Rencontre avec Oxmo Puccino pour un récit à travers les rues de la capitale…
Oxmo Puccino photographié avec l’iPhone X par Flora Metayer
Mettre le cap sur différentes villes de l’hexagone via le prisme du hip hop, voilà le but de cette nouvelle série que vous propose Booska-P, en partenariat avec Apple. Notre visée est simple, dessiner un chemin entre les rappeurs et leurs origines, questionner leurs racines et proposer une cartographie du game. Première étape : Paris 19, avec Oxmo Puccino.
Les liens entre une ville et un artiste sont parfois difficiles à démêler. Comme les lacets emmêlés de nos sneakers, qui dessinent les tracés de carrières aussi longues que sinueuses, dans un rap qui évolue. Pourtant, tout est clair pour Oxmo Puccino, un artiste à la fois dans les murs de la capitale et ailleurs. Un homme qui évolue toujours avec Paris dans un coin de la tête. A l’heure de la réédition d’un Opéra Puccino âgé de 20 ans, rendez-vous avec le Ox’ pour qu’il nous raconte son Paris. Un voyage de 105 km carrés, avec le 19ème arrondissement comme lieu fondateur, mais aussi d’autres lieux emblématiques.
Paname, le point de départ
Malgré ses années de carrière, Oxmo Puccino reste un enfant du 19ème arrondissement, un type marqué par ce qu’il a vu, senti et entendu. Pour lui, Paris reste synonyme de patrimoine et de souvenirs. Celle d’une époque où il ramenait sa carcasse dans les studios bien avant de rapper. Lorsqu’on l’interroge sur les lieux marquants de sa vie de Parisien, les noms volent : « Les studios Davout ont fermé récemment, j’y ai enregistré le morceau Pucc’Fiction. C’était un des studios de prédilection du rap français. J’ai Guillaume Tell qui me vient aussi en tête, ou des petits studios comme Mercredi 9 à l’époque. J’ai mon studio, Studio Ferber porte de Bagnolet ». Plus loin, il évoque également le 88.2 des débuts, un lieu qui ne pouvait exister qu’à Paris selon lui : « Il y a des historiques qui me marquent. La radio Générations, à l’époque où c’était une antenne qui diffusait depuis un hôpital. Il fallait traverser la cantine pendant que les pensionnaires mangeaient. On rentrait dans la salle du fond et là, c’était un autre monde ».
Car oui, la capitale est le lieu des rencontres. Celles entre plusieurs mondes, plusieurs cultures. Oxmo a lui rencontré son art, le rap, du côté des studios Plus 30 en compagnie d’un certain MC Solaar. L’occasion d’assister à la naissance d’un hit, et de comprendre, ce pourquoi il était fait : « Lorsque MC Solaar enregistrait son hit Digicode, c’est la première fois où j’ai réussi à analyser ce que je ressentais. C’était drôle. Lorsqu’on est en studio et qu’on est en train de faire un gros morceau, on le sait. Mais quand tout le monde le sait aussi, c’est spécial. Il y a une atmosphère qui se crée, une espèce d’euphorie générale qui va toucher n’importe qui ».
Oxmo Puccino photographié avec l’iPhone X par Flora Metayer
Loin d’en faire un poster idyllique, il parvient également à livrer une photographie réelle d’un 75 pas si rose. Dans Opéra Puccino, déjà, deux morceaux frappent l’auditeur par leur vérité. L’enfant seul traite d’une perte de repères, des bas-fonds jusqu’aux quartiers neufs, pendant que Peu de gens le savent donne une parole au 19ème : « Je n’ai pas de clivage dans mon discours, je parle à tout le monde. Parce qu’on a tous les mêmes problèmes en vérité. Il n’y a que la couleur qui change. Je parle du 19ème en général, pas forcément de mon seul point de vue. Je m’en suis rendu compte avec le temps, les désagréments peuvent changer de visage, mais touchent de la même manière. Décrire une réalité, et pas simplement sa réalité ».
Je n’ai pas de clivage dans mon discours, je parle à tout le monde. Parce qu’on a tous les mêmes problèmes en vérité
Mémoire du Nord-est de la ville, Oxmo Puccino avait pris soin de scanner son environnement dans Peu de gens le savent. Une photocopie mentale qui tient toujours, à l’heure où « certaines souffrances coûtent moins cher que d’autres » : « C’est un rendu sans papier glacé, ni rien. C’est quelque chose qui avait été improvisé. Je n’étais parti que d’un petit truc qui était dans ma tête, un endroit de ma rue. Des images me traversaient l’esprit et j’ai tout balancé comme ça. Mon but n’était pas de convaincre quelqu’un, je voulais juste balancer ce que j’avais en tête et ce qui était profondément enfoui en moi. Des choses que je n’aurais pas pu chanter. Les choses qu’il y a dans Peu de gens le savent ne sont dans aucun autre morceau ». Et si un film avait pu décrire tout cela, le réalisateur Puccino a cadré les choses à sa manière, l’objectif braqué sur tout ce que Paris a de bien à offrir.
Une capitale difficile à dompter
Paris est une ville dure, compliquée. Un amour difficile, une relation dont aucun des belligérants ne sort indemne. Pour illustrer son propos, Oxmo choisit la métaphore : « L’inspiration de Paris est tellement puissante, qu’il faut beaucoup de force pour la réinterpréter. Cela peut prendre des années, c’est tellement riche, tellement costaud, qu’il ne faut pas finir écrasé par cette inspiration. C’est comme essayer de se servir un verre d’eau dans une cascade, c’est exactement la même chose. Tout ce qu’on veut, c’est un peu d’eau, mais comme la projection est trop puissante, le verre est toujours vide ». Dans le rap comme dans la vie, la ville doit être domptée pour pouvoir être appréciée à sa juste valeur. Lomepal, nouvel élément du rap de la capitale, va dans ce sens. Lui qui dit se perdre et ne retrouver que la porte de chez lui, comme débordé par le flux de Paris.
C’est notamment à cause de ce cadre que son Opéra Puccino n’a pas été enregistré à Paname. Comme il l’explique, pour un artiste, il est très compliqué de travailler à Paris : « Même aujourd’hui, je n’arrive pas à y travailler. J’arrive à avoir des rendez-vous, j’arrive à donner un petit espace-temps à mon travail, mais je suis plus occupé et préoccupé par tout ce qui se passe autour ». Pour travailler, mieux vaut donc s’évader d’après lui : « Pour se concentrer, on quitte toujours Paris. La cadence de production est multipliée par 5 ou 6 ».
Oxmo Puccino photographié avec l’iPhone X par Flora Metayer
A l’époque, difficile d’imaginer que cet album culte allait s’offrir une réédition 20 ans plus tard. Car « le plus tard était un concept abstrait. Surtout dans le rap ». Selon Oxmo, se projeter au-delà de deux ans était prétentieux. Normal qu’aujourd’hui, le bonhomme ne réalise pas encore : « C’est confus, c’est un mélange de plein de choses, sachant qu’on reste soucieux de l’avenir proche, ce qui n’arrange rien. C’est un voyage étrange dans ma tête, je n’essaye pas de comprendre. Il s’est passé tellement de choses depuis ces années : des milliards de questions, des gens qui ne sont plus là ».
A Paris, tout le monde à quelque chose de gros à raconter à la fin de sa journée. Il suffit de s’asseoir à Paris pour que sa vie change
Néanmoins, Paris s’affiche comme la ville de tous les possibles pour lui. Une cité de l’hexagone dans laquelle il est compliqué d’enregistrer, certes, mais qui garde une certaine attractivité. Ainsi, l’artiste a rappé sa ville en 1998 comme on pourrait le faire en 2018. Rien a pris une ride, les propos restent vrais, la noirceur du projet aussi. Optimiste, Puccino l’a été, étant lui-même la preuve qu’une ascension est imaginable : « Je crois qu’il y a des choses qui ne peuvent arriver qu’à Paris. L’impossible peut arriver, vraiment. A Paris, tout le monde à quelque chose de gros à raconter à la fin de sa journée. Il suffit de s’asseoir à Paris pour que sa vie change ».
Paris, un état d’esprit
Même loin de nos frontières, comme lorsqu’il se rend en Colombie, Oxmo Puccino fait le lien avec ses racines. Le nom de son projet enregistré en compagnie des musiciens du groupe Choc Quib Town ne laisse pas de place au doute : Paris Bogota. Dans son esprit, c’est clair, net et précis, sa vie rimera toujours avec Paris : « Quand on me demande d’où je viens, question un peu bizarre, je dis Paris. Je suis Parisien avant tout, j’ai grandi ici, j’ai failli naître ici. J’ai passé toute ma vie ici, je m’y suis nourri. Et puis je ne pourrais plus y vivre concrètement, car c’est trop, mais je resterais Paris toute ma vie, ça se ressent, ça se voit, ça s’entend ».
Mieux, le rappeur se décrit comme un Titi Parisien, une chose qu’il aime rappeler, comme il l’avait fait sur le remix du fameux morceau de Seth Gueko. Face aux idées reçues, il préfère assumer, car « tout part de Paris » : « Etre un Titi c’est quelque chose que j’assume totalement, alors que ça ne l’est pas forcément par rapport à mon histoire personnelle et par rapport au reste du territoire aussi. Car il y a cette image aussi du Parisien qui est comme-ci ou comme ça, à tort ».
Arrogant comme tout bon Parisien qui se respecte, Oxmo Puccino ? Pas franchement si on en juge ses propos, lui qui préfère replacer les choses dans leur contexte : « Paris donne un sentiment qui, pendant longtemps, a été pris pour de l’arrogance. Mais je crois qu’on n’a pas le temps de penser à ça, à l’arrogance, car on est pris dans un étau qui rend les rapports plus difficiles. Il y a un rythme de vie qui ne laisse pas de place aux sentiments. On peut confondre ça avec de l’arrogance, de la colère, ou de la haine, mais c’est juste de la peur et de la fatigue ».
L’union, c’est la promiscuité qui veut ça. Qu’on le veuille ou non, on vit ensemble et que ça se passe bien ou mal on reste proches
Homme de scène, voyageur intempestif, Oxmo n’aura jamais cessé de mixer différentes influences tout au long de sa carrière. D’un vol Paris Bogota à un arrêt au comptoir du Lipopette Bar, il n’y a qu’un pas, car la capitale est peut-être le sésame d’une ouverture sur le monde : « Les gens qui ont grandi dans le 19ème ont quelque chose de particulier que je ne peux pas expliquer. Parce que c’est une question de mentalité, de manière d’être. C’est une ouverture qu’il y a dans peu d’arrondissements à Paris, c’est une clef pour le reste du monde, le mélange de Paris et des quartiers. L’union, c’est la promiscuité qui veut ça. Qu’on le veuille ou non, on vit ensemble et que ça se passe bien ou mal on reste proches ».
Un Paris à la Oxmo c’est donc ça, une ville dont il faut tirer les ficelles, dans laquelle il faut à la fois « se disputer et y mettre du coeur ». Une capitale où la réussite coûte cher, mais où le possible est présent. Et si l’album Opéra Puccino est plus que jamais d’actualité pour décrire Paname, c’est parce que « seuls les requins survivent »…
Après avoir découvert la relation unique entre Oxmo Puccino et Paris, découvrez comment la capitale a inspiré Lomepal dans son nouveau morceau, Deux. Regardez la vidéo réalisée avec l’iPhone et écoutez le morceau complet ici. Plus d’info sur apple.com.
A voir, focus sur Lyon et son rap en compagnie de Casus Belli.