d’un live avec le rappeur Hamza qui a samplé son tube planétaire Ya Rayah (une reprise de Dahmane El Harrachi) pour Juste Une Minute. L’artiste belge nous a confié à la sortie de son album que cette idée lui est venue en l’écoutant dans un film, « C’est une sorte d’hommage ». Ce croisement de générations peut nous rassurer sur un point : Rachid Taha n’emportera pas dans sa tombe son héritage musical et culturel. Encore plus que ses aînés, la nouvelle génération est plus que fière de ses origines et la musique est le meilleur moyen de leur rendre hommage.
À LIRE AUSSI
L'Algérie dans le Rap Français [DOSSIER]
Les « vinyle diggers », ces chasseurs de trésor
Mais avant cela, la musique arabe et le rap se sont rencontrés plusieurs fois. Les sonorités orientales étaient déjà présentes dans l’histoire du hip-hop, bien avant Hamza, de l’autre côté de l’Atlantique. Alors que cette nouvelle culture qu’est le hip-hop monte petit à petit et que l’industrie du rap bat son plein, la technique du sample fait fureur. En effet, les échantillons retenus pour composer la partie instrumentale de nombreux titres sont extraits de morceaux à fortes composantes mélodiques. Seulement voilà, les stocks de samples des beatmaker commencent à s’user, les disques de funk, de jazz et de disco n’en finissent plus de tourner. C’est alors que dans la dernière décennie du 20eme siècle, une masse de producteurs décide d’explorer plus loin et d’aller chercher à exploiter de nouvelles sonorités.
La musique arabe, à comprendre musique du monde arabe (Moyen-Orient et Maghreb), apparaît donc comme une mine d’or pour ces nouveaux passionnés. Cette musique a vécu son âge d’or juste avant, dans les années 60, où un bon nombre d’artistes a explosé et a créé les classiques de cette bibliothèque gigantesque. De plus, la musique orientale n’est pas composée de la même manière que la musique occidentale : la gamme des notes est plus riche que la gamme traditionnelle utilisée dans la musique européenne. Il y a donc un gage de nouveauté avec ces nouvelles sonorités, sachant que celles-ci sont très peu connues du public occidental. Cet attrait pour la musique arabe a créé le phénomène des vinyles diggers : des chasseurs de vinyles qui fouillent tous les disquaires de Beyrouth, à la recherche du prochain vinyle qui pourra être réutilisé et se vendre à prix d’or. Encore plus que les autres musiques, le marché de la musique arabe s’avère très lucratif : on peut revendre 1000 euros un vinyle acheté 2 euros dans un marché. Les raisons de cette incohérence sont multiples : ces disquaires sont en réalité les seules archives de ce patrimoine musical, la culture n’étant pas forcément la priorité numéro un dans les pays du monde arabe. En raison de faibles structures locales qui n’ont pas le poids pour suivre ces lois, la notion de droits d’auteur n’est pas encore très claire. Doit-on des droits à l’interprète ? Au compositeur ? Au label ? En Algérie par exemple, la plupart des chansons classiques sont dans le domaine public. Les artistes ne travaillaient pas à leur compte, mais en tant que fonctionnaires, employés par la radio publique nationale : ils n’ont donc pas de droits sur la musique qu’ils créent.
Un fantasme du Moyen-Orient, plein de nouvelles sonorités
Aux USA, la plupart des samples de chansons arabes utilisés dans le hip-hop servent simplement à créer de nouvelles sonorités… Des sonorités devenues des productions mythiques dans le rap ou le RnB. On peut penser à la prod’ de Timbaland réalisée pour Jay Z sur Big Pimpin en feat avec UGK. Le morceau devient très rapidement un hit et se situe au sommet des charts. La chanson sera classée parmi les « 500 meilleurs titres de tous les temps » par le magazine Rolling Stone. Pour ce titre, Timbaland a samplé la flûte du morceau Khosara, composé par Baligh Hamdi, très célèbre en Égypte pour sa présence dans le film Fatah Ahlami. Un long-métrage dans lequel la chanson est interprétée par le crooner égyptien Abdel Halim Hafez. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais en 2007, l’héritier du compositeur décide de poursuivre Jay Z et Timbaland en justice pour plagiat. Selon lui, EMI Arabia n’avait pas acheté le droit de sous-licencier le titre pour qu’il soit utilisé dans une autre oeuvre. Il soutient aussi que l’utilisation qui est faite du titre est contraire aux limites de la loi égyptienne sur les oeuvres artistiques en ce qui concerne la morale (femmes en bikinis, vulgarité…). Après huit ans de combat juridique, les deux Américains sont innocentés et Osama Ahmed Fahmy n’a jamais pu récupérer sa part du gain.
Aaliyah, alors jeune papesse du Rnb, n’est pas en reste. Plusieurs de ses titres les plus connus sont des clins d’oeil aux chansons arabes. More Than A Woman en est un parfait exemple. Sorti en novembre 2001, la chanteuse a interprété le titre lors d’une représentation au Tonight Show with Jay Leno, qui sera d’ailleurs sa dernière représentation avant son décès. Le single a d’ailleurs été nominé aux Grammy Awards dans la catégorie de la meilleure prestation vocale R&B féminine. Timbaland n’a jamais crédité la chanson originale de Mayada El Hennawy, Alouli Ansa. Le producteur n’a jamais crédité non plus le morceau qui a servi de sample pour le hit Don’t Know What To Tell Ya, pourtant repris de manière quasi intégrale et en boucle. C’est la chanteuse algérienne Warda et son titre éponyme Batwanees Beek qui ont permis de réaliser ce son.
On pourrait en citer des dizaines comme ça, de Ne Yo à Asap Rocky, en passant par Foxy Brown. On peut parler d’Hood Scriptures qui est un morceau aux sonorités orientales beaucoup plus marquées que les autres. En effet, Pretty Boy, le producteur, ne s’est pas contenté de faire simplement dans le sample. L’instru et le refrain ont totalement été repris du titre Ya Bouy de Ragheb Alama, chanteur et compositeur libanais. Le morceau se construit sur une dualité entre les couplets de Foxy Brown et les refrains de Alama, comme si la chanson était un feat. Est ce que Ragheb Alama a touché des droits dessus ? Pas si sûr.
Les rappeurs américains ne se contentent pas uniquement de sampler les chansons : c’est toute l’esthétique autour qui intéresse. Cette image de nouveau millionnaire Qatari attire, il y a comme un fantasme du Moyen-Orient ultra friqué, hyper sexualisé, avec chèches, cigares et jolies filles. Vu 32 Millions de fois, le clip d’Arab Money de Busta Rhymes n’a finalement rien d’arabe, mais enfante les clichés qui tournent autour de ces nouveaux riches. S’inscrit dans cette lignée Bad Girls de M.I.A. ou Bodak Yellow de la rappeuse Cardi B, où on peut voir la rappeuse en abaya et foulard, chevauchant un dromadaire dans le désert. La scène est coupée par des manieurs de sabres et des belly danseuses. L’orientalisme poussé à son paroxysme.
Le sample arabe : une manière de revendiquer ses origines
Il faut prendre en compte le fait qu’aux États-Unis, la diaspora maghrébine n’est pas aussi importante qu’en France. Avec son passé colonial et la vague d’immigration qui a suivi cette période, l’hexagone compte aujourd’hui sur une population originaire d’Afrique du Nord beaucoup plus grande et influente. On le ressent d’ailleurs dans le rap où la communauté maghrébine est beaucoup plus présente qu’aux USA : contrairement au rap anglophone où le sample de musique arabe est juste une mélodie qui sert à sublimer une prod, dans le rap français, ce sample permet de mettre en avant ses origines. L’exemple le plus parlant est Tonton du Bled. En 1999, Rim K sort le son qui va accompagner tous les jeunes pendant le voyage au bled de l’été. Fidèle à ses origines, l’instru est en réalité un sample d’un artiste algérien très connu, Ahmed Wahby, figure emblématique de la musique en Algérie. C’est sa chanson Hargetni Dam’aa (la larme m’a brûlée) et notamment la partie du violon que DJ Mehdi a repris pour créer la prod de Tonton du bled. Un sample d’autant plus pertinent que la chanson parle du retour au pays pendant les grandes vacances.
J’ai passé un bon mois dans ce qu’on appelle le tiers-monde
Un autre exemple un peu moins connu, mais tout aussi pertinent est une ancienne chanson d’un pionnier du rap en France, animateur de radio et rappeur français, Lionel D. Pour toi mon frère le beur est d’ailleurs le premier rap en France exprimant le malaise éprouvé par la communauté arabe dans les quartiers. Assez mal accueilli à sa sortie, il sera même retiré de la vente à cause de menaces. Le son sample la chanson iconique A’tini El Nay de Fairouz, diva libanaise des années 80. Lionel D reprend toute l’introduction de la chanson de Fairouz, dont on entend aussi la voix sur le refrain.
La réappropriation de la culture par les jeunes artistes
Dans le rap comme dans la mode, la culture arabe se ressent aujourd’hui partout. Mais ce qu’on remarque souvent, c’est qu’elle n’est pas directement utilisée par les personnes concernées. C’est ce que dénoncent Mohamed Sqalli, directeur créatif dans la musique et Ilyes Griyeb, photographe, qui ont récemment signé une tribune sur le site Konbini, Et si on laissait les artistes arabes raconter eux-mêmes leurs histoires. Dans l’article, les deux hommes reviennent notamment sur l’esthétique arabe dans la mode et dans la musique électronique. Avec leur collectif Naar, ils veulent resserrer les liens entre artistes du Maghreb et de l’Occident. Le collectif a frappé fort avec un premier visuel pour Money Call, réunissant le duo Shayfeen, Maad (qui rappent en dialecte marocain) et Laylow. « L’objectif de NAAR, c’est de conseiller, produire et promouvoir les projets des artistes marocains. Avec Ilyes, on a lié nos forces pour trouver des projets originaux et puissants qu’on ne retrouvera pas que dans des médias publics de la francophonie, comme on a l’habitude de le voir pour les artistes arabes. Leur art est subventionné, mais touche un petit public et a une dimension davantage sociale qu’artistique », explique Mohamed Sqalli à HuffPost Maghreb. C’est le rappeur Lacrim qui a d’abord mis en avant Shayfeen en les invitant sur le morceau 3dabi (« Ma douleur ») présent dans RIPRO3. Récemment, à Paris, le collectif a retourné la Belleviloise, avec notamment le rappeur marocain Toto, ou encore le producteur Ikaz Boi…
Une réappropriation que des artistes francophones font aussi, comme le duo Triplego, composé de Momo et Sanguee. Momo sample les musiques classiques de leur enfance et Sanguee rappe en mélangeant les mots français et arabe. Leurs clips homemade mettent souvent en avant leurs différentes cultures, avec des symboles qui rappellent leur pays d’origine, des clubs de foot marocains, la vie de quartier. Ce que fait Soolking d’une manière différente. Un rappeur présent dans notre liste des rappeurs à suivre en 2018, présenté dans le 2ème épisode du Wesh. Venu tout droit d’Algérie, voix raï sur grosse trap, Soolking parle de son passé difficile, de son envie de s’en sortir et exprime son amour pour son pays. Le grand public l’a découvert lors d’un freestyle au planète rap de Fianso où il a interprété le morceau Guerilla. Trompette, mélodie rendant hommage à Raïna Raï, la vidéo ne cumule pas moins de 130 millions de vues. Soolking prépare d’ailleurs son premier album, qu’il a annoncé pour novembre 2018.
Des preuves que l’art de la musique arabe a traversé les continents et qu’il a désormais plus que jamais sa place dans la sphère francophone.