JUL et Nekfeu, deux rappeurs qui se sont accaparés par surprise le Rap cette année, alors que les dinosaures du Rap se sont montrés particulièrement actifs…
Mis à part leurs ventes exceptionnelles, on ne peut s’empêcher de leur trouver des ressemblances, déjà leur couleur de peau (il fallait bien que quelqu’un la fasse), ou encore leur âge (25 ans tous les deux, hasard du calendrier ?). Malgré ces quelques ressemblances, il est peu probable qu’ils partent un jour en vacances ensemble tellement leurs différences les rattrapent…
Le sprinteur face au coureur de fond
« Chaque arrivée a son départ » (comme dirait Kery James), si ces deux rappeurs firent preuve de précocité, le parcours emprunté fut très différent.
JUL commencera à rapper sur l’ordinateur du collège avec un micro à 20 Euros. Cet acharné du travail enchaînera les morceaux qu’il enregistrera lui-même dans sa chambre. Il ne se fera pourtant connaître, que dans son fief à Marseille, avec la sortie du morceau « Sors le cross volé ».
#classicshit
Une introduction très éloignée du Rap Gangsta d’époque. Ici, pas de jet privé et de grosses liasses, mais des moto-cross avec les chaussettes blanches par-dessus le jogging. Une nouvelle ère pour le Rap Français. À peine ce buzz atteint JUL assaillira le game avec 6 projets en moins de 2 ans, dont 4 platines et un disque d’or (le 6ème projet étant un album gratuit).
Les prestations de Nekfeu aux Rap Contenders sont devenues cultes…
De son côté Nekfeu suivra un parcours très différent, lui aussi plongé dans le Rap avant même d’être majeur il connaitra la renommée dès ses débuts. Très orienté collectif (contrairement à JUL qui se fait connaitre en solo), il explosera aux yeux du grand public non pas avec un morceau, mais avec les Rap Contenders et sa punchline « mythique » : « c’est le bruit de mes boules contre tes fesses ».
Presque cinq ans plus tard, on ne peut que souligner l’agilité avec laquelle le fennec a géré sa carrière, il enchaînera 10 projets avec ses différents groupes avant de sortir son premier album solo en 2015 : FEU.
Les deux coureurs se croiseront pour la première fois le 8 juin 2015 avec la sortie simultanée de Feu et de Je Tourne En Rond, deux scores exceptionnels en première semaine avec respectivement 35 944 et 40 099 exemplaires vendus. Ils se rencontreront à nouveau le 4 décembre avec la réédition de Nekfeu et le nouvel album My World de JUL.
« La puissance ne respecte que la puissance… »
Bon et mauvais flic dans les médias ?
Des parcours différents pour un résultat identique ? Dans les ventes peut-être, mais pas dans leur impact médiatique. Nekfeu est devenu le chouchou des médias qui pouvaient enfin se réjouir d’avoir un rappeur qui ressemble à leur fils : beau, blanc, aimant la littérature et sachant s’exprimer. Si le succès commercial de Feu pouvait légitimer cet intérêt, celui de 1995 était moins évident, pourtant dès cette époque ils ont bénéficié d’une couverture médiatique sans commune mesure (et d’un intérêt certain dans les festivals). Loin d’être dupe (il en profitera d’ailleurs pour mettre en lumière d’autres rappeurs), Nekfeu perce l’abcès dès l’introduction de son album dans Martin Eden : « Surtout quand les babtous ont peur, tout le monde m’invite dans les plans / Fils de pute, bien sûr que c’est plus facile pour toi quand t’es blanc »
C’est une évidence pour Vald !
Mais suffit-il d’être blanc ? Comme déclarait, non pas sans humour, VALD : « c’est juste plus facile quand t’es nekfeu. » Lors de la sortie de Feu, JUL caracolait encore plus haut dans les charts. Mais le rappeur des quartiers nord de Marseille ne correspond pas au standard que les médias veulent présenter à la France. Peu à l’aise devant les micros, JUL représente ce qu’une certaine élite méprise : cette France périphérique qui n’arrivera pas à briller dans le microcosme parisien. Succès public et critique font rarement bon ménage. Peu importe si les caméras l’ignorent, JUL s’adressera à ses fans par Snapchat et des « SMS Facebook », de toute manière son public ne regarde plus la télé.
Pas le même génie, pas le même flow…
JUL et Nekfeu se distinguent dans leur approche même de la musique. Là où Nekfeu est à la recherche de l’album parfait, il recommencera par deux fois son premier album solo, JUL n’a pas l’air de s’enticher de toutes ces questions. Vu la quantité de sons qu’il diffuse, s’affranchissant d’originalité et d’hétérogénéité, on est loin de la recherche du classique. Chez Nekfeu, on voit une volonté de marquer son époque comme ont pu le faire ses modèles. JUL, lui, suit un rythme effréné quitte à sortir des morceaux plus que semblables et qui seront aussitôt éclipsés par les suivants. Là où JUL a crée son style musical avec de l’auto-tune à outrance et des textes réalistes ; Nekfeu a dû manier toutes les influences et les styles issus de sa carrière en groupe pour nous offrir en 2015 un style plus littéraire avec un regain d’attention à sa musicalité.
Musicalement les deux rappeurs ont emprunté des chemins différents, où ils croisèrent un public divers. Nekfeu et son groupe 1995 ont ramené au Rap un public qui s’en était éloigné pour la « pauvreté actuelle du texte » (sic) : type Jean-Edouard Puriste qui apprend ses « classiques » grâce aux vidéos de Jhon Rachid. Mais avec les nombreux festivals, l’ouverture musicale de FEU, son physique d’acteur et sa couverture médiatique son public s’est élargi. Dans ses concerts se côtoient désormais des amateurs de Rap (qui se sont enfin ralliés à sa cause avec un premier opus de haut vol) et des jeunes filles de bonne famille qui n’auraient jamais écouté du Rap avant lui (faites une recherche Twitter avec le mot-clef Nekfeu pour vous rendre compte du phénomène).
De son côté JUL a réussi à rassembler, grâce à ses textes sans artifices, des classes populaires déçues de l’aspect bling-bling du Rap caillera devenu très éloigné de la sincérité d’un Rat Luciano ou de la Mafia K’1 Fry. La musicalité nouvelle de ses morceaux, décelée dès son single ultra efficace « Dans Ma Paranoïa » a su attirer tout un rang d’auditeurs qui n’écoutaient pas de Rap. Si Nekfeu enchaîne les concerts JUL se contente de showcases dans des boites obscures mais qui ne lui empêchent pas de communiquer toute son énergie à son public. Une chose est sûre, en sortant le même jour ils ne se font pas concurrence.
Pas si différents que ça…
Nous avons souligné les différences entre les deux rappeurs. L’exécution de leurs carrières sont incomparables : « bobos contre cas-soces », recherche du classique contre productivité outrancière. Mais leur philosophie n’en est que plus proche : un amour du Rap Français assumé (le groupe de Nekfeu s’appelle 1995 en hommage à une période d’or du Rap, et JUL voue un culte absolu au Rat Luciano), une volonté de faire avancer le mouvement dans sa globalité, une recherche d’indépendance et un refus des tabous et des codes.
Pour symboliser encore plus cette cassure avec l’ancienne génération, même s’ils ne fêteront pas la nouvelle année ensemble, nous ne serions pas surpris de les croiser au détour d’un featuring…