Actualités Musique

Quand Sofiane devient « Gatsby Le Magnifique » [REPORT]

Quand Sofiane devient « Gatsby Le Magnifique » [REPORT]

Au festival d’Avignon, Fianso est monté sur les planches pour interpréter un mythe de la littérature américaine. Et devinez quoi ? Booska-P y était.

Qu’on se le dise, le jour de gloire est bel et bien arrivé. Pour notre équipe de France de football, certes, mais pas seulement. La culture urbaine démontre aujourd’hui sa capacité à se hisser dans les hautes sphères d’un hexagone plus que jamais addict au rap. Le tout grâce à certains artistes qui prennent des risques sans jamais se trahir. Peu après la coupe du monde remportée par les Bleus, on a pu le constater au festival d’Avignon où Sofiane enfilait le costume de Gatsby Le Magnifique le temps de deux représentations.

Un mythe de la pop culture bien présent dans les têtes, de quoi susciter quelques interrogations. Qu’est venu nous proposer Fianso ? Pourquoi le théâtre ? Une création France Culture avec un rappeur en tête d’affiche, vraiment ? Pour en avoir le coeur net, Booska-P a décidé de se rendre sur place, « en Avignon » comme disent les brochures pour touristes.

À LIRE AUSSI 
Fif Stories #8 : Sofiane, Le paria devenu roi [VIDEO]

Docteur Fianso et Mister Gatsby

Rendez-vous le lundi 16 juillet au superbe Musée Calvet. Il est vingt heures, l’heure du JT. Si aux informations on croise des foules de Français dans les rues, drapeau en main pour fêter la deuxième étoile des tricolores, ce n’est pas tout à fait la même chose dans ce coin du sud. Derrière les remparts, rue Joseph Vernet, ça s’agite. La foule est particulièrement dense, le public vient de tous les horizons. Une photographie de ce que le game peut offrir comme diversité en 2018 ? Des jeunes, des vieux, des casquettes à l’envers, des gens bien peignés… Même dans ce lieu prestigieux, l’étiquette n’a plus sa place. Peu importe le fait qu’on soit venu pour Fianso ou bien Gatsby, la création proposée par France Culture se dévoilera dans quelques instants et personne ne fait de bruit. Les sourires discrets sont de mise et chacun paraît concentré, attentif.

Polo sur les épaules, il est désormais Gatsby. (…) L’artiste joue, mais dégage un petit quelque chose de terriblement naturel

Vingt heures et une minute, la pièce peut commencer. On a croisé Sofiane au détour d’une rue juste avant le spectacle, avec un mot glissé et un sourire, comme à son habitude. Sur scène, même malice ou presque. Polo sur les épaules, il est désormais Gatsby. Le Magnifique, oui, c’est bien lui. Ce qui frappe d’emblée, c’est qu’aucun tic ne vient perturber son arrivée face au public. L’artiste joue, mais dégage un petit quelque chose de terriblement naturel. Il fait corps avec son personnage. Comme il l’a confié aux journalistes de Vaucluse Matin, ce rôle a pour lui un côté spécial, il est question de « Docteur Fianso et de Mister Gatsby ».

On ne peut pas revivre le passé

Mais qui est Gatsby ? Un personnage tout droit sorti de la plume de Francis Scott Fitzgerald. Son roman prend place dans le New-York de la prohibition, après une grande guerre pendant laquelle Gatsby aurait, parait-il, « tué un homme ». Celui qu’on surnomme Le Magnifique n’est pas un gars comme les autres. Richissime résident de Long Island, il parade dans un bolide jaune crème et organise des fêtes plus somptueuses les unes que les autres. Un type plein aux as, mais dont on ne sait rien ou presque. Sur les planches, c’est Pascal Rénéric, chargé d’interpréter le personnage de Nick, qui fait les présentations : « Il (Gatsby) me sourit dans une sorte de complicité. L’un de ces sourires qu’on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassurent à jamais. (…) Qui croit en vous comme vous aimeriez croire en vous-même ».

Sofiane passe du rire à la sévérité d’une scène à l’autre. La pièce est un peu à l’image de sa carrière. Houleuse et accrocheuse

On croise ici un Sofiane charmeur tel qu’on le connaît, mais dans les traits d’un Américain plutôt louche, dangereusement séduisant. Car oui, c’est bien de séduction qu’il s’agit. Gatsby met tout en oeuvre pour reconquérir un amour passé. Le genre de femmes pour lequel on est prêt à se mettre en danger, à faire tout et n’importe quoi pourvu que cela fonctionne. Néanmoins, rien ne fonctionne sans espoir et celui-ci va s’évanouir. Comme l’affirme Nick Carraway « on ne peut pas revivre le passé ». De quoi faire tanguer un Magnifique pourtant bien lancé pour rattraper la belle et désirable Daisy, campée par Rebecca Marder de la Comédie-Française. Rien de mieux, donc, pour apprécier les différentes facettes d’un Sofiane qui passe du rire à la sévérité d’une scène à l’autre. La pièce est un peu à l’image de sa carrière, houleuse et accrocheuse.

Des barrières brisées et une standing ovation

Accrocher les spectateurs, c’est ce que l’artiste réalise sans forcer. Les minots du coin sont conquis, l’un d’eux s’essaye même à quelques analyses scéniques, survêtement de Chelsea collé à la peau. Le pari est réussi, tous veulent désormais mater l’adaptation de Baz Luhrmann avec Leonardo Di Caprio ou même lire l’oeuvre culte de Fitzgerald. On ne parle plus de Fianso le rappeur, on cause de la pièce, de son jeu d’acteur. Au-delà des clivages, le réalisateur Alexandre Plank et le musicien Issam Krimi ont déjà signé l’un des plus gros moments du festival, salué par une standing ovation.

On a créé un affect avec un public, beaucoup viennent et se surprennent à aimer alors que ce n’est pas du rap. J’en suis flatté, casser les barrières, c’est quelque chose de beau

C’est peu dire qu’on s’y croyait, le musée Calvet ressemblant à la demeure de Jay Gatz. Entre une grande cours et des murs aussi hauts que beaux, le lieu a fait son effet. Dans des inspirations jazz, la musique d’Issam Krimi a transporté le public dans les pages du roman. Tout était naturel, évident, même la chaleur de l’été n’avait plus sa place, l’important était ailleurs, dans la rencontre entre différents univers qui désormais se comprennent et se complètent. Pour Gatsby « le monde se partage entre les proies et les chasseurs, ceux qui agissent et ceux qui renoncent ». On vous laisse deviner dans quelle catégorie nous classons nos artistes du jour…

Le Magnifique, c’est encore Sofiane qui en parle le mieux. De son jeu à sa volonté de traverser les disciplines, il a livré son sentiment après la deuxième et dernière représentation de la pièce :

« Cette aventure, c’est comme une espèce de pièce hybride, avec de la musique, le lieu, etc. J’ai kiffé le faire et quand tu bosses avec des comédiens aguerris, il y a un truc qui s’installe. Les mecs te disent que le meilleur truc à faire, c’est de ne rien faire. Car tu peux te perdre en cherchant des mimiques et des visages. Au final, j’ai essayé d’être le plus naturel possible. Ils ont pensé à moi grâce à la pochette d’Affranchis. Je me suis tué, j’ai voulu apprendre, faire le maximum et j’ai essayé de ne pas afficher notre monde à nous. On a créé un affect avec un public, beaucoup viennent et se surprennent à aimer alors que ce n’est pas du rap. J’en suis flatté, casser les barrières, c’est quelque chose de beau ».

Crédits Photos : Jérémy Ledeul

Top articles

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT