Après plusieurs projets d’une qualité constante et lui donnant une exposition croissante, Lacraps vient de revenir avec un nouvel album, « Boom Bap 2.0. », qui devrait également sortir en physique, à la faveur d’un deal qu’il vient de signer avec Urban Pias.
Rencontre avec Lacraps du côté de Stalingrad, posés dans un café de la Rotonde. On peut enclencher le dictaphone. Il nous explique le titre : « Boom bap 2.0, c’est parce que c’est un mélange entre le boom bap un peu traditionnel et les nouvelles méthodes. New school ça veut plus rien dire, là en ce moment y’a Rémy, Moha la Squale, un peu plus de trucs boom bap, mais c’est des cycles. Mais en vrai ça veut pas dire grand-chose, c’est les trucs classiques, avec un peu de modernité ».
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Sur les quinze nouveaux titres qu’il vient de livrer, Lacraps donne plus de place à la musicalité, avec plus de chant sur ce nouveau projet : « j’arrive à chantonner, j’ai bien dit chantonner, faut pas se prendre pour une cantatrice non plus. Mais ouais, j’ai bossé ça ». Sur Boom Bap 2.0, le Montpelliérain a confié les clés du studio à Nizi. Un membre de la team Kids of Crackling, comme Mani Deïz, qui avait signé les sons de 42 grammes.
Et comme son collègue, Nizi a signé l’ensemble des prods, pour un résultat cohérent et riche de sonorités variées. Le tout a ensuite été affiné par le mix impeccable de Loko, vieux routier du son ayant notamment fait partie des aventures ATK et Neochrome, soit un solide CV à l’échelle du rap français.
Au-dessus des clivages musicaux
N’ayant jamais été freiné par de fausses frontières musicales, Lacraps fait une utilisation de l’auto-tune savamment dosée, pour un résultat souvent réussi, comme sur A la craie, avec Limsa de la 75e session en featuring – sûrement un des titres les plus réussis du projet – ou encore sur Mi amor. Musicalement ouvert, le travail de Lacraps pourrait bien continuer à surprendre par sa polyvalence :
« Y’en a qui ont pas aimé certains tracks juste parce qu’il y avait de l auto-tune. Mais ça je pense que c’est des gens un peu étroits d’esprit, comme j’ai pu l’être, un peu puriste sur certains trucs. Je le suis de moins en moins, quand tu rentres dans le monde de la musique, que tu comprends la création, c’est totalement différent, je pense que t’as une autre approche de la musique. Tu félicites déjà les gens qui arrivent à faire des bons sons, l’auto-tune c’est des détails. C’est un instrument en plus, un effet vocal. Le mec qui sait pas chanter, il va pas vraiment savoir le faire chanter ».
A trente-deux ans, il apprend aussi auprès de plus jeunes, d’autres emcees montpelliérains qu’il a l’habitude de recevoir dans son home studio : « je regarde ce qui se passe, par exemple quand j’enregistre des mecs comme Illtoo et Chaîb, des petits jeunes de quartier, super forts et qui utilisent beaucoup l’auto-tune ».
Mais moi j’ai pas eu des collègues qui rappaient, j’ai commencé à le faire tout seul dans ma chambre
Lacraps est venu au rap assez tard, en toute discrétion, posant pour la première fois des rimes sur une instru en 2006. Il avait alors 22 ans : « j’ai eu envie de le faire quand j’écoutais les autres. Mais moi j’ai pas eu des collègues qui rappaient, j’ai commencé à le faire tout seul dans ma chambre ». Il était déjà à Montpellier, après une enfance passée à l’autre bout de l’hexagone, à Roubaix.
Le rap s’impose alors comme une passion : « Parce que je kiffais vraiment le rap. Je suis amoureux du rap, des rimes, des lettres. Presque plus que de la musicalité, mais j’essaie d’apporter les deux maintenant. Petit à petit ça change, dès fois j’ai envie à fond de musicalité, peut-être de moins rimer. Même si c’est difficile pour moi, parce que c’est devenu un automatisme ».
Au contact de son public
En prise avec son public, il communique beaucoup avec son public via les réseaux, une démarche qui lui paraît naturelle, même si elle est chronophage : « ça devient de moins en moins gérable, je vais pas te mentir. Dès fois je suis obligé de passer quatre heures, je me dis « waw ». Mais bon, ça fait partie du jeu. Ça me ferait bizarre de pas remercier les gens qui me soutiennent, ce serait presque hautain. C’est important de rendre au public. ».
Et sur scène, Lacraps a l’occasion de vérifier l’hétérogénéité de son public : « quand tu viens à mes concerts, y a de tout. Y a des petits de quartier, des parents avec leurs enfants, des bobos, des mecs ghetto, j’ai vraiment de la chance. Par exemple, que beaucoup de femmes m’écoutent, ça me surprend. Tu peux pas savoir. Je calcule, pas je fais un truc assez spontané, sinon après j’ai peur que ça change ma musique. »
On a fait la maraude, c’était super bien, dans plein de villes
Même s’il rappe sur 1000 ratures qu’il n’a « pas le profil à rassembler, plutôt à rouler des sales cônes », Lacraps sait utiliser sa notoriété pour des projets allant dans la bonne direction. C’est ainsi que pendant la vague de froid du mois de février, il a lancé un appel à la solidarité sur Facebook, fédérant quelques centaines de bénévoles pour venir en aide aux SDF.
Mais même quand il se pose en leader d’une action, il sait rendre un hommage à son public : « on a fait la maraude, c’était super bien, dans plein de villes. Nous on a récupéré des habits et on est allé les distribuer. Ça s’est super bien passé, je suis super content et pour moi c’est plus intéressant que le rap et beaucoup de choses. Sur ce coup-là mon public c’est les plus beaux, les enfoirés ».
Une cause à laquelle Lacraps a été sensibilisé par son vécu : « même si j’ai pas forcément autant galéré que ces gens-là, j’ai vraiment galéré dans ma vie, j’ai pas honte de ça. Et je pense que c’est important, avec juste un peu de temps et d’humanité, tu peux faire du bien aux autres. Et ça te fait du bien, c’est quelque chose de bon ».
Il y a quelques années, il évoquait son vécu dans un de ses morceaux phares, La Galère, extrait de 42 grammes, album produit par le talentueux Mani Deïz. Il y contait également un mode de vie dont il s’est sorti : « J’aurais pu finir estropié avec mes proches j’avais la dalle / Si j’t’ai volé ou escroqué c’est qu’dans les poches y avait nada ». Proche de son public, il reçoit avec le sourire les parodies de son gimmick Lacraps enfoiré, et garde une préférence pour le premier apparu, le désormais fameux Lacraps en forêt. On peut même en retrouver une sélection sur un compte Instagram consacré au dossier.
Il évoque sa tranquillité nouvelle, loin des soucis passés avec la justice, et plaisante sur « l’album de la maturité ». Deux extraits de Boom Bap 2.0 ont déjà été clippés, et pour les plus attentifs et les plus curieux envers l’histoire du rap français, on peut apercevoir à un moment Kohndo de La Cliqua dans le clip de Par le bas. De plus en concentré sur sa musique, Lacraps dit ne jamais la ressentir comme un travail, plein de la conviction du passionné qui ne compte pas ses heures : « je me vois comme un artiste, j’ai la chance de kiffer vraiment ce que je fais, je le vois pas comme un métier. Je me lève le matin je fais du son, le soir je fais du son, l’après-midi je fais du son, je suis H24 dessus ».
Je pense que c’est super important la spontanéité dans la musique
Porté par une grosse activité scénique, Lacraps semble désormais prêt à laisser grandir sa liberté artistique : « y a eu une période où j’ai beaucoup écrit, beaucoup ruminé, je suis beaucoup revenu sur mes textes. Et maintenant je le fais beaucoup moins, et j’essaye d’être vraiment plus spontané. Quitte à des fois simplifier, parce que je pense que c’est super important la spontanéité dans la musique ».
Alors qu’il commence à s’installer solidement dans le paysage du rap français, pleinement, Lacraps se méfie toutefois d’éventuelles bouffées d’ego qui pourraient venir avec le succès de son rap, et cultive l’humilité. Un état d’esprit qui signe toute sa posture artistique, bien résumée dans un passage parlé de Mi amor : « Je suis comme toi, me mets pas sur un piédestal, mais respecte moi et tout ira bien ».