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Quand le rap US sample la musique de France

Quand le rap US sample la musique de France

Si le rap français s’est toujours beaucoup inspiré du rap cainri, l’inverse est aussi très vrai…

Appareils permettant d’enregistrer des extraits musicaux pour les rejouer en boucle, les samplers naissent dans les années 60, époque où ils coutent plusieurs années de loyers. Grâce aux progrès de la microélectronique, leur usage dans les studios va se généraliser à partir de la fin des années 70.

Hasard de l’histoire, ils vont accompagner l’émergence de deux courants musicaux d’un genre nouveau : le hip hop et l’électro.

Transformé en instrument de création à part entière, le sampler façonne complétement l’identité sonore du rap, ce dernier s’appropriant alors sans ambage les rythmiques soul et funk.

Le premier grand hit de l’histoire du mouvement sera ainsi Rapper’s Delight du groupe Sugarhill Gang qui échantillonne des bouts du Good Times de Chic. Pas crédité sur la pochette du 45 tours, le compositeur Nile Rodgers réclame d’ailleurs très vite son dû au label Sugar Hill Records.

Ainsi commence, sur fond de controverses artistiques et financières, l’histoire d’amour entre sampleurs et samplés – s’agit-il d’un travail de création véritable ? D’une simple réappropriation ? D’un vol de propriété intellectuelle pur et simple ?

Si d’un point de vue artistique le débat est sans fin, d’un point de vue légal les choses sont en théorie plus simples : tout artiste qui emprunte à un autre artiste sans permission est susceptible de poursuites.

En pratique, cependant, tout cela se corse rapidement, grand nombre de morceaux utilisent des samples sans aucune autorisation préalable – soit parce que l’échantillon a été tellement retravaillé qu’il n’est plus reconnaissable, soit parce que l’artiste espère échapper à la vigilance des avocats.

Certes, il arrive que le sampling donne raison à ses détracteurs en se réduisant à un vulgaire copié-collé des habituels James Brown, Rick James et autres Parliament (quand ce ne sont pas des instrus rap archi reprises comme Here We Go des Run DMC, Bring The Noise des Public Enemy ou La Di Da Di de E. Fresh & Slick Rick), mais il peut aussi être le fruit d’un remarquable travail de recherche lorsque les beatmakers s’en vont trouver la perle rare qu’ils vont ensuite se réapproprier à coup de montages et de distorsions.

C’est ainsi que le rap US s’en est allé frayer plus d’une fois dans nos contrées hexagonales. Électro, variété, chansons à textes… la liste est aussi longue que surprenante.

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Cortex samplé par Rick Ross, Tyler the Creator, Madlib, Wiz Khalifa…

Au milieu des années 1970, Alain Mion crée Cortex, un des rares groupes français à tenter l’expérience jazz-funk. Sortent alors une poignée de disques qui sans être des cartons remportent de jolis succès – les lancinants Troupeau Bleu et Volume 2 notamment.

Mion entreprend ensuite une carrière solo au début de la décennie suivante.

En 2004 Madlib sera le premier a samplé Cortex pour le titre One Beer présent sur MM.. Food, le second album studio de MF DOOM.

Depuis les emcees se sont largement passés le mot. Outre les noms cités précédemment, Lupe Fiasco, Curren$y, Young Jeezy ou encore Tyga ont également emprunté à son œuvre.

Si le paiement d’un sample lui rapporte « l’équivalent d’une voiture » par mois et si de son propre aveu il n’a « jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui » (ses albums se vendent désormais aux USA), Alain Mion n’en demeure pas moins des plus circonspects quand au rap.

« Il y a un truc que je ne pige pas dans le succès des rappeurs. J’ai essayé d’en écouter mais rien n’y fait. »

Outre les batailles de droits avec les labels, c’est le rapport à l’art et à l’argent qui le rebute : « Pour certains rappeurs, le plus important après un succès musical, c’est de créer une ligne de vêtements. Ça m’étonnerait qu’un mec comme Beethoven ait un jour pensé à se lancer dans la moutarde. »

Et en France ? Damso a interpolé Heard A Sigh pour Amnésie. Un problème d’autorisation vaudra alors à son album Batterie Faible de disparaître momentanément des plateformes de streaming.

Cerrone samplé par LL Cool J, les Beastie Boys, Run DMC, Nas…

Autre légende de la musique électronique tricolore, Marc Cerrone trône dans le seventies au sommet du disco mondial.

Penchant plus du côté de Giorgio Moroder que de Claude François, c’est au États-Unis qu’il rencontre le succès en 1976 avec Love in C Minor.

[Coup de bol incroyable, il y est découvert par un DJ newyorkais qui a reçu son album par erreur et qui intrigué par le côté provoc de la pochette l’a écouté.]

L’année suivante, Supernature le consacre superstar avec 8 millions d’exemplaires vendus et 5 Grammy Awards. Interrogé par des journalistes qui lui demandent ce qu’il reste de français chez lui, il invente alors l’expression « French touch ».

Malheureusement pour lui, les années 80 seront moins clémentes : la vague disco n’est plus, sa dépendance à la cocaïne le ronge, son mariage bat de l’aile… Les rappeurs vont cependant lui offrir une seconde jeunesse. Mc Hammer, Cypress Hill, Naughty by nature, les Geto boys… Tous échantillonnent sa musique.

Explication de l’intéressé : « Nile Rodgers plaçait la guitare au centre de sa musique. Giorgio Moroder, lui c’était les synthétiseurs. Moi c’était la batterie. Dans le rap ou l’électro, beaucoup m’ont samplé car ils n’arrivaient pas à reproduire ce son. C’est pour cette raison qu’ils ont accepté de me verser 50% de leurs droits. »

Et en France ? Rohff a repris Supernature sur Rap Info dans lequel il s’improvise journaliste.

Les Daft Punk samplés par Kanye West, Lil B, Pharrell, Busta Rhymes…

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Non Stronger de Kanye n’est pas le seul morceau à avoir repris Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo (eux-mêmes de très grands sampleurs rappelons-le).

Extra Dry (Slum Village), One More Time (Machine Gun Kelly), Technologic (Busta Rhymes)… tous ces titres ont également rapporté des royautés aux plus frenchies des robots.

Si grâce à Harder, Better, Faster, Stronger (et aussi grâce un peu au « Now that-that-that that don’t kill me can only make me stronger » piqué à Nietzsche), Yeezus a décroché le plus grand hit de sa carrière, l’enregistrement a loin d’avoir été une partie de plaisir.

Huit studios, onze ingénieurs du son (plus Timbaland) et une bonne cinquantaine de versions auront été nécessaires pour arriver au résultat final – qui a dit que sampler c’était juste copier-coller ?

Le jeu en a néanmoins valu la chandelle puisque, consécration suprême, suite au clip tourné à Tokyo, Kanye a reçu un coup de téléphone de Michael Jackson himself… ce dernier voulait alors savoir où il avait acheté la veste qu’il portait à l’écran.

Et en France ? Personne n’a oublié l’inoubliable rencontre entre Rim-K, AP, Mokobé et Thomas Bangalter sur 113 fout la merde.

Serge Gainsbourg samplé par Method Man, The Beatnuts, De La Soul…

Connu et reconnu de l’autre côté de la Manche, depuis sa disparition Lucien Ginsburg n’en bénéficie pas moins d’une franche renommée sur les terres de l’Oncle Sam, là encore grâce à Histoire de Melody Nelson, son chef d’œuvre sorti en 1971.

Beck, Sonic Youth ou encore les Blond Redhead vont ainsi y aller de leur reprise dans les années 2000.

Les rockeurs n’ont cependant pas été les premiers à explorer le filon, les rappeurs les ayant précédé une décennie plutôt : Talkin’ Bout Hey Love des De La Soul reprenait en 1991 Les Oubliettes, Symphony 2000 d’EPMD feat. Method Man & Redman reprenait en 1999 Requiem Pour Un Con, Superbad des Beatnuts reprenait en 1994 Melody

Si beaucoup ont pris chez Gainsbourg, Gainsbourg a également beaucoup pris chez les autres, des compositeurs américains George Gershwin et Cole Porter, en passant par Charles Trenet, sans oublier les classiques Brahms, Chopin et Debussy qu’il « réadaptait » sous le radar.

« Je suis petit voleur, grand faussaire, flambeur, vitriolé, dépressif, pessimiste forcené, fier, tricard, indélébile, maladroit, addict et violent » déclara-t-il un jour à propos de lui-même…

Et en France ? Sans surprise, la liste est longue : évidemment Nouveau Western de MC Solaar, Joke sur Fin de journée, Aelpéacha sur Requiem pour un keuf, Hocus Pocus sur Pas d’imposture, DJ Mehdi sur le remix de We’re Ready When You Are de The Krays et Ebony Bones…

Mike Brant samplé par Eminem, Shaolin et Mobb Deep

Gainsbourg n’a pas attendu Puff Daddy pour avoir ses Hitmen (le pool de producteurs responsable des hits de label Bad Boy première mouture Ndlr). L’homme à la tête de chou était en effet lui aussi entouré de sa team de compositeurs et arrangeurs, avec au premier rang Michel Colombier, Alain Goraguer et Jean-Claude Vannier.

Ce dernier, qui ironiquement officie aujourd’hui à l’occasion comme expert musical à la Cour d’appel de Paris, a composé en 1970 le titre Mais Dans La Lumière du jeune premier Mike Brant.

Trente-huit ans plus tard, c’est sur une instru qui reprend la boucle de cuivre sur laquelle débute le morceau que Marshall Mathers décide de poser pour le premier single de son album comeback Relapse.

Crack A Bottle sera un carton mondial (Grammy Awards et record de téléchargements à la clef).

Et si vous vous demandez comment est venu à l’esprit de Dr. Dre de sampler une obscure chanson issue du répertoire d’un chanteur israélien décédé en 1975 dont la renommée n’a jamais dépassé les frontières de l’Hexagone, il est très probable qu’il soit tombé auparavant sur le Live It Up produit par Havoc de Mobb Deep en 2004 ou le Preservation d’Aesop Rock sorti en 2005 sur une compilation d’affiliés du Wu-Tang Clan qui tous deux utilisaient déjà Mais Dans La Lumière.

Et en France ? Contre toute attente, Casey a repris une mélodie de Brant : Parce que je t’aime plus que moi sur Tragédie d’une trajectoire.

Charles Aznavour samplé par Dr. Dre

Au fil du temps Dre s’est fait une spécialité de piocher dans le catalogue national : du Kill You d’Eminem qui s’inspirait de Pulsion du pianiste jazz Jacques Loussier, à l’interlude Ed-Ucation de 2001 qui samplait le chef d’orchestre et compositeur Franck Pourcel.

Son sample de musique française le plus célèbre n’en reste pas moins celui de Parce Que Tu Crois, une chanson écrite et composée en 1966 par le Grand Charles sur fond de nostalgie et d’amours déçues.

Cuisiné à la sauce californienne, le Montmartre des années 60 donne What’s the Difference où l’ex-N.W.A. préfère parler Benzo, « big dog lifestyle » et clasher DJ Yella.

Cette même instru sera ensuite réutilisée quatre ans plus tard par la chanteuse r&b Blu Cantrell et le jamaïcain Sean Paul sur le remix de Breathe – et puis aussi par Wax Tailor, Koxie, Indila…

Notez cependant que le bon docteur Young n’en était pas à son coup d’essai : en 1997 sur l’album The Firm du supergroupe composé de Foxy Brown, AZ, Cormega et Nas, Firm Fiasco échantillonnait À ma fille extrait du disque Que c’est triste Venise.

Et en France ? À ma fille a également servi aux marseillais de la Fonky Family sur Aux Absents. Sinon difficile de trouver un rappeur français qui n’a pas samplé Charly (Psy 4, Ideal J, Guizmo, Sniper, Oxmo Puccino…).

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Véronique Sanson samplée par Jay Z

Qui aurait cru que la ballade Une nuit sur son épaule composée en 1972 (puis repris en duo avec Marc Lavoine en 1995) inspirerait Jay Z pour écrire History, son hymne à la victoire de Barack Obama ?

Bien que « contente et flattée » d’avoir vu sa voix pitchée par Kanye West, Véronique Sanson n’a cependant guère apprécié qu’aucune autorisation ne lui ait été demandée au préalable, ni que son nom n’ait été crédité nulle part.

Peut-être est-ce d’ailleurs l’éventualité de poursuites en justice qui a dissuadé Hova d’inclure le titre sur son Blueprint 3 comme pourtant annoncé initialement.

L’épisode n’a certainement pas peiné plus que ça la chanteuse pas réputée des plus grandes fans de rap : « Pour être honnête, Jay Z ça ne m’évoque rien. Je n’aime pas ce qu’il fait, ça me fait chier. »

Et en France ? Pour leur Un jour comme un autre, Mac Kregor et Mac Tyer de Tandem sont allés fouiller dans le répertoire de la pianiste et ont dégotté la boucle de Je serais là.

France Gall samplée par The Weeknd

« Laisse tomber les filles/Laisse tomber les filles, un jour c’est toi qu’on laissera/Oui j’ai pleuré mais ce jour-là/Non, je ne pleurerai pas. »

À l’écoute des premières notes de Montreal, la seconde piste d’Echoes of Silence la troisième mixtape d’Abel Tesfaye sortie en 2011, nombreux sont ceux qui se sont demandés quelle mouche a bien pu piquer le Canadien de chanter en « frwancé ».

Ces paroles sont en réalité celles du refrain du très sixties Laisse tomber les filles écrit et composé par Serge Gainsbourg.

L’idée de ce yaourt est très probablement venue à The Weeknd en regardant Death Proof de Quentin Tarantino dont la bande-annonce contient une reprise du tube de France Gall, Chick Habit interprété par l’Américaine April March.

Le générique de Belphégor samplé par RZA

De tous les samples les plus saugrenus évoqués dans ce papier, celui de Gravel Pit du Wu-Tang Clan est peut-être le plus loufoque.

Après une introduction à la trompette tirée d’It’s a Man’s Man’s Man’s World de James Brown, l’instru repompe ensuite le thème de la mini-série télévisée Belphégor ou le Fantôme du Louvre composé par Antoine Duhamel en 1965.

La question de savoir comment RZA, ou plutôt ‘Bobby Boulders’ comme il se surnomme ici, est tombé sur ce joyau de l’ORTF, seule et unique chaîne de télévision de l’époque.

Et en France ? Dans le genre aussi génial que WTF, citons Lunatic qui est allé sampler une séquence du dessin animé Ken le Survivant pour Avertisseurs ou ATK qui a repris le générique d’Arabesque (une série toute pétée qui passait les après-midis de semaine) pour L’affaire hot-dog.

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