Dans les rues de Harlem, son mythe perdure depuis plus de 40 ans. Portrait de celui qui serait devenu l’un des 50 meilleurs joueurs de la NBA s’il n’avait pas refusé une carrière de basketteur pro pour l’argent de la drogue…
En 1968 les Bulls de Chicago drafte le meneur de jeu new-yorkais que Sports Illustrated a qualifié de « probablement l’universitaire le plus rapide » de sa génération, Pee Wee Kirkland.
Belle trajectoire pour ce gosse des quartiers mal famés qui impose sa loi depuis 10 ans au Rucker Park, le terrain de basket culte de Harlem qui a vu défiler Kareem Abdul-Jabbar, Wilt Chamberlain, Jamal Mashburn ou encore Chris Mullin.
L’histoire ghetto fabolous somme toute assez classique aurait pu en rester là, si ce n’est que Pee Wee décline l’offre. Motif : il est déjà engagé avec une autre équipe qui lui rapporte bien plus que les 40 000 dollars proposés sur deux ans…
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Membre éminent d’un gang qui donne dans le trafic d’héroïne, les braquages de bijouteries et le blanchiment d’argent, il règne depuis quelques années déjà sur le crime et mène grand train, Rolls Royce, manteaux en fourrure et accoutrement de pimp à l’appui.
Ami de Frank Lucas (celui-là même incarné par Denzel Washington dans American Gangster), il devient le premier noir à ouvrir une bijouterie à Harlem.
Surnommé dans son quartier « la banque » en raison de ses talents d’usurier, au fait de sa gloire, il s’offre selon le bouquin Gangsters of Harlem une couronne de roi coûtant la bagatelle de 373 000 $.
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Étonnamment, malgré son mode vie Pee Wee reste accro au jeu et s’y dédie corps et âme, y compris lorsqu’il neige et que lui et ses compères doivent déblayer le terrain pour pouvoir dribbler.
De 68 à 71, au cours du Rucker League tournament, Kirkland se mesure aux stars de la NBA que sont ou seront Julius Erving, Tiny Archibald et Charlie Scott. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il impressionne son monde grâce à son jeu sans pareil. Il termine plusieurs fois meilleur marqueur du tournoi.
« J’ai joué aux Lakers période ‘Showtime’ », se souvient Bob McAdoo, titulaire de trois titres de meilleurs marqueurs en NBA, « mais Pee Wee orchestrait le Showtime à Norfolk State vingt ans avant ». Son coéquipier à la fac, le quadruple All-Star Bob Dandridge affirme lui « qu’il aurait sans aucun doute été une star en NBA. Le seul meneur qui pouvait s’approcher de son niveau à l’époque était Tiny Archibald ».
Ce dernier, qui a été son adversaire le plus acharné sur les playgrounds, a déclaré « Pee Wee était plus flashy que quiconque, mais il était aussi capable de contrôler les matchs. Il ne perdait jamais de vue l’essentiel dans le basketball : mettre la balle dans le panier et gagner les matches ».
Pas étonnant que malgré son choix de carrière les équipes pro continuent de le courtiser, que ce soit les Knicks ou les San Diego Rockets de la défunte ABA, tandis que des coachs de légende comme John Wooden ou Red Holzman font son éloge.
La tôle puis la réinsertion
Reste que choisir la rue n’est pas sans conséquence. En 1971 Pee Wee Kirkland est arrête puis envoyé au pénitencier fédéral de Lewisburg, Pennsylvanie. Convaincu de trafic de drogues puis d’évasion fiscale, il écope d’une peine de 10 ans de prison. Mais même derrière les barreaux la légende s’accroît.
Leader d’une équipe membre de l’Anthracite Basketball League, un championnat semi-professionnel qui accueille quelques équipes de prison. Il y délivrera quelques performances mémorables. En 1974 il balance 135 points face à une équipe lituanienne – score final : 228-47. L’info sera reprise par certains quotidiens nationaux comme le prestigieux Washington Post ou le Philadelphia Inquirer qui titrera même : « Kirkland est-il un nouveau Chamberlain ? ».
À sa sortie de prison, Pee Wee fera la couverture du Times.
Durement touché par son séjour carcéral et conscient de l’impact de ses choix sur ses proches, Kirkland opère un virage à 180° une fois sa liberté retrouvée. Il décroche un master, puis écrit une thèse sur la violence juvénile.
Depuis, il parcourt depuis les États-Unis et donne des conférences sur ce sujet, utilisant sa science du jeu pour engager le dialogue avec les jeunes et les aider dans leur orientation, à l’image du programme School Of Skillz qu’il a créé.
Si son passé tumultueux est maintenant loin derrière lui, ce sont désormais les rappeurs via leurs textes (des frangins de Clipse à Ja Rule en passant par Fat Joe ou Future) qui s’occupent de faire perdurer la légende du meilleur joueur à n’avoir jamais joué en NBA.