Plus triomphants que jamais, les Carter ont privatisé le musée du Louvre pour livrer un clip évènement où s’entremêlent les niveaux de lecture. Du jamais-vu dans le rap…
Actuellement aux quatre coins du globe avec la tournée blockbuster On The Run II, Jay Z et Beyoncé ont (une nouvelle fois) créé la sensation lorsque samedi dernier, lors de leur date londonienne, ils ont annoncé à la surprise générale la sortie d’un album commun de neuf titres intitulé Everything Is Love.
Et histoire de faire bonne mesure, le couple a également dévoilé le clip du single APESHIT (« going apeshit » : péter un boulon, devenir ouf’) dont les paroles se veulent être une célébration sans retenue de leur réussite.
Tourné en plein musée du Louvre à Paris, ce concentré de « black excellence » exploite à merveille le décor à coup de plans tous plus majestueux les uns que les autres.
Si la question de savoir comment les deux stars ont réussi à ce qu’aucun bruit ne filtre quant à ce projet relève du mystère, sachez que si vous souhaitez vous aussi vous filmer dans le plus grand musée d’art du monde autrement qu’avec une perche à selfie, selon la grille tarifaire de 2015, il vous en coûtera un peu moins de 20 000 euros.
Un prix somme toute très abordable pour le duo milliardaire dont la passion pour l’art est depuis quelques années bien documentée (cf. le Picasso Baby de monsieur tourné en 2013 dans la très select Pace Gallery newyorkaise ou ses achats répétés de toiles signées Jean-Michel Basquiat).
Il serait pourtant très réducteur de ne voir dans le clip d’APESHIT qu’une visite guidée à apprécier les yeux grands ouverts, tant les double sens sont nombreux. Explications et sous-titres.
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La Joconde, Léonard de Vinci (1503)
Si en 2014 Jay et Yoncé avaient posé une première fois en touristes aux côtés de Mona L., la signification est ici toute autre.
Quand lorsque dans le premier plan du clip, ils apparaissent avec son portrait en fond, on peut entendre les paroles « I can’t believe we made it » et « This is what we’re thankful for » – le tout appuyé par les ad-libs de Quavo. Et quand lorsque le clip se clôt sur ce même plan, c’est pour voir les Carter se retourner et regarder droit dans les yeux le tableau le plus connu au monde.
Désormais, ils n’ont plus à rougir de la comparaison.
La Vénus de Milo (Ier siècle av. J.-C.)
Alors qu’en 2016 Beyoncé sortait Lemonade qui prenait comme fil conducteur les infidélités de son mari, il semblerait que pas mal d’eau ait depuis coulé sous les ponts à en juger par ce plan où les deux tourtereaux se tiennent main dans la main devant la déesse grecque de l’amour Aphrodite.
Comme précédemment l’analogie avec la chanteuse n’est pas exclue, d’autant plus que c’est quand même elle qui accomplit sur ce titre la majorité du taf.
La Victoire de Samothrace (IIéme siècle av. J.-C.)
Plus grande star du musée du Louvre (5,57 mètres de haut), cette statue de la déesse ailée Niké composée de 200 blocs de marbre aurait été commanditée pour célébrer la victoire des Rhodiens sur les Macédoniens lors d’une bataille navale.
Filmée sous tous les angles dans APESHIT, l’œuvre vient évidemment appuyer l’idée selon laquelle Jay Z et Beyoncé écrase la concurrence de tous leurs poids, mais elle peut aussi souligner le fait que les deux artistes ont fini par venir à bout de l’hégémonie culturelle représentée alors par la Grèce hellénistique.
Le Sacre de Napoléon, Jacques-Louis David (1806)
Cette pièce gigantesque, réalisée par le peintre officiel du premier empereur des Français, montre ce dernier se saisir de la couronne en lieu et place du pape pour se la poser lui-même sur la tête, avant de renouveler son geste en couronnant sa femme Joséphine.
Hustlers dans l’âme, le rappeur et sa go ont eux aussi dû s’affranchir de certaines règles édictées par d’autres pour arriver au sommet. Notez que d’autres toiles de David peuvent être aperçues plus brièvement dans le clip : Le Serment des Horaces (1784), L’Intervention des Sabines (1799) et le Portrait de madame Récamier (1800).
Le Radeau de la Méduse, Théodore Géricaul (1819)
Œuvre hautement politique, Le Radeau de La Méduse se veut d’une part une critique de la monarchie Bourbon (via l’incompétence d’un capitaine choisi non pas pour ses qualités, mais pour son allégeance au pouvoir) et de l’autre un manifeste pour l’abolition de l’esclavage (via le choix de placer un homme noir au centre de la composition).
Que Jay Z ait choisi de rapper devant ce tableau est tout sauf anodin, lui qui dans son couplet s’en prend à l’ordre établi (la NFL, les Grammys), et qui plus généralement a très tôt dans sa carrière essayé d’échapper aux stéréotypes raciaux et sociaux en se lançant dans les affaires.
Le Grand sphinx de Tanis (entre 2600 et 1866 av. J.-C.)
Hors Afrique, le Louvre propose l’une des plus grandes collections d’œuvres d’art égyptien.
Pièce phare du musée, ce corps de lion à tête de roi rappelle malgré lui cette expropriation et « l’exotisation » qui en découle.
La galerie d’Apollon, Charles Le Brun (milieu du 17ème)
Chef d’œuvre du classicisme français bâti sur ordre de Louis XIV, son plafond est notamment décoré selon différents thèmes : la course du soleil, la course dans l’espace et la course dans le temps.
C’est cette course au temps qui explique la présence de motifs relatifs aux heures et aux signes du zodiaque.
Si un gros plan capture le signe de la Vierge, c’est que Beyoncé est née le 4 septembre.
Portrait d’une négresse, Marie-Guillemine Benoist (1800)
L’une des très rares peintures de son époque où une femme noire n’est pas représentée sous les traits d’une esclave ou d’une subalterne, mais en tant que modèle à part entière et de ce fait canon de beauté.
Du fait de son importance, le tableau apparaît à plusieurs reprises dans le clip. Puritanisme oblige, la poitrine nue de la jeune femme est cependant à chaque fois censurée.
La pyramide du Louvre, I.M. Pei (1989)
Très controversé lors de son inauguration (comment ça faire du Louvre un « musée de masse » ? Comment ça du verre et de métal au beau milieu de la cour de Napoléon ?!), le monument a fini par s’imposer comme l’un des plus iconiques de la capitale.
Est-il vraiment besoin de souligner plus en détails le parallèle fait avec un genre considéré à ses débuts comme une vulgaire mode et qui aujourd’hui fait figure de nouvelle institution ?
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