C’est peu dire que ces douze derniers mois ont été un excellent cru. Preuve en est avec ce best-of qui n’en est pas un…
Quel que soit son type de rap, difficile de ne pas trouver son compte en 2015 : grosses sorties qui n’ont pas déçu, premiers essais en fanfare, confirmations, retours en forme de certains vétérans, expérimentations… l’année écoulée s’est montrée particulièrement riche et variée.
Périlleux est l’exercice qui consiste à ne retenir que 10 albums, et encore plus de les classer. L’idée étant ici de proposer une sélection qui prend en compte à la fois la qualité des projets, l’attente qu’ils ont suscitée et leur impact culturel.
Mille excuses à tous ceux qui ont raté de peu la marche*, rien de personnel. Et rendez-vous en 2035 pour découvrir quelles sorties auront mérité le sceau de classique…
10. Joey Bada$$, B4.Da.$$
Sorti le 20 janvier sur Cinematic/Pro Era
Attendu comme le messie par une fan base dévouée, le MC made in Brooklyn n’aura pas réussi à relever cette mission impossible qu’était de faire revenir à lui tout seul le Hip Hop à ses fondamentaux.
Le leader du crew Pro Era a néanmoins délivré un premier album à la hauteur de son talent comblant même les nostalgiques les plus ronchons (de ceux qui portent des t-shirts le rap c’était mieux avant).
Son flow millésimé East coast 90’s se positionne désormais comme une alternative convaincante aux dérives autotunées et apolitiques du rap jeu moderne.
9. Rae Sremmurd, SremmLife
Sorti le 6 janvier sur Interscope
Les frangins Slim Jxmmi et Swae Lee (enfin le trio tant leur mentor/producteur Mike Will Made It joue pour beaucoup) confirment le succès de leurs hits No Flex Zone et No Type avec un album qui ne se prétend jamais autre chose que ce qu’il est : un empilement de titre calibrés pour les radios et les soirées.
Jamais ennuyeuse, cette synthèse improbable entre Rich Gang et Ke$ha vous ferait presque regretter que tous les soirs de la semaine ne soient pas des samedis soirs. Bienvenue dans la Snapchat musique.
8. The Game, The Documentary 2 & 2.5
Sorti le 9 octobre sur eOne, Blood Money
On avait presque fini par perdre tout espoir en The Game… et ce d’autant plus que ce sixième opus sorti en deux temps sentait un peu le coup fourré marketing. Une impression confirmée par l’amoncellement de featurings et de producteurs (Dr. Dre, Ice Cube, Snoop Dogg, Kendrick Lamar, Kanye West, Diddy, Drake, Future, DJ Premier, Will.i.am, Mike Will, Cool and Dre, AB Soul…).
Au final cette orgie rapologique fait pourtant plus qu’honneur à son prédécesseur sorti 10 ans auparavant. Plutôt que de chercher vainement à reproduire un son, Game balance près de 40 titres qui font le lien entre le Compton d’hier (NWA et Eazy-E) et le Compton d’aujourd’hui (YG, Lamar…).
7. Future, Dirty Sprite 2
Sorti le 17 juillet sur A1, Freebandz, Epic
Ça y est ! Après deux précédents albums un peu bancals, le natif d’Atlanta tient enfin sa place dans la cour des grands. Et tant pis si pour se faire l’une des voix les plus reconnaissables du game s’est muée en monstre plutôt qu’une pop star comme il le clame sur I Serve the Base.
Si Future embrasse sans retenue ses penchants les plus sombres (narcotiques en tête), il n’en oublie pas de démontrer ses talents tout terrain, que ce soit via des hymnes à la motivation (Fuck Up Some Commas) ou des singles dévastateurs (Where Ya At, Rich Sex…).
Mention spéciale pour les beats « claustrophogothiques » de Metro Boomin’.
6. Dr Dre, Compton
Sorti le 7 aout sur Aftermath, Interscope
En voilà un pari risqué : une légende du game âgé d’un demi-siècle jette aux orties 10 ans de travail (Detox) pour sortir à la surprise générale un album concocté en quelques semaines, sans single et qui ne sonne en rien comme ses travaux précédents.
En maître de la curation, Dre tisse un lien habile entre passé, présent et future en ralliant sous sa bannière 30 ans de rap (Ice Cube, Snoop, Lamar, Cold 187um, DJ Premier…), le tout enrobé d’un son puissant et saturé qui prend de la valeur à chaque écoute.
Si au final ce troisième solo ne pouvait que décevoir l’immense attente placée en lui, on a tout de même droit, si ce n’est à un grand disque, à un très bon disque.
5. A$AP Rocky, At Long Last Asap
Sorti le 26 mai sur A$AP Worldwide, Polo Grounds, RCA
Le cap du deuxième album n’est jamais chose facile, surtout qu’ici Rakim Mayers n’a pas vraiment opté pour la facilité.
Plutôt que de reproduire la formule qui a fait son succès et de continuer à jouer de son image d’icône de mode, il inaugure une sorte de rap psychédélique où s’entremêlent folk, country, brit pop, rock sixties…
Grand bien lui en pris, Flacko acquiert là ses galons d’artiste avec un album certes pas forcément des plus accessibles à la première écoute mais qui fait étalage d’une profondeur qu’il n’avait fait qu’esquisser jusque-là.
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4. Drake, If You’re Reading This It’s Too Late
Sorti le 13 février sur Cash Money
Avant ce quatrième album beaucoup se demandaient si Aubrey Graham n’était pas rappeur le plus hot du game. Après ce quatrième album (non ce n’est pas une mixtape), la question ne se pose même plus.
Drake fait ce qui lui plaît avec une facilité déconcertante, que ce soit sortir 17 titres sans aucun single radio, reprendre du Madonna sur du Ginuwine ou inventer des expressions (« Running through the six with my woes »). Le tout en rencontrant un succès tant critique que commercial.
Alors qu’il n’a même pas 30 ans, ce mec est déjà une icône.
3. Vince Staples, Summertime ’06
Sortie le 30 juin sur ARTium, Def Jam
Dayoum, le monde serait-il passé à côté d’une véritable pépite ?
Police, drogue, violence… rien de nouveau sous le soleil de Californie si ce n’est le talent avec lequel pendant 20 morceaux le rappeur de Long Beach dresse un panorama sombre et torturé d’une vie de rue qu’il a trop côtoyé pour glorifier.
Nihilisme et conscience sociale se regardent en chien faïence tout au long d’un opus dont le principal défaut (en plus de sa pochette) est peut-être d’être sorti trop tôt dans la carrière de son auteur. Summertime ’06 aurait largement mérité une plus grande exposition médiatique…
2. Travi$ Scott, Rodeo
Sorti le 4 septembre sur Epic, Grand Hustle
C’est peu dire qu’artistiquement on attendait beaucoup de celui qui ghostwrite Kanye West et couche avec Rihanna.
Conviant la crème de la crème de la scène US (The Weeknd, Justin Bieber, Young Thug, Quavo…), Rodeo parvient non seulement à être cohérent du premier au dernier morceau, mais réussit en sus le tour de force de proposer une expérience sonore sans pareil.
À l’image de son auteur sur scène, ce disque carbure à l’énergie pure. Une star est née ?
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1. Kendrick Lamar, To Pimp A Butterfly
Sorti le 15 mars sur Top Dawg, Aftermath, Interscope
Quoi de plus dur que de sortir un classique ? Enchainer avec un deuxième classique d’affilé ?
Au très acclamé good kid, m.A.A.d city succède donc ce patchwork expressionniste jazz, soul, funk qui ambitionne de s’élever au niveau des What’s Going On (Marvin Gaye), There’s No Place Like America Today (Curtis Mayfield) et autre There’s a Riot Goin’ On (Sly Stone).
Si l’on en juge par le déferlement contenu de critiques dithyrambiques (TPAB est numéro de quasiment tous les classements de fin d’année, y compris dans la presse mainstream), K.Dot a réalisé là son chef d’œuvre.
Tout juste pourrait on lui reprocher son côté éprouvant et un narcissisme un peu trop exacerbé, mais pas son statut d’album de l’année.
Chronique complète : Kendrick Lamar est-il le rappeur de la décennie ?
* Freddie Gibbs, Jay Rock, Ghostface Killah & Adrian Younge, Snoop, Rick Ross, Pusha T (pas eu le temps d’écouter l’album), Scarface, Mac Miller…